Le ministre russe de l'économie ne craint pas l'exportation de capitaux

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MOSCOU (par Marina Poustilnik, commentatrice de RIA Novosti).

Lundi 28 février, le ministre russe du Développement économique Guerman Gref a accordé une interview à RIA Novosti, dans laquelle il a énoncé l'idée que l'exportation légale de capitaux en dehors de la Russie n'est pas, en principe, un mauvais signe. "Je ne vois rien de mal dans l'exportation légale de capitaux russes. C'est un signe de l'expansion des compagnies russes sur les marchés internationaux, ce qui est un processus positif non seulement pour les hommes d'affaires, mais aussi pour l'Etat dans son ensemble", a dit Guerman Gref. Bien plus, a-t-il expliqué, l'acquisition d'entreprises étrangères par des compagnies russes, ce qui s'inscrit dans le cadre de l'exportation légale de capitaux, accroîtra la compétitivité de la Russie.

Guerman Gref a cité l'exemple des Etats-Unis qui ont établi des taxes élevées à l'importation d'articles finis en acier, alors que les taxes pour les semi-produits sont bien plus basses, voire n'existent pas du tout. "Nos compagnies y achètent des entreprises, y envoient des semi-produits transformés sur place en articles finis qui sont, par conséquent, plus compétitifs en raison de leur prix moins élevé", a fait savoir le ministre du Développement économique et du Commerce.

C'est ainsi qu'a agi en 2004 la compagnie "Severstal" qui a acheté pour 286 millions de dollars la compagnie américaine "Rouge Industries". Cette absorption a été l'un des premiers achats d'une telle envergure réalisés par la compagnie russe sur le marché des Etats-Unis. "Rouge Industries" est un des fournisseurs d'acier pour l'industrie automobile des Etats-Unis, c'est pourquoi l'achat de cette compagnie a permis à la compagnie russe "Severstal" d'intervenir sur un marché rentable. L'acquisition par "Severstal" de 62 % du paquet d'actions du producteur d'acier italien "Lucchini" doit également aider le producteur russe à contourner les barrières érigées par l'Union européenne face àl'importation d'acier. Ces actions ayant pour résultat l'accroissement de la compétitivité de certaines compagnies russes n'est rien d'autre que "l'accroissement de la compétitivité nationale de la Russie", a dit Guerman Gref.

?e commentaire sur l'exportation légale de capitaux russes s'est fait longtemps attendre. Il y a un mois et demi, à la mi-janvier, la Banque centrale russe a déclaré qu'en 2004 l'exportation légale de capitaux en dehors de la Russie s'était accrue de près de 4 fois, par rapport à l'année précédente, pour atteindre 7,9 milliards de dollars.

L'exportation de capitaux - aussi bien légale qu'illégale - par les citoyens et les compagnies russes qui exportent ou virent de l'argent à l'étranger, au lieu de le placer et de le garder dans le pays préoccupe depuis longtemps les autorités et la presse russes. Lorsque la Banque centrale a publié les dernières données à ce sujet, les médias russes ont interprété ces nouvelles comme très négatives, en oubliant totalement qu'ils avaient évoqué avec enthousiasme, il y a quelques mois, l'argent qui sort du pays.

L'essentiel réside dans la terminologie. Le terme même de "fuite de capitaux" a une signification négative en Russie, car il est associé à l'époque tumultueuse des privatisations, les années 1990, lorsque d'immenses fortunes étaient bâties sur du vent et disparaissaient à une vitesse vertigineuse dans toutes sortes d'offshores. A cette époque-là, la fuite de capitaux était illégale et s'appelait "exportation de richesses populaires". Mais cette fuite de capitaux n'a presque rien à voir avec la présente exportation légale de capitaux, lorsque les compagnies ont commencé leur expansion sur les marchés mondiaux.

Bien plus, l'annonce que des compagnies russes comme "Severstal" ou "Norilski nikel", ou bien les géants pétroliers acquièrent des actifs à l'étranger a commencé à être accueillie souvent par les Russes comme un objet de fierté. Mais, évidemment, pour acheter un actif à l'étranger, il est nécessaire d'y exporter une certaine somme d'argent, c'est de l'exportation légale de capitaux, phénomène devenu si fréquent cette dernière année.

Certes, même l'exportation légale de capitaux n'est pas toujours un signe positif pour l'économie, car elle signifie (ou non) que les hommes d'affaires préfèrent placer leur argent le plus loin possible de la Russie, en craignant les risques politiques et économiques. L'accroissement de quatre fois de la fuite de capitaux enregistrée en 2004 est la conséquence des "poursuites lancées par l'Etat" contre la compagnie pétrolière IOUKOS et son patron et fondateur Mikhail Khodorkovski: telle est la thèse courante. Selon cette version, ces actions des autorités ont contraint de nombreux hommes d'affaires russes à rechercher des possibilités d'investissement à l'étranger où il ne faut pas craindre pour l'intégrité ultérieure de leur argent.

L'idée maîtresse de l'intervention du ministre russe de l'économie se résume à ceci: aussi bien les opposants de la politique gouvernementale que le gouvernement n'ont pas d'instrument statistique permettant de distinguer l'exportation "avantageuse" de capitaux de leur exportation "désavantageuse", la fuite des capitaux russes de leur expansion. Cela ôte tout sens aux débats politiques à ce sujet, mais, par la même occasion, cela suggère qu'il serait utile d'apprendre à faire de tels calculs.

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