La Russie veut introduire le monopole public de la pêche et de la vente des esturgeons et de leurs oeufs

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MOSCOU, 3 mars. (Par Iana Iourova, commentatrice politique de RIA Novosti). L'Agence de l'ONU pour la protection des plantes et des animaux rares avait réclamé la cessation de toutes les exportations de caviar noir à partir du mois de janvier 2005. A la fin de l'année dernière les pays exportateurs de ce produit fin provenant de la région caspienne n'ont pas fourni de chiffres concernant le braconnage et, comme l'a annoncé le secrétaire général adjoint de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages (CITES) menacées d'extinction, Jim Armstrong, ils ne se sont donc pas conformés aux clauses de l'accord sur la protection des esturgeons de 2001.

Les spécialistes de la CITES prétendent que les prises commerciales légales d'esturgeons se chiffrent actuellement à 1.100 tonnes. En ce qui concerne les prises illicites, elles sont quatre fois plus importantes. Les pêcheurs russes affirment que quatre pays - Kazakhstan, Russie, Turkménie et Azerbaïdjan - ont convenu depuis longtemps de ne pas utiliser de bateaux pour pêcher l'esturgeon. Une chose que l'Iran continue de faire. C'est la raison pour laquelle la part de ce pays sur les marchés mondiaux augmente rapidement. Or, la CITES ne formule aucun grief à l'égard de l'Iran. Par contre, on ne compte plus ceux qu'elle adresse à la Russie.

Pendant longtemps l'Union soviétique avait été le principal producteur de denrées alimentaires préparées à partir d'esturgeons. Elle occupait aussi la première place pour les réserves et la pêche de ce poisson et aussi pour la production de caviar noir. Dans les années 80, les entreprises soviétiques produisaient jusqu'à 2.500 tonnes de caviar noir tandis que les entreprises iraniennes n'en fournissaient que 250.

Après l'éclatement de l'URSS les choses ont commencé à changer. En 1997, la Russie et l'Iran étaient encore les principaux acteurs sur le marché mondial du caviar noir, tous les ans ils exportaient respectivement 450 et 150 tonnes de caviar noir. Toutefois, depuis que la répartition des quotas de pêche des esturgeons et d'exportation du caviar noir relève de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extermination, un nouveau leader est apparu. En 2003, la CITES a autorisé les Etats caspiens à exporter près de 147 tonnes de caviar, dont 78,8 tonnes pour l'Iran et 30,3 tonnes pour la Russie.

De l'avis du directeur de l'Agence fédérale russe de la pêche, Stanislav Iliassov, "la médiocrité des résultats de la lutte contre le braconnage avait toujours été à l'origine de la réduction permanente de nos quotas par la CITES. Celle-ci exigeait depuis longtemps à la Russie qu'elle adopte des textes normatifs à même de servir d'assise à cette lutte. Mais rien n'était fait. La pêche commerciale des esturgeons en Russie a une histoire séculaire. C'est que cette espèce de poisson peuple non seulement la Caspienne, mais encore les bassins des mers d'Azov et Noire, des cours d'eau de Sibérie et d'Extrême-Orient russe. Dès la fin du XIX-e siècle les spécialistes avaient observé une tendance à la réduction du troupeau d'esturgeons dans la Volga et la mer Caspienne. Les raisons avancées étaient la pêche industrielle non-réglementée, le braconnage et les prises réalisées en mer. Dès cette époque la police publique et les gardes-pêche avaient déclaré la guerre aux braconniers dans les pêcheries de Volga-inférieure.

Les réserves de poisson avaient sensiblement diminué aussi dans le bassin Obi-Irtych, réputé jadis par l'abondance de sa population d'esturgeons sibériens. Selon l'Association mondiale de la protection de la nature, dans les années 30 jusqu'à 1.410 tonnes y étaient pêchées légalement, un chiffre qui avait été réduit de 128 fois en 1997. La population d'esturgeons de l'Obi avait même dû être portée dans le Livre rouge des espèces en voie de disparition. Depuis le début des années 90, la pêche industrielle de l'esturgeon est prohibée dans l'Amour, elle l'est dans l'Ienisseï depuis 1998. La situation s'est passablement dégradée également dans la mer d'Azov où les prises de ce poisson ont diminué de 36 fois par rapport à 1937. La pêche industrielle y a été interdite en 2000. Maintenant la quasi-totalité de l'industrie russe de l'esturgeon est concentrée dans le bassin de la Caspienne. On ne saurait dire que le caractère rémunérateur des exportations ait échappé aux autorités soviétiques à l'époque et russes aujourd'hui et qu'elles ne se souciaient pas de les développer. Bien au contraire. Les prises d'esturgeons en mer avaient été interdites en URSS dès 1962. En effet, ces poissons fraient dans les eaux douces (cours inférieurs de la Volga, du Terek et du Soulak), les alevins retournant par la suite dans la mer où ils se développent jusqu'à la taille admise pour la pêche. Ce n'est qu'à l'âge adulte que le poisson retourne dans les cours d'eau pour y frayer et... se faire prendre. Si les jeunes esturgeons sont pêchés en mer, il n'en restera plus pour frayer et leur population disparaîtra.

Selon les services de pêche russes, deux Etats caspiens seulement se soucient du renouvellement du troupeau d'esturgeons: la Russie et le Kazakhstan. Chaque année ces pays lâchent en mer environ 50 et 20 millions d'alevins.

De nos jours plusieurs lois en Russie réglementent la protection et l'utilisation des esturgeons. Depuis 1993, l'armée est impliquée dans la répression du braconnage. Les gardes-pêche sont investis de pouvoirs étendus en matière de lutte contre le braconnage, ils sont même autorisés à faire usage de leurs armes. Qui plus est, en 1994 le gouvernement a fixé des amendes substantielles sanctionnant les prises illicites d'esturgeons: 510 dollars pour le beluga, 365 pour l'esturgeon du Baïkal, de l'Atlantique et de Sakhaline, 175 pour le sevruga et 45 pour le sterlet.

Quoi qu'il en soit, la garde-pêche, les entreprises halieutiques et même les organes de maintien de l'ordre admettent officiellement que si le marché de l'esturgeon existe, c'est en premier lieu grâce aux braconniers. Stanislav Iliassov a déclaré ceci: "Nous ne contrôlons pas la commercialisation du caviar et des esturgeons, la population et l'Etat subissent un préjudice considérable, les prises d'esturgeons sont l'oeuvre des acteurs du marché parallèle qui se remplissent les poches. Selon les estimations les plus modestes, pour un kilogramme de caviar produit officiellement cinq le sont illicitement". Selon des chiffres officieux, les quantités de caviar produites illégalement sont dix fois supérieures à celles qui sont autorisées.

Bien sûr, les services intéressés sont rendus fébriles par les menaces de l'organisation environnementale internationale de priver le pays de ses quotas de prises légales. Le caviar noir et les esturgeons sont quand même des articles d'exportation lucratifs. Sans quotas, pas question d'accéder au marché extérieur. Or, il s'agit de plusieurs centaines de millions de dollars qui pourraient ne pas être versés au budget fédéral. C'est la raison pour laquelle les services compétents russes s'emploient à rectifier la situation. Le ministre russe de l'Agriculture, Alexeï Gordeev, a mis l'accent sur la nécessité d'établir le monopole de l'Etat sur les prises et la vente des esturgeons et de leurs oeufs. La loi "De la préservation des esturgeons et de l'utilisation rationnelle de leurs réserves" a été examinée par le Conseil de la Fédération (chambre haute du parlement) et elle sera instamment transmise au département juridique de l'administration du président russe pour concertation. Il est envisagé de créer une entreprise publique fédérale dite unitaire dont la mission sera de contrôler rigoureusement la transformation et les ventes des esturgeons. Ce monopole aura un registre d'attributions très étendu, mais il devra aussi rendre des comptes, y compris en ce qui concerne la lutte contre les producteurs illégaux.

Toutefois, rien ne permet de dire que la quatrième tentative faite par les parlementaires pour soumettre cette branche lucrative à un contrôle public débouchera sur des résultats. Des démarches dans cette direction ont été entreprises au cours des douze dernières années mais elles n'ont pas abouti. Ce qui n'est pas étonnant vu les sommes faramineuses circulant dans le secteur parallèle du caviar. Selon le directeur général de l'Institut caspien de la pêche, Mark Karpiouk, son taux de rentabilité est de 1.000 pour cent. De surcroît, ce problème a également un aspect terre à terre. De nombreux bourgs et villages du bassin de la Caspienne vivent exclusivement de la pêche et du caviar du moment qu'il n'y a pas d'autres sources d'emplois. Il est malaisé dans ces conditions de lier les mains des pêcheurs qui n'ont que cette activité pour nourrir leurs familles.

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