Contestation à Moscou: le résultat de la présidentielle remis en cause

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Une seconde manifestation d’envergure s’est tenue samedi dernier dans le centre-ville de Moscou sous le slogan "Pour des élections honnêtes".

Une seconde manifestation d’envergure s’est tenue samedi dernier dans le centre-ville de Moscou sous le slogan "Pour des élections honnêtes". Elle démontre que, contrairement aux espoirs du gouvernement, l’élan protestataire de la population ne fléchit pas : malgré la préparation aux Fêtes de fin d’année, les participants à la récente manifestation de l’avenue Sakharov n’ont pas été moins nombreux que ceux de la place Bolotnaïa, le 10 décembre dernier. Par ailleurs, des critiques plus virulentes du gouvernement, et du premier ministre russe Vladimir Poutine en particulier, de la part de pratiquement tous les intervenants nourrissent les craintes des autorités relatives à la prochaine campagne présidentielle. Le fait est qu’au fur et à mesure que les législatives du 4 décembre s’éloignent et que la présidentielle du 4 mars 2012 approche, le candidat du parti au pouvoir au poste suprême devient de plus en plus la cible principale des manifestants au lieu du parti Russie Unie et de la direction de la Commission électorale centrale de Russie.

Toutefois, cette tendance ne revêt pas encore un caractère critique pour le Kremlin car l’opposition est désunie et ne dispose pas de leader qui pourrait cimenter ses rangs. Les convictions des meneurs actuels, ainsi que leurs exigences sont chaotiques, et l’ancien ministre russe des Finances, Alexeï Koudrine, a rejoint les partisans d’"élections honnêtes" : cet ami de longue date du premier ministre Poutine a proposé, en fait, de faire office de médiateur entre les protestataires et le gouvernement. Cependant si le gouvernement ne reprend pas l’initiative dans le domaine politique et qu’il continue à ne pas prêter l’oreille à l’opinion d’une grande partie de la société, l’opposition est susceptible de créer une structure politique permettant de résoudre efficacement les problèmes logistiques liés à l’organisation de manifestations, selon les politologues.

Près de 50.000 personnes avaient déclaré leur intention de participer à la manifestation de samedi dernier, cependant certains experts estimaient que les organisateurs ne parviendraient pas à réunir une foule aussi nombreuse pour plusieurs raisons : primo, il est extrêmement difficile de tenir longtemps la société en haleine politique, deuxio, le week-end des 24 et 25 décembre était le dernier avant les Fêtes de fin d’année, et il était logique de supposer que les gens préféreraient aller faire leur shopping d’avant les fêtes au lieu de participer à une manifestation. Tertio, il devait faire beaucoup plus froid le 24 décembre que le 10 décembre, quinze jours auparavant.

Toutefois, ces prévisions se sont avérées fausses : les participants sont venus plus nombreux que le 10 décembre. Selon la police, la première manifestation avait réuni près de 25.000 personnes et nettement plus selon les organisateurs. La manifestation du 24 décembre devait réunir 50.000 personnes, d’après les informations préalables. La police a déclaré que l’événement avait culminé avec 30.000 participants en précisant que les organisateurs affirmaient à tort que 120.000 personnes s’étaient rassemblées dans l’avenue Sakharov étant donné que cette dernière n’aurait pas pu les contenir tous. La police a expliqué sa méthode de recensement les participants aux manifestations : elle utilise les statistiques fournies par les lecteurs dont sont équipés les détecteurs de métaux par lesquels les manifestants sont obligés de passer.

Selon un représentant du Centre Carnegie, le gouvernement ne devrait pas espérer que la situation s’apaisera après les Fêtes de fin d’année.

"Il est réjouissant de constater que la décision n’ait pas été prise de réprimer violemment la manifestation, mais les protestations prennent de plus en plus d’ampleur et le nombre de participants augmente. J’ai l’impression qu’ils seront encore plus nombreux par la suite. Auparavant les autorités les traitaient de petits commis de bureau et de jeunes désœuvrés, or il est désormais clair que ce n’est pas le cas", déclare Vladimir Petrov du Centre Carnegie.

Du sang neuf

L’estrade égayée par les slogans "La Russie sera libre" ,  "Les législations ont été une caricature"  et "Les auteurs d’infractions doivent aller en prison" a servi de tribune à des dizaines de personnes, notamment à des adversaires de longue date du gouvernement, des musiciens rock et des hommes de lettres célèbres. Deux nouvelles recrues de la politique publique ont également tenté de jouer un rôle important dans ce jeu. Le premier est le bloggeur et avocat Alexeï Navalny, qui a assis sa réputation sur des révélations relatives à la corruption et a qualifié le parti Russie Unie de "parti d'escrocs et de voleurs ", expression devenue célèbre. Le second est Alexeï Koudrine, ancien ministre russe des Finances et ami de longue date du premier ministre russe Vladimir Poutine, principale cible des manifestants.

Alexeï Navalny n’avait pas participé à la manifestation précédente de la place Bolotnaïa : il purgeait une peine de 15 jours suite à la manifestation de Tchistye Proudy le 5 décembre (dans le sillage des législatives) qui s’était terminée par une marche sur le siège du Service fédéral russe de sécurité brutalement réprimée par la police. Dans les nombreuses discussions en ligne des dernières semaines, certains militants qualifiaient Alexeï Navalny d’homme idoine capable de consolider les rangs de l’opposition, et même ses contacts étroits avec les nationalistes n’effrayaient pas tout le monde.

Sur la tribune, Alexeï Navalny, normalement équilibré et calme, s’est transformé en un orateur utilisant des slogans accrocheurs et a ponctué son intervention de cris lorsqu’il essayait d’allumer la foule avec des slogans tels que "Nous n’oublierons ni ne pardonnerons rien. "  "Ils nous ont chipé nos voix, et nous sommes là pour récupérer ce qui nous appartient", a expliqué Alexeï Navalny. Il a même déclaré devant la foule qu’elle était suffisamment nombreuse pour se lancer à l’assaut du Kremlin (résidence du président) et de la Maison blanche (siège du gouvernement) tout en précisant que l’opposition n’en n'avait pas l'intention pour le moment.

Ces déclarations n’ont pas seulement rendu perplexe la foule. L’un des participants à la manifestation a déclaré que les personnes entourant Alexeï Navalny avaient été manifestement mécontentées par sa diatribe. En guise de réponse aux initiatives de Navalny, Ksenia Sobtchak, célèbre présentatrice d'émissions télévisée, a exhorté à créer un nouveau mouvement politique qui regrouperait tous ceux qui ne trouvaient pas de parti sympathique parmi les forces politiques existantes. Selon Ksenia Sobtchak, ce nouveau mouvement ne devrait pas être dirigé par ceux qui invitent à prendre d’assaut le Kremlin.

Alexeï Koudrine, ex-ministre russe des Finances, est monté sur l’estrade juste avant le début de la manifestation mais n’a pu prendre la parole que deux heures et demie après.

Quelques heures avant la manifestation, Alexeï Koudrine, jamais impliqué auparavant dans la politique publique, a publié un article dans le quotidien russe Kommersant en exprimant son soutien aux principales revendications de l’opposition relatives aux législatives du 4 décembre et a préconisé le limogeage de Vladimir Tchourov, président de la Commission électorale centrale de Russie.

En intervenant devant les manifestants, M. Koudrine a largement réitéré les idées exprimées dans son article. Toutefois, il n’insistait pas sur l’illégalité des dernières législatives, comme le fait l’opposition, mais préconisait l’organisation d'élections anticipées de la chambre basse du parlement russe.

"Aujourd’hui il est nécessaire d’adopter une loi sur les partis politiques, enregistrer de nouveaux partis et de mener une campagne électorale. Seulement ensuite il sera possible d’organiser des législatives. Je propose donc d’inclure dans la résolution de la manifestation l’initiative relative aux élections anticipées. Alors seulement nous pourrons obtenir le pouvoir nécessaire", a déclaré Alexeï Koudrine. Toutefois, son initiative n’a pas été portée dans la résolution adoptée par les manifestants.

Par ailleurs, l’ex-ministre des Finances a préconisé la création d’un groupe spécial chargé de formuler des revendications relatives à la réforme politique et au dialogue avec le gouvernement afin de pouvoir organiser la présidentielle du 4 mars sur de nouvelles bases. Alexeï Koudrine s’est déclaré prêt à contribuer à ce dialogue dans la mesure du possible.

Après la manifestation, M. Koudrine a déclaré aux journalistes qu’il avait déjà fait part à Vladimir Poutine de toutes ses considérations exprimées lors de la manifestation, sans pourtant préciser la réaction du premier ministre.

Mikhaïl Kassianov, ancien premier ministre russe (entre 2000 et 2004), estime que M. Koudrine est en mesure de jouer le rôle de médiateur entre le gouvernement et l’opposition étant donné son poids politique dans l’entourage du premier ministre en exercice. Toutefois, il ignore si le gouvernement est prêt à dialoguer.

Vladimir Poutine, principale cible de l’opposition

Des critiques véhémentes visant Vladimir Poutine ont surtout démarqué la récente manifestation de celle du 10 décembre. De nombreux participants à l’événement ont prononcé des diatribes : non seulement des hommes politiques mais également des vedettes du show business et des journalistes. Ils ont avant tout évoqué l’image de banderlogs (au cours de sa récente intervention télévisée, Vladimir Poutine avait insulté les participants à la première manifestation en les assimilant à des "banderlogs", ces singes fourbes et espiègles que décrit Rudyard Kipling dans Le Livre de la jungle - ndlr). Nous ne sommes pas des banderlogs, répétaient les intervenants chacun à sa façon.

"Les remarques de Vladimir Poutine lors de son intervention télévisée ont également donné lieu à toute une série de slogans et d’accroches anti-Poutine. Il s’agit donc notamment d’une réaction à l’intervention télévisée du premier ministre", estime Mikhaïl Remizov, président de la fondation Stratégie 2020.

Selon les politologues, le rejet de Poutine est pratiquement l’unique point commun des hommes politiques hétéroclites ayant participé à la manifestation.

"Poutine s’est retrouvé à l’épicentre des protestations. C’est avant tout lié au fait que de nouvelles législatives n’auront pas lieu de sitôt et que ce sujet ne pourrait plus consolider les protestataires", estime M. Remizov.

"Le thème des dernières législatives a été le principal sujet de la manifestation de la place Bolotnaïa (du 10 décembre dernier), et beaucoup d’intervenants refusaient ostensiblement d’aborder d’autres sujets. Or, la chambre basse du parlement fonctionne déjà et les prochaines législatives ne sont pas à l’ordre du jour. Aussi bien le gouvernement que les protestataires en sont conscients. Aussi les protestations visent-elles désormais l’élection présidentielle du 4 mars 2012 et l’attitude envers Poutine se trouve-t-elle dans la ligne de mire", déclare M. Remizov.

Mikhaïl Vinogradov, président de la fondation "La Politique", de Saint-Pétersbourg, estime que l’attitude anti-Poutine était facile à prévoir et que le gouvernement aurait pu s’y attendre et y réagir dans le message du président Medvedev (prononcé récemment devant les deux chambres du parlement russe - ndlr). "Le message aurait notamment pu contenir l’initiative de réduire les compétences constitutionnelles du président. Cela aurait constitué la réaction du gouvernement aux manifestations dans la rue", a déclaré Mikhaïl Vinogradov.

Selon Alexeï Moukhine, président du Centre d’informations politiques, "la Russie sans Poutine "est le slogan le plus faible de l’opposition malgré sa portée apparente.

"La question se pose immédiatement de savoir quelle est la suite du programme. Et c’est le point faible de l’opposition. Elle ne dispose pas de figure de proue capable de concurrencer Vladimir Poutine", déclare M. Moukhine.

Le programme du gouvernement

Selon les politologues, en préparant l’élection présidentielle le gouvernement peut et devra tout faire pour que l’opposition ne puisse en aucun cas en contester l’honnêteté.

Selon Mikhaïl Remizov, à la prochaine présidentielle, Vladimir Poutine devrait faire la preuve de son aptitude à remporter une lutte honnête et à reprendre l’initiative politique.

"Poutine a besoin de récupérer la confiance de l’ancienne majorité pro-Poutine ou de créer une nouvelle majorité", estime M. Remizov.

Valeri Khomiakov, directeur général du Conseil de stratégies nationales, déclare que le gouvernement sera forcé de punir les personnes impliquées dans les fraudes commises au cours des législatives du 4 décembre dernier.

"Le gouvernement devrait créer une commission d’enquête pour relever les infractions commises au cours de la campagne législative et y inclure des représentants de l’opposition et les organisateurs des manifestations", estime M. Khomiakov.

Selon Alexeï Moukhine, le gouvernement a déjà commencé à s’approprier les slogans les plus accrocheurs de l’opposition, et le message du président russe Dmitri Medvedev, annonçant une réforme politique d’envergure, notamment les élections des gouverneurs des régions russes, en est la preuve.

"Le gouvernement est en train d’accaparer les meilleurs slogans de l’opposition en ne lui laissant que des slogans marginaux ", estime-t-il.

Selon l’expert, la zizanie se manifeste déjà dans les rangs de l’opposition.

"Les nationalistes revendiquent le devant de la scène, or les libéraux ne veulent pas le céder car le devant de la scène, c’est ce qui compte en premier lieu", a déclaré M. Moukhine.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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