Les avantages et les inconvénients de l'OMC pour la Russie

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Le marathon de pratiquement vingt ans pour l'adhésion de la Russie à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) s'est achevé.

Le marathon de pratiquement vingt ans pour l'adhésion de la Russie à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) s'est achevé. Mardi, la Douma (chambre basse du parlement russe) a ratifié le protocole d'adhésion de la Russie à l'OMC. Les procédures de ratification impliquent également l'approbation du protocole par le Conseil de la Fédération (chambre haute du parlement) et sa signature par le chef de l'Etat. Mais il ne devrait y avoir aucune surprise à ce niveau et par conséquent, dès août, la Russie devrait devenir membre à part entière de l'OMC.

Les avantages: l'OMC contribuera à la modernisation

En dépit de la prise de décisions formelles au niveau gouvernemental et intergouvernemental, les débats au sujet de l'adhésion de la Russie à l'OMC ne se calmaient pas jusqu'à la ratification du protocole. Aussi bien les partisans que les opposants de cette intégration citent de nombreux arguments justifiant leur point de vue.

Le premier ministre russe Vladimir Poutine, actuellement président, en présentant à la Douma en avril dernier son rapport relatif au travail du gouvernement russe en 2011, a indiqué que l'amélioration des conditions concurrentielles en Russie après l'adhésion du pays à l'OMC contribuerait à la modernisation de l'économie nationale.

"Je m'attends à ce que la concurrence accrue donne un coup de pouce à la modernisation de notre économie", a-t-il déclaré. Selon lui, l'adhésion à l'OMC est nécessaire pour mettre à jour les capacités de production. "Nous ne pourrons par moderniser notre économie sans adhérer à l'OMC… Tant que les producteurs russes ne ressentiront pas une véritable concurrence, ils ne s'investiront pas dans la modernisation", estime Poutine.

Le premier ministre actuel Dmitri Medvedev se prononce également en faveur de l'adhésion et espère que le potentiel de l'OMC permettra d'empêcher la transformation de crises locales en crises globales, et que cela contribuera dans l'ensemble à la stabilité économique internationale.

Le premier vice-premier ministre russe Igor Chouvalov, qui a supervisé personnellement les négociations et a procédé à l'analyse et à l'évaluation de toutes les éventuelles conséquences négatives suite à l'adhésion à l'OMC, a assuré en avril dernier aux membres du Conseil de la Fédération que l'adhésion de la Russie à l'OMC ne serait une épreuve difficile ni pour la construction automobile nationale, ni pour l'agriculture - le gouvernement apportera à ces domaines toute l'aide nécessaire grâce à des programmes qui ne vont pas à l'encontre des normes et des principes de l'Organisation.

Igor Chouvalov a une nouvelle fois rappelé aux membres de la chambre haute du parlement que dans le cadre de l'OMC, un plafond de subventions de l'Etat pour l'agro-alimentaire a été fixé à hauteur de 9 milliards de dollars par an avec une réduction progressive jusqu'à 4,4 milliards de dollars pour 2018.

Le ministère russe du Développement économique est également favorable à cette adhésion car, selon le ministère, "l'avantage le plus évident pour le consommateur est la réduction du coût de la vie grâce à la réduction des barrières commerciales. Par conséquent, non seulement les produits et les services importés, mais également les marchandises nationales, vaudront moins cher, et cela concerne avant tout les produits dont la fabrication nécessite des pièces importées."

Toutefois, Maxim Medvedkov, directeur du département des négociations commerciales du ministère russe du Développement économique, déclarait que les prix des marchandises pourraient commencer à baisser d'ici 3-5 ans, mais il est tout a fait possible que cette diminution soit compensée par l'inflation.

Les prix d'un tiers des marchandises diminueront dès l'adhésion de la Russie à l'OMC. Comme l'a expliqué Medvedkov, il est question que les taxes d'importation augmentées pendant la crise en 2008-2009 reviennent à leur niveau initial. En particulier, les taxes sur les voitures particulières neuves passeront de 30 à 25%.

Les taxes d'importation d'encore un quart de marchandises seront revues à la baisse au niveau convenu par les négociateurs trois ans plus tard. Les plus longues périodes d'entrée en vigueur des taxes prévues sont de 8 ans pour la volaille, et de 7 ans pour les voitures, les hélicoptères et les avions civils.

Par ailleurs, certaines innovations concernant l'adhésion de la Russie à l'OMC entreront en vigueur bien plus tard. Ainsi, les compagnies d'assurance étrangères pourront ouvrir leurs succursales directement sur le territoire russe seulement 9 ans après l'adhésion du pays à l'Organisation mondiale du commerce.

Maxim Medvedkov indique également que pour la dernière année de la période de transition de 7 ans, le budget fédéral russe pourrait perdre près de 230-240 milliards de roubles (environ 5,7 milliards d'euros) en raison de la diminution des taxes douanières prévue après l'adhésion du pays à l'OMC.

Il a toutefois souligné que ces pertes étaient possibles si les échanges commerciaux restaient à leur niveau actuel à la fin de la période de transition de 7 ans, mais selon lui, ces derniers devraient augmenter.

Viktor Vekselberg, président de la fondation Skolkovo, a déclaré dans une interview accordée à la chaîne RT que les entreprises russes seront aidées au mieux pour promouvoir leurs produits sur les marchés étrangers, ce qui deviendra une partie importante de la politique étrangère économique de l'Etat.

Igor Iourguens, vice-président de l'Union russe des industriels et des entrepreneurs, est convaincu qu'après l'adhésion à l'OMC, la Russie recevrait jusqu'à 2 milliards de dollars supplémentaires par an pendant plusieurs années grâce à l'annulation des décrets sur ce qu'on appelle les enquêtes anti-dumping. Il s'attend à un intérêt plus grand pour l'économie russe de la part des investisseurs étrangers, qui recevront des garanties supplémentaires sous la forme du statut de membre de la Russie au sein de l'Organisation.

Les inconvénients: la majorité des compagnies devront affronter les chars avec un balai

Les opposants à l'adhésion à l'OMC ont également des arguments. Mikhaïl Emelianov, député de Russie Juste, a déclaré pendant les audiences à la Douma: "Où trouver l'argent pour moderniser l'économie afin d'améliorer la rentabilité des entreprises? Emprunter… Mais qui délivrera des crédits à des entreprises déficitaires?".

Konstantin Babkine, président de l'association Rosagromach (des producteurs de matériel agricole), déclare qu'en partant des "conditions d'adhésion de la Russie à l'OMC qu'on connaît, les spécialistes prédisent des conséquences très graves. Les taxes sur l'importation des engins agricoles seront considérablement réduites, ce qui signifie que le marché russe sera inondé par du matériel étranger d'occasion. Le matériel étranger recevra toute sorte de subventions, mais la Russie n'aura aucune possibilité d'augmenter ses exportations. La production nationale ne sera plus rentable." Konstantin Babkine estime le total des pertes à 1.500 milliards de roubles par an, soit environ 37 milliards d'euros, suite à l'adhésion de la Russie à l'OMC.

Vadim Varchavski, conseiller à RAT (trust agro-alimentaire russe), évoque la production de viande: "Du point de vue des analyses des conditions que nous avons signées, je peux dire qu'une catastrophe attend la production de viande nationale." Si la Russie acceptait les conditions de l'OMC, la production connaîtrait une baisse. Vadim Varchavski craint que des dizaines de milliers de personnes perdent leur emploi.

Guerman Zverev, président de l'organisation à but non lucratif "Association des pêcheurs de morue", a parlé de l'impossibilité de contrôler les normes sanitaires dans le cadre de l'OMC. Selon lui, des produits alimentaires de mauvaise qualité inonderont le marché russe.

Mikhaïl Deliaguine, directeur de l'Institut des problèmes de la mondialisation, fait remarquer que l'adhésion de la Russie à l'OMC sera principalement profitable aux grandes entreprises privées qui souffrent de l'infranchissable bureaucratie russe. Toutefois, la majorité des entreprises locales devront "affronter les chars avec un balai".

"La Russie refuse la protection intégrale de son marché, en d'autres termes, nous ne pourrons pas, par exemple, limiter les importations", déclare l'expert. L'adhésion de la Russie à l'OMC dans le cadre de la dépression économique croissante dans le monde, selon l'économiste, est "un énorme cadeau fait à l'Occident, principalement l'Union européenne."

Mikhaïl Khazine, président de la société de conseil Neokon, qui ne voit non plus aucun avantage de cette adhésion, déclare que "l'OMC est un mécanisme pour promouvoir des produits high-tech sur le marché extérieur. La Russie en exportait au début des années 1990, mais plus aujourd'hui. Quant aux investissements, je pense qu'il n'y en aura pas: nous n'avons pas la main-d'œuvre la moins chère, et on ignore pourquoi une entreprise s'installerait en Russie au lieu des pays plus avantageux de ce point de vue, tels que la Chine ou l'Indonésie."

Les opposants à l'adhésion à l'OMC ont même proposé d'organiser un référendum national à ce sujet, mais la Commission électorale centrale de Russie a jugé que c'était impossible. La tentative d'une partie des députés de faire reconnaître le protocole d'adhésion comme transgressant la constitution russe n'a pas non plus donné de résultat: le lundi 9 juillet, le président de la Cour constitutionnel de Russie, Valeri Zorkine, a prononcé la décision selon laquelle le protocole était reconnu comme valide.

Vu sous l'angle étranger

Auparavant, dans une interview accordée à la chaîne RT, le commissaire européen au commerce Karel de Gucht a dit être assez sceptique quant aux avantages de l'adhésion à l'OMC pour la Russie par rapport à la Chine.

"Je ne pense pas que le scénario chinois se reproduise. Ce que les Chinois ont accompli est grandiose du point de vue historique. Ils créent une économie diversifiée, avec un grand nombre de secteurs. L'économie russe en compte beaucoup moins", a-t-il affirmé.

Le commissaire européen a fait remarquer que l'adhésion à l'OMC ne profiterait à la Russie que si elle décidait de moderniser son économie. "Il n'est pas exclu que la Russie emprunte la voie de la modernisation de son économie, ce qui implique de mettre en place de nouveaux secteurs économiques. Dans ce cas, l'adhésion à l'OMC profitera à la Russie. Mais une fois encore, tout dépendra de la Russie elle-même", a indiqué M. De Gucht.

L'agence de notation internationale Moody's exprime une opinion nuancée. L'adhésion de la Russie à l'Organisation mondiale du commerce aura un impact positif sur les entreprises qui travaillent dans la vente alimentaire et non alimentaire au détail, mais cela affectera les producteurs d'engins agricoles et les constructeurs mécaniques, estiment les spécialistes.

"Les conditions de l'adhésion de la Russie à l'OMC impliquent une réduction des taxes d'importation de 10% à 7,8% en moyenne, ce qui dans l'ensemble devrait profiter aux consommateurs, stimuler la demande et aider les entreprises qui sont des grands importateurs, précise le communiqué de l'agence. Cependant, nous estimons que l'adhésion à l'OMC sera certainement préjudiciable pour les producteurs nationaux de matériel et d'équipements agricoles."

Selon l'agence, la perte d'une part du marché et la baisse des ventes, et par conséquent la diminution de la rentabilité, pourraient représenter un risque pour le Groupe GAZ ainsi que pour la société KAMAZ.

En particulier, Moody's s'attend à ce que les vendeurs au détail tels que X5 Retail Group, le réseau de supermarchés Azbouka Vkousa (Abécédaire du goût), O'Key et M.Video tirent avantage de l'adhésion de la Russie à l'OMC.

Selon les experts de l'agence, les fabricants de métaux ferreux et non ferreux et de produits chimiques devraient augmenter leur production, mais les conséquences positives de l'adhésion à l'OMC dans ces secteurs ne seraient visibles qu'à plus long terme. Néanmoins, l'agence de notation s'attend à ce que les sociétés telles que le Combinat métallurgique de Novolipetsk et Severstal tirent profit de l'adhésion de la Russie à l'OMC.

Selon l'agence Moody's, le statut de membre de l'Organisation mondiale du commerce devrait contribuer au développement d'un milieu commercial plus transparent et prévisible, ce qui offrira de nouvelles opportunités pour les investisseurs russes et étrangers.

"La Russie dispose d'un arsenal complet d'outils pouvant être utilisés au cours de l'adhésion afin de compenser l'impact négatif sur certains secteurs. Par exemple, le programme pour la stimulation des investissements privés et l'amélioration de la compétitivité, les subventions au profit du secteur agricole et divers avantages fiscaux. Néanmoins, le niveau du soutien dépendra de la décision des autorités et de la politique économique", estime Moody's.

Résumé

Voici comment Vadim Kapoustkine, professeur à la faculté économique de l'université d'Etat de Saint-Pétersbourg, a résumé les avantages et les inconvénients de l'adhésion de la Russie à l'OMC.

Les avantages:

1. La Russie pourra participer à l'établissement des règles du commerce international. Auparavant, la Russie était incapable d'influer sur ce processus.

2. La Russie connaîtra une diminution des prix sur la majorité des produits et des services, une amélioration de leur qualité et un plus grand choix grâce à une concurrence plus importante sur le marché national.

3. Il sera plus facile pour les exportateurs russes de vendre leurs produits à l'étranger. Les exportateurs de métaux et d'engrais minéraux en tireront le plus grand avantage, car ces produits font actuellement l'objet du plus grand nombre de restrictions.

4. L'adhésion à l'OMC pourrait pousser les acteurs du marché russe à agir de façon plus transparente: désormais, leur activité sera non seulement sous le contrôle des autorités russes, mais également d'autres pays.

5. La Russie deviendra plus attrayante pour les investisseurs étrangers.

Les inconvénients:

1. Pour les producteurs disposant d'une mauvaise base technique, de technologies obsolètes et ayant beaucoup de frais, l'augmentation de la concurrence pourrait entraîner leur disparition du marché. Et il ne s'agit pas de simples pertes de certaines entreprises, mais de la perte d'emplois et d'impôts.

2. Les villes mono-industrielles pourraient connaître une explosion sociale si l'entreprise clé de la ville fermait suite à la concurrence accrue.

3. L'adhésion à l'OMC est susceptible d'entraîner la perte de certains secteurs économiques. Par exemple, la concurrence pourrait provoquer la cessation de la production des avions civils. Etant donné qu'en Russie, les conditions naturelles sont plutôt difficiles, certains producteurs agricoles pourraient être contraints de fermer leur entreprise.

4. Le respect des droits de la propriété intellectuelle sera contrôlé de manière plus stricte: évidemment, pour les produits de marque, il faudra payer plus que pour leur contrefaçon.

5. Les revenus de l'Etat connaîtront une baisse en raison de la diminution des taxes sur les marchandises importées.

En août 2012, avec l'adhésion de la Russie à l'OMC, la vie économique de la Russie ne changera certes pas en un claquement de doigt. Le temps nous donnera la réponse définitive pour savoir ce qu'apportera à la Russie l'adhésion à l'Organisation mondiale du commerce, et vu la situation économique mondiale difficile à l'heure actuelle, cette réponse ne devrait pas tarder.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

 

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