Ce rendez-vous « en petit comité » est une tradition longue de presque quinze ans, elle porte le nom de « Processus de Blaesheim ».
Les hauts convives n'ont fait aucune déclaration à la presse mais d'après une information issue de l'entourage du chef de l'État et citée par Le Point ils ont eu « un échange sur les perspectives européennes et les questions d'actualité, la sécurité et le terrorisme, mais aussi l'Ukraine »
Imaginons leur menu…
Entrée. Vache maigre sur fond d'austérité
Monsieur Hollande est un homme courtois, il n'a certainement pas attaqué de bout en train Madame la Chancelière sur ses déclarations sur l'insuffisance des réformes des finances françaises. « La Commission européenne a établi un calendrier selon lequel la France et l'Italie devront présenter des mesures supplémentaires, » — a rappelé en décembre dernier Angela Merkel. On se souvient parfaitement de cet affront de Madame la Chancelière qui a pointé du doigt la France en tant que mauvais élève dans cette classe d'apprentissage européenne. Pourtant elle a essayé de minimiser les tensions entre Paris et Berlin en englobant l'Italie dans son constat. Elle se retranche par ailleurs derrière l'analyse de Bruxelles pour critiquer la France. Les cas italien et français ont été à l'époque perçus différemment en Allemagne: on est resté plus indulgent envers le président du Conseil italien, Matteo Renzi. Mais on a fait clairement comprendre que les réformes de François Hollande se faisaient attendre.
La zone euro est considérée comme une zone fragile par l'Institut Français des relations internationales (IFRI) qui tire la sonnette d'alarme. Ses analystes affirment que la quasi-récession que connaît la zone euro est un motif de grave préoccupation. L'atonie de la croissance se double d'un phénomène tout aussi exceptionnel: la menace grandissante de déflation. Les experts voient que le déficit de croissance et la trop faible inflation compliquent les ajustements budgétaires structurels encore nécessaires dans certains États européens, notamment en France et en Italie. Professeur de l'Université Paris IX, Pascal Salin, voit plusieurs éléments dans la situation de crise européenne aujourd'hui. « Il faut distinguer la situation de ce qu'on peut appeler « l'économie réelle » de la situation monétaire, — souligne le professeur, — la monnaie est en baisse, mais c'est simplement le résultat du fait que la Banque Centrale Européenne a misé sur une politique d'expansion monétaire plus importante. Par conséquent, les opérateurs sur les marchés prévoient qu'il y aura des augmentations de prix, une bulle financière, peut-être… Il en résulte une baisse de l'euro. Ce n'est pas le signe de la crise, mais le résultat d'une politique monétaire. Je récuse cette situation parce que je considère comme grande illusion les tentatives de résoudre les problèmes économiques par des manipulations monétaires, en créant la monnaie ou en la dévaluant. » Le professeur Salin voit également un problème dans ce qu'il appelle l' « euro-sclérose »: il s'agit de la faible croissance, d'un taux élevé de chômage. C'est le cas de la France. Mais, d'après Pascal Salin, ce cas ne s'explique pas par des facteurs monétaires, mais par l'excès de fiscalité, des réglementations paralysantes sur le marché du travail ou on détruit l'incitation des individus de travailler, d'entreprendre, d'épargner… Ces problèmes ne peuvent être résolus que par les réformes profondes des systèmes fiscale et règlementaire.
Plat de résistance. De résistance au terrorisme
En 2001, les Etats-Unis ont trouvé une réponse à la hauteur de l'émotion provoquée par les actes terroristes du 11 septembre. Le gouvernement a adopté une « Loi pour unir et renforcer l'Amérique en fournissant les outils appropriés pour déceler et contrer le terrorisme »: le fameux « Patriot Act ». La réponse de l'Europe ne risquait pas d'être la même. Les raisons sont multiples. Et la principale reste toujours l'existence de l'Europe « à deux vitesses », bien que différemment. Tous les pays ne sont pas concernés de la même manière par cette menace. D'après les différents sources, plus de 500 Allemands auraient rejoint les rangs des djihadistes en Syrie, et 180 environ en seraient revenus, selon les sources gouvernementales, l'Allemagne est en train de renforcer encore son arsenal législatif. Une loi en préparation permettra aux autorités allemandes de confisquer non seulement les passeports, mais aussi les cartes d'identité des candidats au djihad. La France, s'inspirerait-t-elle de son voisin? Alors que de nombreuses personnalités politiques, du Premier-Ministre aux dirigeants des associations, déclarent que « la France est en guerre contre le terrorisme », alors que selon le gouvernement français, plus de mille Français étaient impliqués dans des filières vers la Syrie et l'Irak et plus de trois cents y combattaient, alors que plus de deux cents en sont revenus. La France est-elle prête à modifier (disons « durcir ») ses lois, sachant que le Parlement français vient d'adopter une nouvelle version de la Loi contre le terrorisme en novembre 2014?
Dessert. Un gâteau ukrainien à partager…
Les pays de l'Otan déclaraient à plusieurs reprises ne pas vouloir se mêler de près du conflit ukrainien. Mais aujourd'hui Washington réfléchit à la possibilité de fournir des armes à Kiev. Certainement, les chefs français et allemands ont abordé la situation en Ukraine.
« La France est assez occupée au Mali, au Niger, au Centrafrique, — signale notre expert, General Jean-Michel Vernochet, — Il ne faut pas oublier la participation de la France dans la coalition anti-Etat islamique qui regroupe 50 Etats et qui est dirigée par les Etats-Unis. Je pense que si le front devait devenir actif, c'est le front « euro-islamique », mais a ceci prêt qu'on n'a pas découplé le front ukrainien du front proche-oriental. La guerre anti-Etat islamique est une sorte de leurre sous couvert de cette lutte que veut Monsieur Hollande en tant que combat ultime. Il en a parlé à plusieurs reprises: lors des vœux devant le corps diplomatique présent en France, ainsi que lors de ses vœux adressés à l'Armée française depuis le pont du porte-avion Charles de Gaulle.
On ne peut pas distinguer (pour la France) le front ukrainien du front du Levant, puis que ce sont deux aspects de la même lutte. Au final, c'est la lutte contre la Russie et ses alliés. Il y a un partage des tâches: Madame Merkel s'occupe de l'Europe orientale, Monsieur Hollande s'occupe des « marches » proche-orientales et arabes de l'«Empire » Mais je pense qu'ils sont d'accord sur le principe»
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On trouve sur un réseau social un avis sur le restaurant où se sont rencontrés Angela Merkel et François Hollande: « Situé à l'abri des rues courues de Strasbourg, ce restaurant tient largement ses promesses sans avoir besoin de tomber dans l'excès de chichis. » C'est un peu plus difficile pour les leadeurs européens de tenir leurs promesses… et la note risque d'être salée.