Conservatisme occidental: la guerre est à l’intérieur

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Alastair Crooke, fondateur et directeur de Conflicts Forum, pour Sputnik.

Dans un article récent du Spiegel, qui tranche de manière significative avec le discours politique habituel, deux généraux de l'Otan sont accusés d'avoir menti en rendant la Russie responsable de l'escalade militaire et d'une intervention en Ukraine (au moment même où nous sommes témoins d'une courte période d'arrêt des hostilités entre Kiev et le Donbass suite aux accords de Minsk 2). "Le gouvernement allemand est inquiet", indique l'article: "Pourquoi les Américains cherchent-ils à anéantir les efforts européens de médiation menés par la chancelière Angela Merkel?". Les proches de la chancelière faisaient référence à des commentaires de M. Breedlove qualifiés de "propagande dangereuse".

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En continuant la lecture, on se rend compte que ce n'est pas l'administration américaine qui est dans le viseur de Berlin, mais plutôt les ‘faucons' (néo-conservateurs) en général: « Quand il s'agit d'envoyer des armes en Ukraine, Victoria Nuland et le Général Breedlove travaillent main dans la main. Lors du premier jour de la conférence de la sécurité à Munich, tous deux ont eu un rendez-vous à huis clos avec la délégation américaine pour évoquer la stratégie commune visant à rompre la résistance européenne face à la politique consistant à armer l'Ukraine. C'est Nuland qui a commencé le coaching: « Vous devez insister sur le fait que la Russie mise de plus en plus sur les armes offensives alors que nous essayons d'aider les Ukrainiens à se défendre de ses systèmes armés, a dit Nuland ».

L'Ukraine et la diabolisation du Président Poutine ne sont que deux exemples parmi d'autres. Les néo-conservateurs cherchent à propulser leur idéologie dans d'autres cas: la même chose est arrivée pendant les négociations sur le nucléaire iranien ou lors des tentatives de renverser le Président Assad.

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L'auteur explique par la suite que le programme idéologique repose sur les idées d'Edmund Burke, un philosophe irlandais du 18e siècle. Ne croyant pas à l'efficacité des gouvernements, les néo-conservateurs préfèrent se focaliser sur l'intrusion dans la vie de citoyens. On peut observer un certain rapprochement entre les néoconservateurs et néolibéraux, mais là où les néolibéraux recherchent la restructuration économique globale, la privatisation etc., les néo-conservateurs sont intéressés pas l'accumulation du pouvoir exécutif. D'après l'auteur, ces deux groupes se livrent une lutte à mort. Stephen Walt remarque que les néoconservateurs n'admettent jamais les erreurs de leur politiciens (guerres, changements de régimes etc.), et ne s'excusent jamais.

On remarque cette divergence idéologique dans l'approche anglo-saxonne ambiguë envers le Président Poutine et la Russie: les néo-conservateurs burkiens ont été à l'origine compréhensifs concernant les choix du Président Poutine vis-à-vis de la Crimée et l'Ukraine de l'Est.

L'auteur explique que cette compréhension se termine au moment où les néo-conservateurs se rendent compte que Poutine a de grandes ambitions, car ils sont hostiles à toute démonstration de la force nationale et d'un homme fort, ce que Poutine semble représenter pour eux.

L'auteur continue en expliquant la volonté de diaboliser Poutine et de provoquer un changement de régime, objectif en vertu duquel ils manipulent l'opinion publique, comme c'était le cas avec la Syrie et le Président Assad.

L'orientation burkienne du conservatisme ne veut pas de guerre avec la Russie (croyant que l'occident fera marche arrière avant qu'on n'en arrive à la guerre), et partagerait l'opinion de la chancelière allemande sur l'agressivité de l'Otan et de Victoria Nuland liée au désir d'entraîner l'Europe dans leur fantasme du renversement de Poutine.

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Il est clair que le débat ne porte pas ici sur le conservatisme occidental: il s'agit d'une bataille idéologique qui fait actuellement rage à Washington et dans certaines parties de l'Europe. Par conséquent, cette guerre dans la sphère anglo-européenne projette progressivement sa désintégration et son chaos partout dans le monde (dans une lettre ouverte à l'Iran, les 47 sénateurs américains républicains demandent aux Iraniens de ne pas croire ce que le président américain dit sur l'accord nucléaire iranien, ou bien Breedlove qui fabrique les histoires d'invasion militaire des Russes en Ukraine afin de persuader les Européens de livrer des armes létales à Kiev). Cette bataille idéologique génère une incohérence stratégique dans plusieurs sphères (la « guerre contre l'EI », où les « faucons » ont un intérêt (renverser le président Assad et affaiblir l'Iran) et les « burkiens » ont un autre but (démanteler l'EI).

Les politiciens burkiens gardent l'espoir que les Russes sauront "décrypter" les signaux venus de l'Occident correctement, et que Poutine saura faire la distinction entre les néo-conservateurs et les instincts burkiens d'Obama. Toutefois, ceci pourrait ne pas être le cas.

Il se peut qu'Obama lui-même soit perçu en tant que burkien, son insistance sur l'"exception" et le caractère indispensable des Etats-Unis venant tout droit du néo-conservatisme de Carl Schmitt, de l'Ecole de Chicago. Comment peut-on espérer des Russes qu'ils fassent des distinctions entre ses orientations, et sachent quelles sont les véritables intentions des Etats-Unis envers la Russie? Ils ne le peuvent pas, puisque les signaux ne sont pas cohérents. Et ils se préparent au pire.

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Mais justement, en se posant la question de savoir s'il est pertinent de prendre les instincts d'Obama pour la vérité, Der Spiegel remarque que « Barack Obama semble quasiment isolé ». Il a supposé les efforts diplomatiques de Merkel, mais n'a rien fait pour faire taire ceux qui cherchent à exacerber les tensions avec la Russie et à justifier l'envoi d'armes à l'Ukraine. Des sources à Washington affirment que les commentaires de Breedlove sont confirmés auprès de la Maison Blanche et du Pentagone. Ils disent que le général a le rôle du « super faucon » chargé d'exercer un pression croissante sur les partenaires transatlantiques les plus circonspects ».

Mais si Breedlove doit encore persuader ses partenaires européens, ses rhétoriques ont un résultat bien différent de celui escompté, au moins au niveau de l'opinion publique russe, où les Russes perçoivent désormais les Etats-Unis de manière plus défavorable que pendant le Guerre Froide.

Alors que fait réellement Obama? La mobilisation de l'Otan est en cours, la Russie et son peuple se préparent à la guerre. L'aspect technique de la mobilisation, même 100 ans après la Grande Guerre Mondiale, reste un déclencheur mécanique (un déclencheur plutôt technologique maintenant). Celui-ci nous fait penser au 1er aout 1914, lorsque le Kaiser Guillaume II a tenté de mettre en pause la mobilisation allemande, mais ses généraux lui ont dit que ce n'était pas possible: 11 000 trains étaient en route, et la guerre ne pouvait pas être arrêtée. Maintenant, ce sont les missiles nucléaires qui sont en route — l'armée américaine envoie de l'équipement en Lettonie, et le ministre russe des Affaires étrangères confirme officiellement la présence d'armement nucléaire en Crimée. 

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