Cyrille Bret, Florent Parmentier
La conférence de l'ancien Président sur la situation internationale au prestigieux Institut d'Etat des relations internationales de Moscou (MGIMO) a été suivie d'un entretien avec Vladimir Poutine. Au-delà des traditionnelles déclarations passionnées et des formules plus ou moins convenues sur la grandeur de l'amitié franco-russe, des rituels existants entre les deux hommes depuis la médiation de Nicolas Sarkozy dans la guerre russo-géorgienne de 2008, quelles perspectives se dressent en cas de victoire de Nicolas Sarkozy à l'élection présidentielle de 2017? Nicolas Sarkozy donnerait-il alors un nouveau cours aux relations tumultueuses entre Paris et Moscou, émaillées de l'annulation de la vente des Bâtiments de Projection et de Commandement de classe Mistral (BPC), de plusieurs vagues de sanctions et d'un soutien répété au président ukrainien, Piotr Porochenko? Rien n'est moins sûr: en dépit de la rhétorique conciliante adoptée par Nicolas Sarkozy à Moscou, plusieurs forces de rappel structurelles entravent le développement d'un partenariat franco-russe décomplexé.
Plus récemment, le 10 février 2015, Nicolas Sarkozy avait, concernant la crise en Ukraine, repris plusieurs des argumentaires du Kremlin: il avait ainsi souligné les liens historiques de la Crimée et de la Russie, mis sur un même plan l'autodétermination des populations du Kosovo et celle de la Crimée, appelé à une protection des minorités russophones en Ukraine contre les politiques discriminatoires du gouvernement central et appelé au renforcement des liens avec la Russie.
Dans la même lignée, dans son allocution au MGIMO, Nicolas Sarkozy, largement relayé par la presse russe a soigneusement souligné tous les points de convergences entre Vladimir Poutine et lui-même dans la situation actuelle: il a tout d'abord appelé à la levée des sanctions envers la Russie et s'est ainsi positionné, en rupture avec François Hollande, dans le camp de ceux qui, en Europe, comme la Hongrie, la Grèce ou l'Italie, souhaitent abandonner la politique de fermeté vis-à-vis de Moscou inspirée par la Pologne, les Etats baltes et appuyée par Berlin. L'ancien Président a également appelé à former un front uni des Européens, des Russes et des Américains contre le djihadisme international: ayant les mêmes ennemis, subissant les mêmes menaces et étant exposés aux même risques mondiaux, France et Russie sont naturellement alliés sur la scène internationale. En somme, le leader français semble s'aligner sur les positions défendues depuis longtemps par la présidence russe et proclamées urbi et orbi le 28 septembre 2015 à la tribune de l'ONU par Vladimir Poutine au moment de déclencher l'opération militaire russe en Syrie.
Certains l'espèrent, au sein du parti même de l'ancien Président. Un des grands succès de Vladimir Poutine est précisément d'avoir réussi, dans plusieurs pays d'Europe, à une reconfiguration des lignes inter- et intra-partisanes autour de sa personne et de son action. Ainsi, à l'intérieur du mouvement des Républicains, les clivages passent aussi entre les pro- et les anti-Poutine. Par son déplacement à Moscou, Nicolas Sarkozy envoie un signal à l'aile la plus conservatrice de son parti: le combat pour les valeurs chrétiennes et les valeurs traditionnelles, la lutte contre le terrorisme et les migrations illégales, la promotion d'un Etat fort et d'un patriotisme décomplexés, voilà tous les éléments que le futur candidat à l'élection présidentielle rassemble à Moscou en bénéficiant de l'aura du président russe.
Toutefois, plusieurs forces de rappel se manifestent dans les déclarations de Nicolas Sarkozy et dans la structuration même de l'action extérieure de la France. Ainsi, le leader français a-t-il préservé, malgré les apparences, plusieurs fils rouges de la diplomatie française de la décennie écoulée: le maintien au pouvoir de Bachar al-Assad, souhaité officiellement par les autorités russe, est, selon lui, un obstacle à la résolution politique de la crise syrienne; en outre, il est possible et nécessaire de faire la différence, au sein de l'opposition syrienne, entre les modérés et les radicaux, contrairement aux thèses soutenues par le président russe, qui a déclaré vaine cette distinction lors de la récente réunion du club Valdaï à Sotchi en rayant l'idée d'un « terrorisme modéré ». Enfin, l'idée d'un changement de régime (le regime change néo-conservateur tant honni par le président russe) est repris comme une nécessité par l'ancien Président français.
En somme, à Moscou, Nicolas Sarkozy se pose moins en alternative à la politique russe de François Hollande qu'il ne reprend la ligne traditionnelle des chefs de l'opposition française à l'étranger: lancer quelques formules indirectes contre l'action du chef de l'Etat français, bénéficier de l'aura de son hôte, mais reconduire en fait la ligne politique traditionnelle du pays.
On comprendra dans ces conditions qu'un réalignement franco-russe majeur n'est pas à l'ordre du jour.
Cyrille Bret est expert dans le domaine des hautes études de défense nationale, haut fonctionnaire et universitaire français, créateur avec Florent Parmentier du blog Eurasia, professeur à Sciences-P.
Florent Parmentier est maître de conférence à Sciences Po Paris.
Ils sont coauteurs du blog EurAsia Prospective.