Contre qui la coalition antiterroriste saoudienne est-elle dirigée?

© AP Photo / Hasan JamaliUn homme saoudien passe l'Al Faisaliah Center, Riyad, Arabie Saoudite
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L’Arabie Saoudite annonce la formation d’une grande coalition de pays musulmans pour lutter contre le terrorisme. 34 pays réunis autour de Riyad, dont la grande rivale, Téhéran, est absente.

Mardi 15 Décembre, l'Arabie Saoudite a annoncé, par la voix de son ministre de la Défense et futur prince héritier, Mohamed bin Salman, la formation d'une « coalition islamique antiterroriste »: Une coalition qui regroupe 34 pays, musulmans, aussi bien du Moyen et Proche Orient que du continent Africain. Des pays tous unis autour d'un même objectif; celui de « combattre le terrorisme ».

Drapeau saoudien - Sputnik Afrique
Riyad: une coalition contre qui?
Riyad annonce ainsi la création d'une nouvelle alliance militaire internationale, dont le centre névralgique sera basé dans la capitale saoudienne. Dans une interview accordée à Sputnik Arabic, Anwar Ashqi, un ancien général de division de l'armée saoudienne aujourd'hui à la tête du Centre Moyen-Oriental d'études politiques et stratégiques de Jeddah, nous a donné un avant-gout des prérogatives du futur centre opérationnel:

« Le centre d'opération à Riyad, sera responsable de coordonner et de mener à bien les opérations militaires. Il pourrait demander à la Turquie de l'armement et différents moyens pour combattre les organisations de la terreur qui utilisent l'Islam, avec lequel elles tentent de justifier leurs besoins et leurs crimes ».

De nombreux médias présentent cette mesure comme la réponse à une demande par les Etats Unis d'une plus grande implication des pays arabes dans la lutte contre Daech, sur les fronts Syrien et Irakien. On notera que l'Arabie Saoudite est déjà engagée dans ce domaine sous la houlette des américains, il s'agirait donc là de l'opportunité pour le royaume de se démarquer de son parrain américain.

Notamment sur un plan opérationnel, comme le fait remarquer le général de brigade aérienne Jean-Vincent Brisset, directeur de recherche à l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS):

« Cette coalition est dirigée, pilotée, par les USA; donc l'Arabie Saoudite n'est pas à la tête de la coalition. Alors que là, cette nouvelle organisation anti-terroriste permettrait de créer des circuits, en particulier des circuits d'échanges de renseignements et d'informations variées, qui seraient différents de ceux qui passent par les Etats-Unis. Cela permettrait d'échanger sans que les Etats-Unis soient forcément au courant ».

​​Mais également sur un plan géopolitique, comme nous l'explique Romain Mielcarek, journaliste indépendant et chercheur associé à l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE):

« L'objectif de l'Arabie Saoudite est de se positionner comme un acteur incontournable sur la scène internationale. Un positionnement en tant que leader régional; on va essayer d'emmener un certains nombres de pays de la région, […] de pays musulmans et essayer de peser sur l'échiquier global. En disant voilà, il y a un certain nombre de puissances qui ont réussi à se positionner en leaders: les Etats-Unis, la Russie, pourquoi pas l'Iran ou la France et bien nous aussi saoudiens, on est capable d'emporter un certain nombre de pays, qui vont choisir d'adhérer à nos objectifs, qui vont pousser nos objectifs, et de cette manière-là on va pouvoir peser sur l'agenda international. Nous, ce que l'on veut c'est supprimer tels types d'ennemis, réduire l'influence de tels types de pays et tous ces pays mobilisés sont d'accord avec nous; donc quand l'Arabie Saoudite s'exprime ce n'est pas que l'Arabie Saoudite ce sont tous ces pays-là ».

Soldats saoudiens - Sputnik Afrique
L'Arabie saoudite forme une coalition islamique anti-terroriste de 34 pays
Réduire l'influence de certains pays…L'un d'entre eux semble se dégager assez facilement… l'Iran. Car dans la poursuite de cette noble cause, qui est la lutte contre "toute organisation terroriste", pour reprendre les mots du prince Mohamed, plusieurs pays actuellement déstabilisés par ces derniers, manquent à l'appel: la Syrie et l'Irak, qui sont sous le feu de Daech.

Une absence qui n'en surprendra certainement pas beaucoup; la République Islamique étant considérée comme le principal rival religieux mais aussi géopolitique de l'Arabie Saoudite. Mohammad Ali Mohtadi, chercheur à l'institut stratégique du Moyen Orient à Téhéran a, dans une interview accordée à Sputnik Persian, expliqué que pour lui, la lutte contre le terrorisme n'est vraisemblablement qu'une couverture, et que l'alliance répond avant tout aux intérêts politiques saoudiens. Car il relève que les pays qui luttent aujourd'hui contre des groupes extrémistes, terroristes, adhérant au Wahhabisme, ne sont pas intégrés dans la coalition.

​Quant à la république irakienne, certainement victime de sa proximité avec Téhéran, elle voit depuis 2005 se succéder à la tête de son gouvernement, des premiers ministres issus du Parti islamique Dawa, un parti politique d'engeance chiite. Parallèlement, Jean-Vincent Brisset relève une autre absence: « Quelque chose aussi d'intéressant à noter, c'est qu'Oman n'a pas l'air de faire partie de cette organisation, alors qu'Oman se positionne résolument contre le terrorisme, mais le fait de manière beaucoup plus neutre que l'Arabie Saoudite ».

Une absence iranienne d'autant plus incompréhensible dans le cadre d'une lutte contre le terrorisme pour Thierry Coville, directeur de recherche à l'IRIS et spécialiste de l'Iran. Car la république islamique est certainement le pays qui depuis quatre ans s'est le plus impliqué sur le terrain dans la lutte contre Daech.

Si on est tenté de faire le parallèle entre la levée progressive des sanctions internationales contre l'Iran suite aux accords de Vienne, l'expert rappelle que de nombreux incidents ont exacerbé l'animosité entre les deux pays, notamment avec la mort à la Mecque de plusieurs centaines de pèlerins iraniens lors d'une bousculade.

​Cependant, Thierry Coville s'inquiète de la manière dont, avec une certaine indulgence des pays occidentaux, l'Arabie Saoudite joue ouvertement sur les dissensions religieuses du Moyen-Orient afin de rallier à elle d'autres pays:

« Leur façon de retrouver un statut de puissance régionale, en utilisant la carte sunnite, à mon avis est quand même très dangereux. Du côté de l'Iran ils sont chiites à 90%, mais généralement quand vous lisez la presse iranienne, de la lecture qu'ils font des conflits: ils parlent toujours de positions stratégiques et ne mettent jamais les raisons religieuses en premier… je ne dis pas qu'elles ne sont pas importantes, mais le fait qu'à Riyad on ait une lecture aussi religieuse des conflits est à mon avis une partie du problème ».

Reste à savoir qui sera considéré comme « terroriste » par cette coalition? La semaine passée à Riyad, se sont rassemblées des composantes de « l'opposition syrienne ». Sur les bancs de cette opposition conviée par l'Arabie Saoudite, figuraient de nombreux groupes, salafistes notamment, tels qu'Ahrar al-Sham, proche du front Al-Nosra, ou Jaysh al-Islam, qui figure sur la liste américaine des organisations terroristes. Un soutien à des composantes du Front Islamique que nous explique Romain Mielcarek:

« On sait qu'une bonne partie de ces groupes, pas Al Norsa directement, mais ceux qui font partie du Front Islamique, sont soutenus par un certain nombre de pays du Golfe. Dans le cas d'Ahrar al-Sham, on sait que le Qatar et la Turquie les soutiennent très directement. Ce groupe a d'ailleurs remercié ces pays pour l'aide apportée. On sait également que l'Arabie Saoudite a plutôt tendance à soutenir leurs actions, mais tout simplement parce qu'ils ont un objectif commun, leur objectif commun c'est de faire tomber Bachar al-Assad. A partir du moment où il y a une convergence des intérêts, il n'y a effectivement pas de raison pour l'Arabie Saoudite de vouloir les cibler ».

En effet, pour Romain Mielcarek, il est important afin de comprendre la perception des acteurs étatiques qui régissent aujourd'hui le Proche et le Moyen-Orient, tels que l'Arabie Saoudite, de sortir de notre perception, qui peut parfois être trop manichéenne.

« Désigner un acteur comme étant terroriste, d'un point de vue scientifique, d'un point de vue juridique, ça ne donne malheureusement pas grand-chose, ça ne veut pas dire grand-chose… Parce que tout le monde n'est pas d'accord sur la définition que l'on donne à ce terme, donc là je pense qu'il faut bien comprendre quelles sont les priorités stratégiques, quel est l'agenda que chacun essaie de mettre en place, et du coup comment son action s'inscrit, se construit, pour atteindre ces objectifs. Et tant qu'on voudra essayer de comparer tous les pays, comme s'il y avait un agenda commun pour tout le monde qui coulait de source, comme s'il y'avait de manière caricaturale des gentils et des méchants, on ne pourra pas comprendre ce qui se passe dans la zone irako-syrienne ».

Pour Jean-Vincent Brisset, contrairement à ses homologues occidentaux, l'Arabie Saoudite n'est pas prête de définir les organisations terroristes… « Alors, avant que Riyad publie une liste des organisations terroristes, je crois qu'on a un certain temps à attendre, et ça serait intéressant de voir si Riyad ose le faire, ça m'étonnerait car ça les obligerait à se démarquer ou à condamner des choses qu'ils ont soutenues; ça parait peu probable ».

Rappelons que l'Arabie Saoudite a engagé des opérations extérieures de grandes ampleurs, au Yémen voisin où, comme nous le rappelle Jean-Vincent Brisset, les rebelles Houthis, issus de la minorité chiite zaydite, sont clairement définis par Riyad comme des terroristes…

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