Les Russes veulent-ils la guerre?

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L'objectif politique des USA consiste à forcer la Russie à entrer en guerre avec l'Ukraine, estime Timofeï Sergueïtsev, membre du Club Zinoviev
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Cette question avait été posée à plusieurs reprises à Evgueni Evtouchenko, aux USA, en automne 1961. Il avait répondu en composant une chanson, qui a failli être censurée comme pacifiste. Un an plus tard éclatait la crise des missiles de Cuba, à laquelle la Russie avait réagi par l'action: en reculant tactiquement pour éviter le pire. L'Occident pose une nouvelle fois cette question — et approximativement de la même manière. Ne l'ignorons pas.

La plaie ouverte de l'Ukraine a dévoilé toute l'anatomie de nos relations avec l'Occident. Les faits sont flagrants. Pas besoin de spéculer. Défendre l'évidence face au mensonge est important mais secondaire. Le fond de l'affaire réside dans ces relations mêmes. Et leur principale question ne porte pas sur l'économie ou les sanctions, mais la guerre ou la paix.

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Cette question ne peut pas être réglée sur des fondements particuliers. Ni la culture, ni l'économie, ni la morale, ni la religion, ni le droit, ni les problèmes humanitaires ne disposent d'un caractère systémique suffisant, d'une globalité assez importante en tant que fondements. On peut le formuler autrement. La question de la guerre ou de la paix ne peut pas être réglée en se fondant sur des "valeurs". La paix et la guerre n'ont pas de prix.

Voici un exemple. Quand les propagandistes pro-occidentaux ont commencé à chanter en chœur qu'il ne fallait pas défendre Leningrad parce que le prix à payer était trop élevé, on ne pouvait pas contrer cette affirmation en la qualifiant d'amorale ou allant à l'encontre de la foi — si cela est considéré comme des valeurs et non un fondement de la vie. Après tout, les valeurs ne sont que ce qu'elles sont parce en fin de compte elles représentent une acceptation et appréciation individuelles. Mais c'est ainsi que la morale et la foi sont perçues aujourd'hui.

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Le caractère systémique et global des fondements qui permettraient de régler la question de guerre et de paix: c'est la politique. Ce n'est pas nouveau. La question de la guerre et de la paix concerne tout le monde — bien que le mythe libéral cherche à prouver qu'il s'agit d'une question tout aussi particulière que les autres dans la société. Les Grecs appellent un individu ne connaissant rien à la politique "idiotikos" — idiot. Ce mot signifie également propriété, propriétaire. Autrement dit, celui qui est obsédé par sa propriété est un… C'est pourquoi la condition technique du règlement de la question de guerre et de paix est la compétence politique.

Carl Schmitt, critique du libéralisme, estimait que le politique était aussi totale car la guerre était le point extrême de la politique. La guerre, selon Schmitt, est une affaire commune, publique et vitale. En omettant pour l'instant le débat des libéraux avec Schmitt et contre Schmitt, notons que dans notre situation suffirait la logique contraire et, par conséquent, plus frontale et dure — nous sommes déjà dans cette question de guerre. C'est pourquoi nous devrons penser politiquement, penser totalement, penser de manière systémique. Les valeurs ne nous seront d'aucune aide, on peut toujours y renoncer via l'attitude envers le prix. Or il est question de notre existence.

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En se souvenant d'août 1991
Schmitt voyait la distinction ami/ennemi comme l'extrémité du politique. Les amis et les ennemis sont des adversaires, dans l'extrême des belligérants. J'ajouterais: la politique est l'inclusion, dans ses affaires, du plus grand nombre d'adeptes possible. Mais des amis. Et la séparation de nos affaires communes avec les amis de celles des ennemis. Il ne peut y avoir une économie commune avec des ennemis. Prenez l'exemple des sanctions.

Mais quelque chose s'est produit dans le politique quand il s'est avéré que les ennemis allaient faire la guerre. Aujourd'hui, la guerre en tant qu'entier systémique (et par conséquent la politique) est organisée par un tiers qui crée des "amis" et des "ennemis" à sa guise. En soi, ce tiers se soustrait à l'étiquette "ami" ou "ennemi" pour qui que ce soit. Et même si un tel statut était employé, ce serait forcément un mensonge notoire. Les USA ont obtenu une expérience fondamentale d'extraction de superprofit en tant que tiers, en tant que force "neutre", au-dessus de la division entre "amis" et "ennemis", au XXe siècle au cours des deux Guerres mondiales. Cette expérience a formé leur politique. La participation directe des USA dans ces batailles fut minimale par rapport aux belligérants "principaux", "effectifs". Immédiatement après la défaite de l'Allemagne hitlérienne, les USA sont effectivement "passés" de son côté. Par la suite, ils ont perfectionné cette technique en esquivant effectivement le rôle d'ami de l'URSS, puis de la Russie, mais surtout celui d'ennemi, ce qui est plus important.

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Il n'est plus possible de forcer d'autres à faire la guerre que dans un monde de super-pouvoir. Sans entrer dans les détails des explications de cette notion de Hobbes à Zinoviev en passant par Nietzsche, disons simplement que le super-pouvoir subordonne plusieurs États à un seul sans les intégrer dans son entier en aucun sens — ni politiquement, ni juridiquement. Le monde des États
(il n'en existe pas d'autres) est perçu par le souverain de cet ordre comme un champ pour appliquer son super-pouvoir, qui n'est pas restreint par le droit de s'y opposer, pour assurer la "sécurité" et faire cesser les "guerres de tous contre tous". En d'autres termes, le concept de Léviathan n'est plus appliqué aux sujets-individus mais aux sujets-États. Le fameux principe d'"intégrité territoriale" est justement nécessaire pour interpréter un État comme sujet dans le cadre d'un tel ordre. Dans la réalité historique, les Etats restent encore séparables (c'est-à-dire non-in-dividu). Mais dans la réalité de l'histoire il n'y a non plus aucune guerre de "tous" contre "tous", malgré l'abondance des guerres, sachant que la guerre est pratiquement l'essence de l'histoire. Tout est toujours très concret. Étant donné que la guerre est tout de même en cours, et que le détenteur du super-pouvoir y est impliqué, on utilise la formule de guerre contre l'"ennemi de tous", contre le "mal mondial" — le terrorisme et les terroristes, les "criminels de la planète" en général (pays-voyous). C'est le sort connu par les États qui ne reconnaissent pas la "loi" établie par la volonté du souverain mondial, du Super-Léviathan.

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Bien évidemment, il ne peut être question du droit international dans un tel ordre mondial. Strictement parlant, le droit international est resté en tant que droit au XIXe siècle et a été complètement enterré par les Guerres mondiales du XXe siècle. A l'époque on l'appelait le Concert européen — une entente entre certains États de la civilisation européenne concernant les règles de guerre. Il n'existe plus de telles règles aujourd'hui, et pas besoin de l'accord de qui que ce soit. Le procès de Nuremberg était le dernier acte de droit international. Rien de tel n'est possible aujourd'hui, du moins pour l'instant. Au lieu de la réalité du droit international, sa place est occupée par les organisations internationales jouant le rôle d'instruments du souverain du super-pouvoir.

L'objectif politique des USA est de forcer la Russie à entrer en guerre avec l'Ukraine. Une invasion russe serait la meilleure des solutions. Tout a déjà été fait pour cela, voire l'impossible. L'attaque de l'Ukraine contre la Crimée est également une solution, mais moins efficace. Les USA eux-mêmes doivent rester au-dessus de tout cela pour éviter le rôle d'ami ou d'ennemi. C'est également ce que doivent faire les pays de l'UE. Le monde de "sécurité" "garanti" par les USA pourrait alors voir son prix grimper en flèche. Les deux parties seraient des criminels, des exclus. Et dans l'ensemble — les Russes. Parce qu'en Europe et, qui plus est, dans le reste du monde (disons en Malaisie) on ne distingue pas les Russes des Ukrainiens en principe. Cela signifierait que les Russes agités se seraient battus entre eux. Par conséquent, il faut les séparer et les installer dans les chambres pour les agités. On a donné naissance aux talibans et maintenant, on va les éliminer. On a donné naissance à Saddam Hussein, puis on l'a pendu. On a donné naissance à l'EIIL, qu'on bombarde aujourd'hui. Cela ne vous plaît pas? Mais vous-mêmes (le Vieux Continent dans l'ensemble, l'Europe occidentale, orientale et la Russie) vous ne savez que provoquer des Guerres mondiales, vous n'en avez pas eu assez d'une. Il vaut donc mieux rester sous notre tutelle. Croyez-nous. Mais en voyant l'Ukraine, on ne vous croit pas. On sera certainement mieux sans vous. Sinon il ne restera plus rien du tout de nous à ce rythme.

Nous ne devons pas faire la guerre à l'Ukraine. Pas parce que ce sont nos "frères" (cela n'a jamais gêné personne), mais parce que cela n'a aucun sens politique. On transforme l'Ukraine en "ennemi" de la Russie, mais c'est un faux ennemi, même si son comportement est plutôt convaincant. Toutefois, pendant les deux décennies qu'a duré cette transformation nous n'avons aucunement cherché à l'empêcher. Une guerre ne peut certainement rien préparer, au contraire — seulement achever et régulariser cette transformation de l'Ukraine par le souverain du super-pouvoir. Par conséquent, il ne faut pas céder. Ce que Poutine fait précisément. Pour l'instant.

Mais s'il fallait tout de même faire la guerre, notre objectif politique pourrait être uniquement d'imposer aux USA et aux pays européens d'adopter la position d'ami ou d'ennemi. C'est leur point faible. Difficile à croire que les USA puissent devenir un ami. C'est peu probable. Mais ils ne veulent pas non plus être un ennemi — ces deux étiquettes autant l'une que l'autre les priveraient du statut de souverain du super-pouvoir. Tout s'effondrerait alors — le dollar, le super-pouvoir sur l'Europe (et sur la Russie). Alors qu'ils deviennent un ennemi. Nous y survivrons. Nous n'en sortirons que plus forts. Les États européens — pas tous — pourraient et même devraient devenir nos amis. Toutefois, il faudra encore les éduquer en ce sens. Mais c'est possible — les USA ne peuvent pas non plus être leur ami. Je pense qu'il est inopportun d'évoquer ici et maintenant les objectifs militaires. Cependant, le risque en soi d'une guerre (parfaitement réel et croissant) fixe déjà cette tâche politique.

Dmitri Koulikov,  membre du Club Zinoviev de Rossiya Segodnya - Sputnik Afrique
La fin de la démocratie. Et après?
Cessons de parler du Monde russe. Tout cela n'existe pas. Il y a la Russie et l'immigration, la diaspora, l'expulsion. Les Russes sont une unité politique, où il n'y a pas d'États de la nation politique russe — il n'y a aucun Monde russe. Il n'y a même aucun Russe — seulement des russophones. Théoriquement, il pourrait y avoir plusieurs États comme celui-là. Par exemple, la Biélorussie
est-elle un État de la nation politique russe? Les USA, le Royaume-Uni, l'Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande — sont-ils des États de la nation politique anglo-saxonne? Ou même la Biélorussie ne l'est-elle pas? Dans quel camp sera-t-elle dans la question de la guerre et de la paix? Sans parler de l'Ukraine actuelle. Novorossia (Nouvelle Russie) deviendra peut-être un État, mais dans la réalité politique elle en est encore très loin. La question de l'expansion de la Russie est clairement une question de guerre et de paix, la "démocratie" et le "droit à l'autodétermination" n'aideront pas.

Cessons de parler de "l'eurasisme" comme d'une nouvelle "idéologie" pour la Russie. Pas seulement parce qu'en principe nous n'avons pas besoin d'"idéologie — nous n'avons fait que nous en débarrasser — mais parce que nous avons besoin d'une politique, d'objectifs politiques justes et que la population les comprenne. Or il n'y a pas d'"Eurasie" en tant qu'État ou entité politique. Il doit y avoir (et existe déjà) une politique de la Russie dans la région Asie-Pacifique. Nous avons besoin d'amis dans cette zone. La Chine pourrait-elle en faire partie? Est-ce réel? Est-ce nécessaire?

Commençons à réfléchir sur des choses réelles dans la question de guerre et de paix.

 

Timofeï Sergueïtsev, philosophe, méthodologue, membre du Club Zinoviev de Rossiya Segodnya

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