Coronavirus: la solidarité européenne à deux vitesses

© AFP 2023 Ludovic MarinAngela Merkel et Emmanuel Macron
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Nos alliés sont-ils fiables en temps de crise? Alors que les États européens ferment un à un leurs frontières, la question de l’approvisionnement en masques et en respirateurs pourrait rapidement se poser. Moins d’un mois après le début de l’épidémie en Europe, la coopération promue par Emmanuel Macron semble avoir du plomb dans l’aile.
«Ce virus, il n’a pas de passeport. Il nous faut unir nos forces, coordonner nos réponses, coopérer. La coopération européenne est essentielle et j’y veillerai», déclarait Emmanuel Macron lors de sa première allocution officielle sur le coronavirus, le 12 mars.

Outre l’«individualisme», le chef de l’État a mis en garde contre un deuxième «écueil», à savoir le «repli nationaliste». Tout en n’excluant pas de fermer les frontières, le chef de l’État a exhorté les Français à ne céder à «aucune facilité, aucune panique», soulignait que les frontières contre la propagation du virus ne seraient «pas forcément […] nationales». Établir des frontières, des décisions à prendre «quand elles seront pertinentes» et surtout qu’il «faudra les prendre en Européens, à l’échelle européenne», soulignait-il.

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Depuis le début de la crise du coronavirus, Emmanuel Macron joue pleinement la carte de la solidarité européenne. Une ligne que l’on a notamment retrouvée dans la décision, à l’issue d’une rencontre entre ministres de la Santé des pays limitrophes de l’Italie, le 25 février à Rome. Alors que la maladie s’y développait avec virulence fin février, il fut décidé de ne prendre aucune mesure à l’encontre des gens en provenance de la péninsule transalpine. Fermer la frontière avec l’Italie, une mesure «complètement inefficace, complètement impossible à tenir» martelait devant les caméras le nouveau ministre de la Santé, Olivier Veran depuis Rome, le soir de cette rencontre.

Une «solidarité européenne» pour laquelle Emmanuel Macron a plaidé directement depuis l’Italie deux jours plus tard, aux côtés du Président du Conseil Giuseppe Conte, à l’occasion du 35e sommet franco-italien à Naples. «N’en déplaise à certains, le virus ne connaît pas ces limites administratives», ironisait-il devant la presse, en réponse aux questions sur les déclarations de la présidente du Rassemblement nationale (RN), Marine Le Pen, qui appelait par mesure de précaution à fermer les frontières avec l’Italie, qui recensait alors 650 malades et 17 décès.

Covid-19 & frontières: la France lâchée par ses voisins

Pour autant, avec la mise sous cloche du nord du pays, puis de toute la péninsule italienne, décrétée par ce même Giuseppe Conte, les autorités italiennes ont fermé leurs frontières avec la France. Une semaine plus tard, le 15 mars, dans la foulée de la décision de Donald Trump de fermer pour un mois le sol américain aux Européens, ce fut au tour de l’Allemagne d’Angela Merkel– avec laquelle la France a pourtant signé le traité d’Aix-la-Chapelle renforçant leur coopération– de prendre la même décision. Les autorités allemandes faisaient comprendre qu’à part pour consommer dans les magasins, les Français n’étaient plus les bienvenus outre-Rhin. Le lendemain s’ensuivit la décision de l’Espagne de fermer ses frontières terrestres, donc celles avec la France.

En l’espace de trois semaines, la France, qui a souhaité s’ériger en parangon des valeurs européennes à l’orée de la crise du coronavirus, se retrouve ainsi sur la question des frontières lâchée en pleine tempête par ses principaux voisins.

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Un rétablissement des frontières nationales observé ailleurs dans l’Union, où les gouvernements ne semblent pas partager l’approche de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) sur le fait qu’elles seraient peu efficaces face à la propagation d’un virus. Au même moment que l’Allemagne, le Portugal fermait son territoire aux touristes. «Nous devons limiter nos mouvements, pas seulement à l’intérieur de nos villes, de nos pays, mais à l’échelle mondiale», justifiait le Premier ministre portugais, en accord avec son homologue espagnol, soulignant que cette mesure était prise «sans aucune hostilité». Dès le 13 mars, la République tchèque et la Slovaquie avaient annoncé la fermeture quasi totale de leurs frontières aux étrangers. Une décision qui avait fait mollement réagir la présidente de la Commission européenne et ex-ministre de la Défense d’Angela Merkel, Ursula Von del Leyen, qui s’était contentée de rappeler les considérations de l’OMS à l’égard de telles mesures.

Même l’Autriche, présente lors de la rencontre à Rome le 25 février, a finalement fermé sa frontière terrestre avec l’Italie et a suspendu ses liaisons avec l’Espagne, la Suisse… et la France. Chypre ou encore de la Pologne ont également fermés leurs frontières. Pour autant, en France, la boussole de l’exécutif ne perd pas le nord.

«C’est donc en concertation étroite avec nos homologues [européens], avec la présidence de la Commission européenne, que le Président de la République a décidé de mettre en œuvre les propositions présidées par Ursula Von der Leyen», déclarait ce mardi 17 mars, le ministre français de l’Intérieur, Christophe Castaner, annonçant la fermeture des frontières extérieures de l’Union européenne. Les Français, indésirables chez leurs voisins, continueront donc à observer ces derniers entrer sans contrôles sur le territoire national.

Fermer les frontières extérieures européennes, une mesure tardive près d’un mois après la détection du foyer épidémiologique dans le nord de l’Italie. Une mesure toutefois louable dans le sens où elle entreprend d’isoler du reste du monde le nouvel épicentre de la pandémie.

America… and Germany first!

Mais au-delà de cette question des frontières, visant à limiter la circulation des individus et donc à ralentir la propagation du virus et qui en l’essence n’empêche en rien la collaboration entre les États, d’autres comportements semblent plus inquiétants. En effet, si la France a fini par réquisitionner la production de ses fabricants de masques –sollicités par d’autres États– la France avait jusque-là fait preuve de générosité avec ses stocks. Elle fut en effet le principal contributeur à l’aide européenne envoyée à la Chine, comme lors de cet envoi de 17 tonnes de fournitures médicales le 19 février, dont des masques de protection respiratoire qui aujourd’hui manquent en France.

Des stocks envoyés aux autorités chinoises sur des vols remplis au retour par les citoyens européens confinés à Wuhan. En effet, les autorités françaises ne se sont pas seulement préoccupées du rapatriement des seuls ressortissants français, mais également de citoyens d’autres pays européens. Trois missions de rapatriement qui font polémique, les militaires ayant encadré ces missions pouvant être à l’origine du foyer épidémiologique dans l’Oise.

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L’Allemagne, quant à elle, apparaît pour l’heure moins encline que sa voisine à la solidarité interétatique. En effet, si la Chine est critiquée pour avoir «thésaurisé» les masques de protection respiratoire –qu’elle fabrique–, l’Allemagne semble prendre la même direction en interdisant toute exportation de masques, alors même que son territoire abrite la plus importante usine à l’extérieur des États-Unis du leader mondial en la matière, l’américain 3M.

Même son de cloche au niveau des respirateurs, vitaux pour les patients en détresse respiratoire. Si les fabricants de respirateurs se «plient en quatre», aucun d’eux n’est Français. Deux entreprises leaders du secteur en Europe, Lübeck Dräger et Löwenstein Medical, basées en Allemagne, viennent de recevoir d’énormes commandes des autorités fédérales allemandes (respectivement 10.000 et de 6.500 respirateurs) à honorer dans les trois mois. Berlin entend en effet porter à 28.000 le nombre de lits dans les unités de soins intensifs de ses hôpitaux. Dans le contexte actuel, pas dit que les efforts déployés par ces industriels afin de doubler leur production permettront de satisfaire les commandes venues d’autres États européens. Reste à savoir comment se comporteront les autres industriels du secteur détenant des filiales en France –les Américains Resmed et GE Healthcare, le Suédois Getinge AB ou encore le Néerlandais Philips– face à l’explosion de la demande mondiale.

L’Allemagne, dont les plus hautes autorités viennent d’accuser les États-Unis d’avoir tenté de soudoyer à prix d’or le directeur d’un laboratoire allemand (CureVac), en pointe sur la recherche d’un vaccin contre le coronavirus. Le but de Washington: s’octroyer un futur vaccin au profit des Américains. Des accusations étayées par le quotidien Die Welt et rejetées par CureVac. Si elle était avérée, cette attitude des États-Unis à l’égard de ses alliés européens en dirait long. «Je souhaite que nous nous organisions sur le plan international et j’en appelle à la responsabilité des puissances du G7 et du G20», avait déclaré Emmanuel Macron le 12 mars, précisant qu’il s’entretiendrait prochainement avec son homologue américain… qui préside le G7.

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