L’alliance atlantique a l’épreuve de l’Ukraine : ce que valent les référendums de Porochenko

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« Nous ne choisissons pas nos voisins. On voudrait avoir un voisin comme la France, mais notre voisin est la Russie », a annoncé le président ukrainien Piotr Porochenko aux journalistes français sans, pourtant, avoir tiré la conclusion sur la nécessité de bonnes relations avec son voisin géographique.

Au contraire, il a promis aux Français d'organiser un référendum sur l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN.

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Ukraine: le président promet un référendum sur l’adhésion à l’Otan
Le choix du temps et du lieu est remarquable, sachant que l'Hexagone s'oppose à une éventuelle entrée de l'Ukraine dans l'Alliance. « La France a toujours dit, mes prédécesseurs comme je le fais moi-même, la France n'est pas favorable à ce que l'Ukraine entre dans l'Alliance atlantique », a tranché le Président de la République François Hollande deux semaines avant le Minsk-2 en février. Qui plus est, la préadhésion de l'Ukraine pourrait durer au moins six ans, et cela — à condition qu'une paix durable s'installe sur le sol ukrainien et que des réformes profondes soient menées, notamment, pour mettre la fin à la corruption. C'est ce qu'a déclaré le secrétaire général de l'Alliance Jens Stoltenberg en décembre dernier, suite à la levée du statut hors block par la Rada suprême (Parlement ukrainien).

De ce fait, si le référendum a lieu et réalise le rêve otanien de Porochenko, ce serait l'unique cas dans l'histoire lorsqu'un pays proclame sa décision unilatérale et non-reconnue d'adhérer à une organisation quelconque.

Jean-Sylvestre Mongrenier, géopolitologue français, spécialiste de l'OTAN et de défense européenne, professeur à l'Institut français de géopolitique (Université de Paris-VII), a partagé avec nous son opinion:

Jean-Sylvestre Mongrenier. « C'est, avant tout, une question interne à l'Ukraine. Est-ce qu'on ratifie le traité? Il y a deux possibilités: soit la voie parlementaire, soit la voie référendaire. C'est ce qu'avait fait l'Espagne, par exemple, en 1982 — il y a eu un référendum sur l'adhésion de l'Espagne à l'OTAN. C'est une question de choix politique national. »

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Sputnik. Pourquoi Porochenko choisit-il la forme de référendum? Les criméens se sont prononcés lors d'un référendum en 2014 et savons la réaction de Kiev officiel. Alors, pourquoi ne pas reconnaître le référendum d'indépendance et organiser celui d'adhésion du pays à l'OTAN? En plus, même la tentative de l'adhésion a mené à la perte de 20% de l'électorat et de 30% de l'économie.

Jean-Sylvestre Mongrenier. « Ce n'est pas le même type de contexte. Ce qui est refusé du côté de Kiev dans le cas du référendum en Crimée — ce sont les modalités et les circonstances et pas une opposition de principe à tout référendum. A mon avis, ce sont deux questions distinctes. Un référendum n'en vaut pas forcément un autre. »

Sputnik. Le parlement ukrainien a approuvé en mars 2010 une loi interdisant l'adhésion du pays à tout bloc militaire mais autorisant une coopération. Comment cela s'inscrit dans l'intention de Porochenko d'organiser un référendum?

Jean-Sylvestre Mongrenier. « Cette loi a été remise en cause par le parlement ukrainien. Ce n'était pas une interdiction, mais une sorte de neutralité autoproclamée. Après, avec l'arrivée au pouvoir de Yanoukovitch et du parti des régions, la loi qui avait été votée disait que l'Ukraine renonçait à demander son entrée dans tout système d'alliance et se proclamait neutre et non-alliée. Dans les faits, cette proclamation de neutralité était désavouée. C'est un peu comme le mémorandum de Budapest de 1994 qui, normalement, moyennant la dénucléarisation de l'Ukraine était censé apporter des garanties de sécurité et garantir l'intégrité territoriale de l'Ukraine, mais cela n'était pas respecté. Une nouvelle loi qui a été adoptée était la conclusion que les Ukrainiens ont tirée des événements, ce qu'il fallait appartenir à une alliance, aller chercher des garanties de sécurité à l'extérieur, puisque leurs capacités nationales ne suffisent pas. C'est la même chose que pour la plupart des pays européens appartenant à l'Alliance atlantique. Cela ne leur a pas été imposé, c'est eux qui sont venus à la porte de l'OTAN. »

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Sputnik. La décision d'un référendum, n'est-elle pas anticipée? Est-ce que l'OTAN s'est déclarée favorable à l'adhésion de l'Ukraine?

Jean-Sylvestre Mongrenier. « Elle est anticipée par rapport à la situation présente. Il s'agit plutôt de poser un objectif à moyen et long terme et essayer de mobiliser la population, les énergies autour de l'idée d'un nouveau statut international pour l'Ukraine. Si on regarde du côté de l'OTAN et de ses pays membres, il faut préciser que l'OTAN n'est pas un organisme qui existe au-dessus des Etats qui la composent, la décision appartient aux Etats. Lors du sommet de Bucarest au printemps 2008, le Membership action plan (plan de préadhésion) avait été refusé et à la Géorgie et à l'Ukraine. On jugeait que c'était prématuré, c'était vu comme une mesure d'apaisement, c'est-à-dire qu'on essayait d'apaiser les relations avec la Russie en leur montrant qu'il n'y avait pas la volonté d'intégrer l'Ukraine et la Géorgie. Le problème est que ces deux pays qui sont restés en dehors du périmètre de sécurité ont subi une guerre. Par contre, ce qui a été rappelé en 2008, c'est le principe de la politique ouverte. Pour l'instant, on refuse le Membership action plan parce que les conditions nécessaires ne sont pas réunies. Le fait est qu'aujourd'hui, il n'y a pas encore de consensus à l'intérieur de l'OTAN sur une éventuelle entrée de l'Ukraine. Il faut que tout le monde soit d'accord. »

Sputnik. Selon la charte de l'OTAN, l'Alliance ne peut pas intégrer des pays ayant des litiges territoriaux (la Crimée)…

Jean-Sylvestre Mongrenier. « Il n'est pas écrit dans le traité de l'Atlantique Nord, celui qui a été signé et ratifié en 1949, que tout pays ayant un différend territorial ne peut pas entrer dans l'OTAN. En revanche, dans les années 1990, au moment où s'est posée la question de l'adhésion d'un certain nombre de pays de l'Europe centrale et orientale, aussi bien à l'OTAN qu'à l'Union européenne, la règle qui était posée était que ces pays devaient d'abord régler leurs différends territoriaux et avoir un rhésus démocratique, une économie libérale. Cette règle n'était pas intangible. C'était un levier pour inciter ces pays à adopter une logique de résolution pacifique des différends entre eux. Cette règle n'étant pas intangible, on peut imaginer qu'à l'avenir, les pays de l'OTAN se mettent d'accord pour faire évoluer cette règle. »

Sputnik. Qu'en pensent les Ukrainiens eux-mêmes?

Jean-Sylvestre Mongrenier. « Il semble que oui. Dans les années 1990, ils étaient partagés moitié-moitié, à la différence de la Géorgie où 70-75% étaient en faveur d'une entrée dans l'OTAN. Aujourd'hui, avec le tour que les événements ont pris, avec la situation géopolitique dans le Sud-Est du pays, d'après ce que sait, il y a une majorité d'Ukrainiens qui estiment qu'en entrant dans l'OTAN, ils obtiendraient des garanties de sécurité et que s'ils avaient été dans l'OTAN, peut-être, ils n'auraient pas connu cette situation. Cette majorité apparaît dans les sondages. »

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Ukraine: la question de l'adhésion à l'Otan reportée
Sputnik. Est-ce que les habitants des républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk ont été interrogés?

Jean-Sylvestre Mongrenier. « Les républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk sont justement autoproclamées et donc, n'auraient pas une voix en tant que telle. Et quand on reprend les accords de Minsk et la question de décentralisation, d'évolution des pouvoirs à l'intérieur même de l'Ukraine, il n'est pas question d'accorder à ces deux entités un quelconque droit de réponse sur les affaires étrangères. »

Sputnik. Quel serait votre pronostic du développement des faits?

Jean-Sylvestre Mongrenier. « Pour l'instant, on est dans le virtuel. Du côté du gouvernement ukrainien, il s'agit d'ouvrir les horizons, de montrer une volonté de faire un certain nombre de réformes intérieures sur le plan civil, politique. Pour le moment, comme je viens de le dire, il n'y a pas encore de consentement à l'intérieur de l'OTAN. Je pense que ce sont les accords de Minsk qui vont être le facteur déterminant.

Est-ce que ces accords permettront de déniveler le conflit dans le Sud-Est et de trouver une solution politique qui permette de garantir l'intégrité territoriale de l'Ukraine et la sécurité? Dans ce cas-là, il y a un certain nombre de pays membres de l'OTAN qui diront « oui » à l'entrée de l'Ukraine dans l'Alliance. Mais on est encore loin du compte. Si membres de l'OTAN estiment qu'il y a plus de risque à laisser l'Ukraine à l'extérieur de l'OTAN parce que dans ce cas, elle est vue comme une proie, les choses peuvent changer. C'est véritablement dans les semaines et les mois à venir que tout cela va se jouer.

Par rapport à il y a quelques années, si on regarde les différents pays membres de l'Union européenne et de l'OTAN, les perceptions, les analyses sont beaucoup plus convergentes. C'est pour ça que nous avons réussi à nous mettre d'accord sur les sanctions, chose impossible il y a quelques années. Aujourd'hui, les convergences l'emportent sur les divergences entre les pays membres de l'Union européenne et de l'OTAN. Donc, la situation peur évoluer. »

Porochenko n'évoque les référendums que lors de ses voyages à l'étranger. Par exemple, en janvier à Davos, il s'est déclaré prêt à soumettre la question de la langue officielle au référendum pour renoncer à cette idée le jour suivant. Autre exemple: la promesse d'organiser un référendum sur la fédéralisation faite par le président ukrainien en février à Munich. Une fois rentré en Ukraine, Porochenko reprend la rhétorique d'un Etat unitaire.

Quel serait le référendum suivant?— Celui sur la réforme constitutionnelle. Vous n'êtes pas sans vous rappeler que cette question doit être réglée d'ici la fin 2015, conformément aux accords de Minsk. Et elle doit l'être avec la participation des représentants des républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk. Cependant, les consultations en ce sens n'ont pas encore commencé.

Ce qu'on peut dire aujourd'hui, c'est que si Porochenko initie un référendum sur la décentralisation, cela signifierait que Kiev veut enterrer cette idée.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

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