Poutine à la TV américaine: "la Syrie ne doit pas devenir une nouvelle Somalie"

© Sputnik . Mikhail Klementiev / Accéder à la base multimédiaVladimir Poutine a accordé une interview au journaliste américain Charlie Rose
Vladimir Poutine a accordé une interview au journaliste américain Charlie Rose - Sputnik Afrique
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En prévision de sa participation à la 70e session de l'Assemblée générale des Nations unies, le président russe Vladimir Poutine a accordé une interview au journaliste américain Charlie Rose pour les chaînes CBS et PBS.

Charlie Rose: Nous appelons cela "l'été indien".
Vladimir Poutine: Cela porte un nom différent en russe: "babié léto" ("été de la femme", dans le sens où selon le dicton populaire "seule une femme peut être aussi chaleureuse quand tout est déjà perdu", ndlr).

Charlie Rose: Cela me plaît davantage, c'est vrai.
Que feriez-vous si cette interview n'avait pas lieu? Un dimanche? Vous travaillez sept jours par semaine?
Vladimir Poutine: Tous ceux qui sont dans ma situation travaillent comme ça.

Charlie Rose: Nous espérons que vous vous rendrez à New York.
Vladimir Poutine: Je l'espère aussi.
Je me souviens de votre direction du débat à Saint-Pétersbourg pendant le sommet économique. Je voudrais vous remercier d'y avoir travaillé avec nous.

Charlie Rose: Merci beaucoup. J'apprécie vraiment Saint-Pétersbourg, et j'espère qu'après cette interview je pourrai également voir un peu Moscou.
Vladimir Poutine: Les curiosités touristiques sont moins nombreuses à Saint-Pétersbourg, mais elles sont très significatives pour la Russie.

Charlie Rose: Nous avons suivi une excursion très intéressante à l'Ermitage, que nous avons filmée. Ce reportage a été très bien perçu en Amérique.
Je voudrais vous remercier de nous avoir invités ici, chez vous, en cette magnifique journée d'été indien. Nous enregistrerons notre interview et elle sera diffusée dimanche, et le lendemain vous prononcerez à l'Onu un discours très attendu. Vous interviendrez à l'Onu pour la première fois depuis de nombreuses années. Que direz-vous aux Nations unies, à l'Amérique, au monde entier?
Vladimir Poutine: Étant donné que l'interview sera diffusée avant mon allocution, je pense qu'il ne serait pas opportun d'expliquer en détail tout ce que je m'apprête à dire. Mais dans l'ensemble j'évoquerai, bien sûr, l'histoire de l'Organisation des Nations unies et dès à présent je peux dire que la décision de créer l'Onu a été prise dans notre pays, en Union soviétique; pendant la Conférence de Yalta. L'Union soviétique, puis la Russie en tant que successeur de l'Union soviétique, est un pays fondateur de l'Onu et membre permanent du Conseil de sécurité.

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Bien évidemment, il faudra parler d'aujourd'hui, de l'actualité internationale, du fait que l'Onu demeure l'unique organisation internationale universelle appelée à maintenir la paix dans le monde. Et dans ce sens, il n'existe à l'heure actuelle aucune alternative.
Il est évident également que l'Onu doit s'adapter au monde en perpétuelle évolution et nous en parlons constamment: comment elle doit changer, à quel rythme, ce qui doit être réformé en profondeur.
Bien évidemment, il faudra parler d'aujourd'hui, de la vie internationale de nos jours, du fait que l'Onu demeure l'unique organisation internationale universelle qui est appelée à maintenir la paix dans le monde. Et dans ce sens il n'existe à l'heure actuelle aucune alternative.

Il est évident également que l'Onu doit s'adapter au monde en perpétuelle évolution et nous en parlons constamment: comment elle doit changer, à quel rythme, ce qui doit être réformé en profondeur.
Bien sûr, il faudra profiter de cette tribune internationale pour exposer la vision russe des relations internationales, de l'avenir de cette organisation et de la communauté internationale.

Charlie Rose: On s'attend à ce que vous parliez de la menace de l'État islamique et de votre présence en Syrie, car elle y est liée. Quel est l'objectif de votre présence en Syrie, et quel est son rapport avec la lutte contre l'EI?
Vladimir Poutine: Je ne doute pas que le problème de la lutte, de la nécessité de lutter contre le terrorisme sera abordé par pratiquement tous les intervenants à la tribune de l'Onu, et j'en parlerai aussi. C'est normal car cela représente pour nous tous une grave menace commune, un défi. Le terrorisme représente aujourd'hui une menace pour de très nombreux pays, et un grand nombre d'individus souffre de ses sévices — des centaines de milliers, des millions de gens. Nous devons unir nos efforts pour combattre ce mal commun.

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En ce qui concerne notre présence en Syrie, elle se traduit aujourd'hui par les livraisons d'armes au gouvernement syrien, par la formation du personnel et par une aide humanitaire à la population syrienne.
Nous nous appuyons sur la Charte de l'Onu, c'est-à-dire les principes fondamentaux du droit international contemporain, qui stipule que l'aide sous telle ou telle forme, y compris militaire, peut et doit être accordée uniquement aux gouvernements légitimes des pays, avec leur accord ou à leur demande, soit sur décision du Conseil de sécurité des Nations unies.
En l'occurrence nous avons affaire à la demande du gouvernement syrien de lui fournir une aide militaro-technique, et c'est précisément ce que nous faisons dans le cadre des contrats internationaux parfaitement légaux.

Charlie Rose: Le secrétaire d'État John Kerry a déclaré qu'il saluait votre soutien au combat contre l'EI. D'autres estiment qu'il s'agit d'avions de combat et de systèmes antiaériens utilisés contre l'armée régulière, et non contre les extrémistes.
Vladimir Poutine: Il n'y a qu'une seule armée légitime. C'est celle du Président syrien Bachar al-Assad. Et il fait face, selon l'interprétation de certains de nos partenaires internationaux, à une opposition. Mais en réalité, l'armée d'al-Assad combat des organisations terroristes. Vous en savez plus que moi au sujet des audiences qui viennent de se tenir au Sénat américain, si je ne m'abuse, où les représentants du Pentagone ont rendu compte aux sénateurs du travail effectué par les États-Unis dans la préparation des unités armées de l'opposition. L'objectif initial était de former 5.000 à 6.000 combattants, puis 12.000. Au final, il s'est avéré que seulement 60 hommes étaient prêts, et que seuls 4 ou 5 se battaient effectivement armes à la main, alors que tous les autres étaient passés avec leurs armes du côté de l'EI. C'est une première chose.
Deuxième chose, d'après moi, l'apport d'une aide militaire aux structures illégitimes ne correspond pas aux principes du droit international contemporain, ni de la Charte de l'Onu. Nous soutenons uniquement les structures gouvernementales légitimes.

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A cet égard nous proposons une coopération aux pays de la région et nous tentons de créer une sorte de structure coordonnée. J'en ai personnellement informé le Président turc, le roi de Jordanie et le roi d'Arabie saoudite. Nous en avons informé les États-Unis, et monsieur Kerry, que vous avez mentionné, s'est entretenu à ce sujet avec notre Ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov. Nos militaires en parlent également lors de leurs contacts. Nous serions ravis de trouver une plateforme commune pour agir ensemble contre les terroristes.

Charlie Rose: Vous prêts à rejoindre les USA dans la lutte contre l'EI, et c'est la raison pour laquelle vous êtes en Syrie? D'autres pensent que votre objectif est aussi de préserver l'administration d'el-Assad, car il perd actuellement ses positions et que la guerre ne va pas très bien pour son gouvernement. Est-ce que le maintien de Bachar al-Assad au pouvoir est l'objectif de la présence de la Russie en Syrie?
Vladimir Poutine: C'est effectivement le cas. Comme je l'ai précisé à deux reprises durant notre conversation, je peux le répéter une troisième fois: nous apportons un soutien aux autorités légitimes en Syrie. Plus encore, et j'en suis absolument convaincu, en agissant dans l'autre sens, celui de la destruction des structures légitimes du pouvoir, nous pourrions arriver à la situation que nous observons aujourd'hui dans d'autres pays de la région, soit ailleurs dans le monde, par exemple en Libye où toutes les institutions d'État sont complètement désintégrées.
Nous assistons malheureusement à une situation similaire en Irak. Il n'existe aucun moyen de régler le problème syrien autrement que par le renforcement des institutions d'État légales en place et en les aidant à combattre le terrorisme. Bien sûr, il faut aussi les inciter au dialogue positif avec la partie saine de l'opposition et aux réformes politiques.

Charlie Rose: Comme vous le savez, certains partenaires de la coalition voudraient qu'Assad renonce d'abord au pouvoir, et seulement après cela ils seraient prêts à soutenir le gouvernement.
Vladimir Poutine: Je voudrais leur conseiller d'adresser ce souhait au peuple syrien au lieu d'al-Assad personnellement. Seul le peuple syrien est en droit de décider qui, comment et selon quels principes doit être dirigé le pays. Je trouve que les conseils de ce genre, émanant de l'extérieur, sont complètement déplacés, néfastes et contraires au droit international.

Charlie Rose: Vous soutenez Bachar al-Assad. Et soutenez-vous ce qu'il fait en Syrie et ce qui se passe avec les Syriens, les millions de réfugiés et les centaines de milliers de morts, dont certains ont été tués par ses hommes?
Vladimir Poutine: Et d'après vous, ceux qui soutiennent l'opposition armée et essentiellement les organisations terroristes pour renverser al-Assad sans se préoccuper de l'avenir du pays après la destruction totale des institutions d'Etat dans ce pays, c'est bien?
Nous sommes déjà passés par là. J'ai déjà mentionné la Libye. Cela s'est produit il y a très peu de temps. Les États-Unis ont aidé activement à détruire les institutions d'État. Etaient-elles bonnes ou mauvaises — c'est une autre question. Mais elles ont été détruites, après quoi les USA ont subi de lourdes pertes, dont la mort d'un ambassadeur. Vous comprenez à quoi cela conduit? C'est pourquoi nous aidons précisément les structures d'État légitimes. Je voudrais le souligner encore une fois: dans l'espoir que la Syrie procédera aux réformes politiques nécessaires pour le peuple syrien.

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Vous parlez constamment, avec une obstination qui mériterait un meilleur usage, du fait que l'armée syrienne se bat contre son peuple. Mais regardez qui contrôle 60% du territoire syrien. L'opposition civilisée? 60% du territoire syrien sont contrôlés par l'EI, le Front al-Nosra ou d'autres organisations terroristes, reconnues comme telles aussi bien par les USA que d'autres États et l'Onu. Ce sont ces organisations terroristes qui contrôlent près de 60% du territoire syrien.

Charlie Rose: Vous êtes donc préoccupé par ce qui pourrait se produire après [le départ d'] al-Assad? Vous parlez d'anarchie, vous voyez la menace de l'EI. D'après vous, est-ce une organisation terroriste unique?
Vladimir Poutine: Elle est devenue unique parce qu'elle devient globale. Elle se fixe pour objectif de créer un califat du Portugal au Pakistan. Elle revendique déjà les sanctuaires islamiques de La Mecque et Médine. Ses activités s'étendent déjà bien au-delà des territoires qu'elle contrôle.
En ce qui concerne les réfugiés, ils n'arrivent pas seulement de Syrie. Il y a aussi la Libye. Les pays d'Afrique centrale où les islamistes sévissent aussi. L'Afghanistan, l'Irak. Les réfugiés viennent-ils uniquement de Syrie?
Pourquoi avez-vous décidé que les réfugiés fuyaient la Syrie uniquement à cause des actions commises par al-Assad pour protéger son État? Pourquoi ne pensez-vous pas que les réfugiés fuient les atrocités des terroristes, y compris l'EI, qui décapitent les gens, les brûlent vifs, les noient vivants, détruisent les monuments de la culture mondiale? Ce sont eux que les gens fuient avant tout.
Et évidemment ils fuient le conflit, c'est normal. Mais il n'y aurait pas de conflit si les formations terroristes n'étaient pas alimentées en armes et en argent de l'extérieur. J'ai l'impression que quelqu'un veut utiliser, y compris certaines unités à part ou l'EI dans l'ensemble, pour renverser al-Assad et seulement ensuite réfléchir comment éliminer l'EI. C'est une tâche difficile et elle me semble pratiquement impossible à réaliser.

Charlie Rose: Craignez-vous qu'ils [les terroristes] s'infiltrent en Russie? Que si on ne les arrêtait pas maintenant, ils pourraient entrer en Russie via l'Europe, voire aux USA? Vous seriez alors contraints de vous ingérer car plus personne n'entreprendrait les mesures nécessaires pour combattre l'EI?

Vladimir Poutine: Effectivement, très peu d'acteurs déploient les efforts nécessaires pour combattre cette menace. Très peu entreprennent des démarches efficaces. Nous avons eu vent de l'efficacité de nos partenaires américains au cours du rapport du Pentagone au Sénat américain. Une efficacité faible, soyons honnêtes. Je n'ai pas du tout l'intention d'ironiser, de tacler ou de montrer quelqu'un du doigt. Nous proposons une coopération, nous proposons d'unir nos efforts.
Craignons-nous quelque chose? Nous n'avons rien à craindre. Nous sommes dans notre pays et nous contrôlons la situation. Mais nous avons parcouru le chemin très difficile de la lutte contre le terrorisme, le terrorisme international, dans le Caucase du Nord. C'est un premier point.

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Deuxièmement, nous savons avec certitude qu'au moins 2 000 extrémistes, voire plus, qui se trouvent actuellement sur le territoire syrien sont des ressortissants de Russie ou d'autres ex-républiques soviétiques, et il existe évidemment un risque qu'ils reviennent en Russie. C'est pourquoi il vaut mieux aider al-Assad à s'en défaire que d'attendre qu'ils arrivent ici.

Charlie Rose: Oui, mais vous dites que vous êtes arrivés en estimant que le travail n'était pas assez bien fait. Vous avez entendu ce qui se disait au Sénat américain, vous avez entendu les résultats et avez décidé que la Russie devait agir?
Vladimir Poutine: Nous agissons déjà et nous avons toujours agi en ce sens, nous avons coopéré avec de nombreux pays et continuons de le faire, y compris avec les USA. Nous envoyons en permanence à nos collègues, par les canaux de partenariat des services de renseignement, les informations nécessaires aux unités spéciales américaines pour apporter notre contribution à la sécurité, y compris des citoyens américains, aussi bien aux USA qu'ailleurs dans le monde. Mais je pense que ce niveau de coordination n'est pas suffisant aujourd'hui, il faut travailler plus étroitement les uns avec les autres.

Charlie Rose: En quoi consiste la stratégie que vous proposez, hormis le simple soutien du régime de Bachar al-Assad?
Vladimir Poutine: J'en ai déjà parlé: nous devons aider l'armée d'al-Assad. Elle est la seule à combattre l'EI sur le terrain. Je voudrais que vous et vos auditeurs en prennent enfin conscience: personne ne combat l'État islamique et les autres organisations terroristes sur le territoire syrien hormis l'armée d'al-Assad.
Les frappes aériennes insignifiantes, y compris de l'aviation américaine, ne règlent pas le problème. Après ces frappes il faut mener un travail sur le terrain, tout doit être rigoureusement coordonné. Il faut comprendre quelles frappes doivent être portées, où, et qui les suivra sur le terrain. A part l'armée d'al-Assad il n'existe aucune autre force en Syrie.

Charlie Rose: Seriez-vous prêt à envoyer des troupes russes en Syrie dans le cadre de la lutte contre l'EI si c'était nécessaire?
Vladimir Poutine: La Russie ne participera à aucune opération militaire sur le territoire de la Syrie ou d'un autre État, du moins nous ne le prévoyons pas aujourd'hui. Mais nous réfléchissons à la manière dont nous pourrions intensifier notre travail avec le Président al-Assad et avec nos partenaires dans d'autres pays.

Charlie Rose: Qu'est-ce que cela veut dire?
Vladimir Poutine: Cela veut dire que nos militaires ne participeront pas directement aux opérations.

Charlie Rose: Vous voulez parler des frappes aériennes?
Vladimir Poutine: Je veux parler de la guerre, des opérations sur le terrain, de l'infanterie, des unités motorisées.

Charlie Rose: Beaucoup pensent que les actions d'al-Assad jouent en faveur de l'EI, que le terrible traitement infligé au peuple syrien, contre lequel le régime utilise des bombes barils et entreprend d'autres actions hostiles, est une sorte d'aide à l'EI. En suivant cette logique, si al-Assad partait le pays entrerait dans une période de transition qui contribuerait à la lutte contre l'EI.
Vladimir Poutine: Pour m'exprimer dans le langage professionnel des services de renseignement, je peux dire que cette vision est une propagande active des ennemis d'al-Assad. C'est une propagande anti-syrienne. Al-Assad et l'EI n'ont rien à voir: ils sont en guerre. Et je le répète, le président syrien et son armée sont l'unique force combattant réellement l'EI.

Charlie Rose: Mais on a pu lire des communiqués rapportant que vous vous prépariez et aviez même commencé à diminuer le niveau de soutien du régime d'al-Assad, qu'au final vous voudriez une transition politique convenue.
Vladimir Poutine: Nous pensons que les questions d'ordre politique doivent être réglées dans tout pays, y compris la Syrie, par son peuple. Mais nous sommes prêts à apporter notre contribution aux autorités officielles de la Syrie et à l'opposition saine pour qu'ils trouvent des points de convergence entre eux et s'entendent sur l'avenir politique de leur pays.
C'est pourquoi nous avons organisé à Moscou une série de réunions entre les représentants de l'opposition et du gouvernement d'al-Assad. Nous avons également participé à la Conférence de Genève à ce sujet et nous sommes prêts à continuer d'agir dans le même sens en poussant les deux parties, les autorités officielles et l'opposition, à s'entendre, mais par des moyens pacifiques.

Charlie Rose: Le Washington Post écrit aujourd'hui: "Dans le vide de leadership laissé par l'Amérique, le Président russe Vladimir Poutine envoie des troupes et du matériel militaire en Syrie afin de pousser le monde vers le règlement de la crise syrienne par le biais de la création d'une nouvelle coalition pour combattre l'EI qui inclurait le gouvernement syrien". Le journal sous-entend que vous comblez le vide de leadership américain. C'est le Washington Post qui l'écrit.
Vladimir Poutine: Nous ne comblons pas le vide de leadership américain, nous cherchons à empêcher la création d'un vide du pouvoir en Syrie même, qui survient immédiatement après la destruction des structures publiques d'un État avant d'être rapidement comblé par des terroristes. Ce fut le cas en Libye, en Irak et dans certains autres pays. La même chose se produit en Somalie, comme cela est arrivé en Afghanistan. Pour nous, il n'est aucunement question d'un combat contre le leadership américain.

Charlie Rose: En ce qui concerne le vide, c'est une question. Il semble qu'une chose vous préoccupe: vous parlez d'un gouvernement fort et centralisé comme se l'imaginent les Russes, et vous craignez fortement qu'il n'y ait pas de gouvernement fort en Syrie, de même que dans certains autres pays. L'absence de pouvoir fort, c'est une crainte personnelle?
Vladimir Poutine: Je ne dis pas qu'il n'y a pas de gouvernement fort. Je dis qu'en l'absence de gouvernement il y aurait l'anarchie et le vide, et ce vide et cette anarchie se transformeraient rapidement en terrorisme.
L'Irak avait Saddam Hussein, il était tantôt bon tantôt mauvais. Car à une certaine étape (vous l'avez oublié ou non?) les États-Unis coopéraient activement avec Saddam, quand il était en guerre contre l'Iran: ils lui fournissaient des armes, assuraient l'appui diplomatique, l'accompagnement politique et ainsi de suite. Puis ils se sont brouillés et ont décidé de l'éliminer. Mais en éliminant 

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Saddam Hussein ils ont aussi détruit l'État irakien; des milliers de gens de l'ancien parti Baas, des milliers de militaires irakiens qui faisaient partie de l'élite sunnite de l'État ont été jetés dans la rue. Personne n'a pensé à eux, et aujourd'hui ils ont rejoint l'armée de l'EI. 

Voilà à quoi nous nous opposons. Nous ne sommes pas opposés à ce qu'un pays exerce quelque part un leadership, mais nous sommes contre les actes irréfléchis qui mènent à des situations aussi négatives et difficiles à gérer.

Charlie Rose: Comme vous le savez, le général Qassem Soleimani, représentant iranien, s'est récemment rendu à Moscou. Quel sera son rôle et celui des forces kurdes en Syrie? Et que faut-il faire à cet égard?
Vladimir Poutine: J'ai déjà dit: je pense que tous les pays de la région doivent unir leurs efforts dans la lutte contre la menace globale — le terrorisme dans l'ensemble et l'EI en particulier. Cela concerne l'Iran, l'Arabie saoudite (bien que les relations entre les deux pays soient froides, mais la menace de l'EI est réelle pour les deux camps), la Jordanie, la Turquie (bien qu'il y existe certains problèmes sur la question kurde). Selon moi, le règlement de la situation est dans l'intérêt de tous. Notre tâche consiste à unir ces efforts pour combattre l'ennemi commun.

Charlie Rose: C'est une formulation très large. Hormis tout le reste, cela peut signifier de nouveaux efforts de la Russie pour prendre sur soi le rôle de leader au Moyen-Orient, et votre nouvelle stratégie. Est-ce le cas?
Vladimir Poutine: Non, nous avons déjà dit ce qui nous poussait à apporter un soutien croissant au gouvernement d'al-Assad et à penser aux perspectives de la situation dans la région.
J'ai déjà dit, vous avez posé la question et j'y ai répondu. Plus de 2 000 ressortissants de l'ex-Union soviétique combattent sur le territoire syrien aux côtés des terroristes. Ils pourraient revenir chez nous. Alors au lieu d'attendre qu'ils le fassent il vaut mieux aider Assad à les combattre, sur le territoire syrien. C'est la principale motivation qui nous pousse à l'aider.
Dans l'ensemble, évidemment, nous ne voulons pas que la situation dans la région suive un scénario "à la somalienne". Pour empêcher l'apparition de nouvelles Somalies — car tout cela se trouve à proximité immédiate de nos frontières — nous voulons développer des relations normales avec ces pays. Je voudrais souligner que dans l'ensemble nous avons toujours eu des relations très amicales avec les pays du Moyen-Orient. Nous espérons que ce sera toujours le cas à l'avenir.

Charlie Rose: Vous êtes fier de la Russie et cela signifie que vous voulez que la Russie joue un rôle plus conséquent dans le monde entier. Et ce n'est que l'un des exemples.
Vladimir Poutine: Ce n'est pas notre fin en soi. Je suis fier de la Russie et je suis certain que la plupart des citoyens de mon pays éprouvent un sentiment d'amour et de respect pour leur Patrie. Nous avons des raisons d'être fiers: la culture russe, l'histoire russe, sont très riches. Nous avons toutes les raisons de croire en l'avenir de notre pays. Mais nous ne nourrissons aucun fétichisme concernant la superpuissance de la Russie sur la scène internationale. Nous ne faisons qu'une seule chose — protéger nos intérêts fondamentaux.

Charlie Rose: Mais la Russie fait partie des pays leaders parce que vous avez l'arme nucléaire. Vous êtes une force à prendre en considération.
Vladimir Poutine: J'espère bien, sinon pourquoi aurions-nous cette arme? Nous partons du fait que l'arme nucléaire et d'autres types d'armement sont des moyens de défendre notre souveraineté et nos intérêts légitimes, et non une justification pour un comportement agressif ou la réalisation de quelconques ambitions impériales inexistantes.

Charlie Rose: Quand vous arriverez à New York, demanderez-vous à rencontrer le Président Obama?
Vladimir Poutine: De telles rencontres sont prévues à l'avance. Je sais que chaque seconde du programme du Président Obama est planifiée lors de tels rendez-vous, il y a de très nombreuses délégations du monde entier.

Charlie Rose: Pensez-vous qu'il aura une minute pour le Président russe?
Vladimir Poutine: C'est son choix. Nous sommes toujours ouverts au contact: au sommet, au niveau ministériel, au niveau des services, des services spéciaux s'il le faut. Mais si le Président Obama trouvait ces quelques minutes, j'en serais ravi, bien sûr, je le rencontrerais. Si pour certaines raisons il ne pouvait pas ce ne serait pas grave, nous aurions la possibilité de nous parler au G20 et à d'autres occasions.

Charlie Rose: Vous êtes prêt à voir le Président, vous dites: "J'ai un plan pour la Syrie, coopérons, voyons ce que nous pourrons faire. Coopérons sur la Syrie, voyons ce que nous pouvons faire dans d'autres domaines".
Vladimir Poutine: Vous savez, sur les questions aussi sérieuses, le point final est mis au plus haut niveau entre les présidents. Mais cela se prépare au cours des consultations préalables et entre les ministres des Affaires étrangères, de la Défense, les renseignements. C'est un grand travail et s'il est prêt à être terminé, alors il serait opportun de se rencontrer pour mettre ce point final.
Si nos collègues ne sont pas arrivés à l'étape finale, nous pouvons nous rencontrer avec le Président Obama, nous serrer la main, parler des questions d'actualité, de mon côté je suis toujours prêt à de tels contacts.

Charlie Rose: Mais nous parlons de leadership, et si vous tenez un discours vous voulez, je pense, que le Président Obama l'entende. Je pense que si vous lui téléphoniez… Et vous l'aviez déjà fait après notre entretien à ce sujet à Saint-Pétersbourg, vous aviez appelé le Président pour lui dire: "Il faut absolument nous rencontrer pour parler des questions importantes, car c'est mieux de faire quelque chose à deux plutôt que séparément".
Vladimir Poutine: En effet, je l'ai fait, j'ai téléphoné au Président Obama, et il me téléphonait aussi pour diverses questions. Cela fait partie de la pratique habituelle, il n'y a rien d'extraordinaire à cela.
Je le répète, toutes nos rencontres personnelles sont généralement préparées par nos collaborateurs. Je le répète pour la troisième fois: nous sommes prêts mais cela ne dépend pas de nous. Si la partie américaine souhaite une rencontre, nous nous rencontrerons.

Charlie Rose: Vous n'avez pas à vous préparer parce que vous vous occupez de ces questions tous les jours. De quelle préparation avez-vous besoin pour rencontrer Obama? Lui non plus semble n'en avoir pas besoin. Je pense que ce dont vous parlez est une sorte de politesse diplomatique.
Vladimir Poutine: Cela fait combien de temps que vous travaillez comme journaliste?

Charlie Rose: Plus longtemps que je pourrais me rappeler, à vrai dire.
Vladimir Poutine: Je ne peux pas vous donner de conseils pour vous dire quelles sont les choses pour lesquelles vous êtes prêt ou non. (Rire)
Pourquoi pensez-vous pouvoir me donner des conseils concernant les choses pour lesquelles je suis prêt ou non alors que ce n'est pas mon premier mandat présidentiel? Mais ce n'est pas le plus important. Le plus important est que la Russie — le Président russe, le gouvernement et tous mes collègues — est prête aux contacts au sommet, au niveau gouvernemental, ministériel et départemental. Nous sommes prêts à aller aussi loin que le sont nos partenaires américains.
D'ailleurs, la plateforme de l'Onu a été précisément créée pour chercher des compromis, pour communiquer. C'est pourquoi nous profitons de cette tribune, ce sera une bonne chose.

Charlie Rose: Permettez-moi de vous demander ce que vous pensez du Président Obama?
Vladimir Poutine: Je ne pense pas être en droit de juger le Président des États-Unis. C'est l'affaire du peuple américain. Avec le Président Obama nous avons de bonnes relations personnelles, assez franches et professionnelles. C'est parfaitement suffisant pour remplir nos fonctions.

Charlie Rose: D'après vous, son activité dans les affaires internationales montre-t-elle une certaine faiblesse?
Vladimir Poutine: Pourquoi? Je ne le pense pas du tout. Vous savez, le fait est que dans chaque pays, y compris aux USA — voire plus souvent que dans un autre pays — les facteurs de politique étrangère sont utilisés pour la bataille en politique nationale. La campagne présidentielle approche aux États-Unis. On joue toujours la carte de la Russie ou autre chose, les adversaires politiques avancent des accusations contre le président sortant, il y a plusieurs angles d'attaque, y compris les accusations d'incompétence, de faiblesse, etc. Ce n'est pas mon avis et je n'ai pas l'intention d'entrer dans les querelles de la politique intérieure américaine.

Charlie Rose: D'après vous, il vous écoute?
Vladimir Poutine: Je pense que nous nous écoutons tous les uns les autres là où cela ne va pas à l'encontre de nos propres notions de ce que nous devons faire ou non. Mais quoi qu'il en soit, nous avons un dialogue et nous nous entendons.

Charlie Rose: Vous vous entendez. Vous dites que la Russie n'est pas une superpuissance. Selon vous, considère-t-il la Russie comme une égale? D'après vous, il vous considère comme un égal? Et c'est ainsi que vous voulez qu'on vous traite?
Vladimir Poutine: (Rire) Demandez-lui, c'est votre Président. Comment puis-je savoir ce qu'il pense?
Je le répète, nous avons des relations interpersonnelles et humaines très homogènes, respectueuses, du moins l'un envers l'autre, et les contacts professionnels sont à un niveau de travail correct. Mais j'ignore ce que pense le Président des États-Unis, le Président français, la Chancelière allemande, le Premier ministre japonais ou le Président chinois. Nous ne jugeons pas les impressions, mais les actions.

Charlie Rose: Bien sûr, je suis tout à fait d'accord avec vous. Vous aimez représenter la Russie, vous aimez votre travail, et je sais que vous avez travaillé pour les services de renseignement extérieur, et je comprends que c'est votre travail de "lire" dans les gens.
Vladimir Poutine: C'était mon travail. Je fais un autre travail aujourd'hui et depuis assez longtemps.

Charlie Rose: Quelqu'un m'a dit en Russie qu'un ex-agent du KGB, ça n'existait pas.
Vladimir Poutine: Vous savez, aucune étape de notre vie ne passe sans laisser de trace. Quoi que vous fassiez toutes ces connaissances, toute cette expérience, restent toujours avec vous et vous les portez plus loin, vous les utilisez d'une certaine manière. Dans ce sens — oui, ils ont raison.

Charlie Rose: Un agent de la CIA m'a dit un jour que vous possédiez des facultés importantes. Vous pouvez charmer les gens et vous y arrivez bien. Vous les séduisez en quelque sorte.
Vladimir Poutine: Si c'est la CIA qui vous a dit cela, alors c'est probablement vrai. Ce sont de bons spécialistes. (Rire)

Charlie Rose: Vous le savez, j'en suis sûr.
Disons ce qu'on pense tout haut car c'est important. Comment les USA et la Russie peuvent-ils coopérer pour que le monde soit meilleur? Pensez à cela.
Vladimir Poutine: Nous y pensons constamment. L'une des directions de notre coopération, qui est cruciale aujourd'hui pour beaucoup de gens, même des millions de personnes sur la planète, c'est l'union des efforts et la lutte unie contre le terrorisme et d'autres phénomènes de ce genre: la lutte contre les drogues, contre la prolifération des armes de destruction massive, contre la faim, pour l'environnement, pour préserver la diversité du monde, pour que le monde soit plus prévisible et plus stable.

Charlie Rose: Stable où?
Vladimir Poutine: Dans toutes les régions du monde. Vous avez-vous-même dit que la Russie et les USA étaient les plus grandes puissances nucléaires, cela nous impose une responsabilité particulière supplémentaire. D'ailleurs, dans certains domaines, nous y arrivons bien et travaillons ensemble, notamment sur le programme nucléaire iranien. Après tout nous avons travaillé ensemble et avons abouti à un résultat positif.

Charlie Rose: Mais comment est-ce que cela a fonctionné? Le Président Obama vous a remercié plusieurs fois pour votre aide dans la voie vers l'accord final. Qu'ont fait vos diplomates, qu'a fait votre ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov pour y parvenir?
Vladimir Poutine: Le fait est que, aussi étrange que cela puisse paraître, les intérêts de la Russie et des États-Unis coïncident parfois. Et en l'occurrence, en matière de non-prolifération des armes de destruction massive, nos intérêts coïncident forcément. C'est pourquoi nous avons activement travaillé avec les USA pour régler ce problème.
La Russie n'était pas guidée uniquement par ces motivations, mais aussi par le fait que l'Iran est notre voisin, notre partenaire traditionnel et nous voudrions que la situation se normalise autour de ce pays. Nous partons du fait qu'après la normalisation et le règlement de ce problème la sécurité devrait se renforcer au Moyen-Orient. Et dans ce sens nos appréciations quant à ce qui s'est passé concernant le problème nucléaire iranien coïncident pratiquement avec celles des partenaires américains.

Charlie Rose: Le prochain président américain sera probablement républicain. Comme vous le savez, tous les membres de ce parti s'opposent à l'accord iranien. Que voudriez-vous leur dire?
Vladimir Poutine: Je viens de le dire. S'il faut le répéter, je vais le répéter.
Je pense que l'accord conclu est dans l'intérêt de la sécurité internationale, renforce la situation dans la région, pose certains obstacles à la prolifération de l'arme nucléaire, car la situation est placée entièrement sous le contrôle total de l'AIEA, et normalise la situation au Moyen-Orient dans l'ensemble parce que cela permet de construire des relations d'affaires, commerciales, de partenariat et politiques normales avec tous les pays de la région.

Charlie Rose: Tout autre homme politique pourrait envier votre popularité en Russie. Qu'est-ce qui vous rend aussi populaire?
Vladimir Poutine: Il existe une chose qui m'unit avec les autres citoyens russes, nous avons quelque chose en commun qui nous rassemble: notre amour pour la Patrie.

Charlie Rose: Pendant la célébration du 70e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, quand tout le monde commémorait les pertes de la Russie, nous avons été très touchés par cette image: vous aviez les larmes aux yeux en tenant la photo de votre père.
Vladimir Poutine: En effet, ma famille a connu de grandes pertes — et mes proches dans l'ensemble — pendant la Seconde Guerre mondiale. C'est vrai. Dans la famille de mon père, ils avaient cinq frères, je crois, et quatre sont morts il me semble. Du côté de ma mère la situation est similaire. Dans l'ensemble, la Russie a été très touchée. Bien sûr, nous ne pouvons pas l'oublier et ne devons pas l'oublier. Il ne s'agit pas d'accuser mais que rien de tel ne se reproduise. Nous devons nous en souvenir.
D'ailleurs, nous avons beaucoup de respect pour les vétérans, y compris américains. Ils ont assisté au défilé de la Victoire chez nous le 9 mai. Nous nous souvenons également des victimes d'autres pays de la coalition — le Royaume-Uni, la Chine. Nous nous en souvenons. Je pense que c'est notre mémoire positive commune. Notre combat conjoint contre le nazisme sera tout de même une bonne plateforme pour surmonter les problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui.

Charlie Rose: C'est ce que vous voudriez renforcer, ce partenariat avec l'Amérique dirigé contre des ennemis communs?
Vladimir Poutine: Pas contre des ennemis communs, mais dans notre intérêt réciproque.

Charlie Rose: Bien que vous soyez très populaire, beaucoup en Russie vous critiquent. Ils estiment que le pays est plus autocratique que démocratique. L'opposition politique et les journalistes se trouvent dans les prisons russes, ils se font tuer. Ils affirment que votre pouvoir est sans partage et que le pouvoir, qui plus est le pouvoir absolu, pervertit absolument. Qu'avez-vous à dire à ces gens préoccupés par le climat politique en Russie?
Vladimir Poutine: Il ne peut y avoir aucune démocratie sans respect de la loi, et tout le monde doit la respecter — c'est chose la plus importante dont il faut se rappeler.
En ce qui concerne la mort d'individus, y compris de journalistes — malheureusement, cela se produit dans tous les pays du monde. Mais si cela se produit chez nous, nous faisons tout pour retrouver et traduire en justice les coupables.
Et nous agirons ainsi dans tous les domaines. Mais le plus important est que nous continuerons de travailler au perfectionnement de notre système politique afin que les gens sentent qu'ils influencent la vie de l'État et de la société, qu'ils influent sur le pouvoir, et pour que le pouvoir ressente une responsabilité devant ceux qui lui font confiance pendant les élections.

Charlie Rose: Si vous, en tant que dirigeant de ce pays, insistiez sur la primauté de la loi et de la justice, cela contribuerait grandement à faire reculer cette perception négative.
Vladimir Poutine: Beaucoup de choses sont possibles, mais tout le monde n'y arrive pas, et on ne réussit pas toujours dans tout. Depuis combien de temps le processus démocratique évolue-t-il aux États-Unis? Pour autant, est-ce que vous pensez que maintenant tout est réglé du point de vue de la démocratie? Si tout était réglé, alors il n'y aurait pas eu le problème de Ferguson, n'est-ce pas? Il n'y aurait pas de problèmes de ce genre, il n'y aurait pas d'arbitraire de la police.
Notre tâche est d'identifier tous ces problèmes et d'y réagir comme il faut et à temps. C'est la même chose pour la Russie. Nous avons également beaucoup de problèmes.

Charlie Rose: Ceux qui ont assassiné Boris Nemtsov seront donc poursuivis en parfaite conformité avec la loi?
Vladimir Poutine: J'avais dit immédiatement que c'était une page honteuse de notre histoire contemporaine, que les criminels devaient être identifiés, retrouvés et punis. Cela ne se fait pas en un instant, mais nous avons d'autres exemples de crimes de ce genre. Au final, même si l'enquête dure assez longtemps, elle arrive à sa fin logique.

Charlie Rose: Vous savez, j'admire la Russie, la culture, la littérature et la musique russes. C'est un immense pays, un grand pays. Et beaucoup de gens, y compris Staline, disaient qu'elle avait besoin d'un dirigeant fort et autoritaire. La Russie a besoin d'une telle figure, disait Staline. Avait-il raison?
Vladimir Poutine: Non, je ne me souviens pas qu'il l'ait dit, je ne peux donc pas confirmer ces citations. La Russie, comme tout autre pays, n'a pas besoin de dictateur, mais de principes justes d'organisation de l'État et de la société. Justes, efficaces et qui s'adaptent avec souplesse aux changements dans le monde et dans le pays — voilà ce dont la Russie a besoin.

Charlie Rose: Mais il existe en Russie une tradition de gouvernement fort.
Vladimir Poutine: Regardez: dans la plupart des pays européens il y a démocratie parlementaire, au Japon la démocratie parlementaire, il y a la démocratie parlementaire dans de nombreux pays mais pour une raison qu'on ignore ce n'est pas le cas des États-Unis — c'est une république présidentielle assez stricte. Chaque pays a ses propres particularités, ses traditions qui se reflètent dans le présent et se refléteront dans le futur.
Il existe de telles traditions en Russie également, mais il n'est pas question d'un homme fort. Même s'il y a besoin d'un homme fort au pouvoir, la question est seulement de savoir ce que l'on sous-entend par cette notion. Si c'est un individu avec un penchant dictatorial, c'est une chose. Mais si c'est simplement un dirigeant juste qui agit dans le cadre de ses fonctions, dans le cadre de la loi et dans l'intérêt de la grande majorité de la société, s'il agit de manière cohérente et intègre — c'est complètement différent. Je pense que la Russie a besoin de dirigeants du second type, bien plus que d'individus aux penchants dictatoriaux.

Charlie Rose: Vous n'êtes pas sans savoir que certains vous qualifient de tsar.
Vladimir Poutine: Et alors? On me donne différents qualificatifs, vous savez ce qu'on dit chez nous?

Charlie Rose: Ce titre vous correspond?
Vladimir Poutine: Non. Vous savez ce qu'on dit chez nous: le nom ne fait rien à la chose. Peu importe comment vos partisans, amis ou rivaux politiques vous appellent. Ce qui importe, c'est ce que tu penses toi-même de tes obligations dans l'intérêt du pays qui t'a confié le poste de chef de l'État russe.

Charlie Rose: Les gens, en Russie, vous craignent-ils?
Vladimir Poutine: Je pense que non. Je pars du fait que la majorité me fait confiance puis qu'elle vote pour moi aux élections. Et c'est le plus important. Cela impose une responsabilité énorme, colossale. Je remercie la population de cette confiance, mais je ressens évidemment une immense responsabilité pour ce que je fais et pour le résultat de mon travail.

Charlie Rose: On parle beaucoup de vous aux États-Unis.
Vladimir Poutine: Ils n'ont rien d'autre à faire? (Rire)

Charlie Rose: Peut-être sont-ils simplement curieux? Vous êtes peut-être un homme intéressant? Mais ils vous voient avant tout comme un dirigeant très fort. Ils savent que vous avez travaillé au KGB, puis fait une carrière politique à Saint-Pétersbourg en tant qu'adjoint au maire avant de venir à Moscou. Ils vous voient sur les photos, torse nu à cheval, et ils disent: il crée son image d'homme fort.
Vladimir Poutine: Je suis convaincu que tout homme qui se trouve à ma place doit donner un exemple positif aux gens. Dans les domaines où il peut le faire, il doit le faire.
Dans les années 1990, début des années 2000, nous connaissions une situation sociale très grave, le système de sécurité sociale était détruit, nous avions de très nombreux problèmes qu'on n'arrive toujours pas à régler efficacement, à régler jusqu'au bout, dans le domaine de la santé, du développement de la pratique sportive.
J'estime qu'une bonne hygiène de vie est une chose extrêmement importante qui est à la base du règlement de nombreux problèmes importants, y compris la santé de la nation. Il est impossible de régler seulement par des médicaments les problèmes de santé des millions de gens. Il faut que les gens prennent l'habitude, s'attachent à une bonne hygiène de vie, se passionnent pour le sport et l'éducation physique.
C'est pourquoi je pense que c'est bien quand moi et mes collègues — le Premier ministre, les ministres et les députés — participent comme aujourd'hui à un marathon sur les deux distances, assistent aux matchs de football et participent eux-mêmes aux épreuves sportives. Je pense que c'est très important.

Charlie Rose: Puis-je supposer que vous appréciez l'image d'un homme fort torse nu à cheval? Voulez-vous que les gens en Russie et dans le monde vous voient précisément comme un tel dirigeant?
Vladimir Poutine: Je voudrais que tout le monde sache: la Russie dans l'ensemble et le gouvernement russe est quelque chose d'efficace et qui fonctionne correctement, que c'est un ensemble: le pays, les institutions du pays, les dirigeants du pays — ce sont des gens sains, valides et prêts à coopérer avec nos partenaires sur tous les plans: dans le domaine du sport, de la politique, de la coopération pour combattre les menaces actuelles. Je pense que tout cela n'est que positif.

Charlie Rose: On pourrait supposer que vous croyez en l'idée d'un dirigeant fort car vous êtes attaché à celle d'un gouvernement central fort, et vous avez déjà expliqué ce qui se produisait en l'absence de gouvernement fort. Est-ce que l'Amérique vous intéresse davantage que tout autre État avec lequel vous coopérez? Je pose cette question parce que comme je l'ai déjà dit, vous intéressez les USA. Et est-ce que l'Amérique vous intéresse? Suivez-vous les débats du parti républicain?
Vladimir Poutine: Je ne suis pas la situation quotidiennement. Mais, bien sûr, ce qui se passe aux États-Unis nous intéresse. C'est la plus grande puissance mondiale, un leader économique et militaire aujourd'hui, c'est évident. C'est pourquoi l'Amérique exerce une immense influence sur la situation dans le monde en général. Évidemment, nous savons ce qui s'y passe. Nous le suivons attentivement mais peut-être pas au point de suivre quotidiennement toutes les péripéties de la vie politique américaine.

Charlie Rose: Si vous avez suivi ces débats, vous savez ce que dit Donald Trump. Cet homme célèbre exprime la volonté de vous rencontrer et estime que vous pourriez vous entendre.
Vladimir Poutine: Oui, je l'ai entendu. Nous nous réjouirons de tout contact avec le futur président des USA, quel qu'il soit. Tout homme qui recevra la confiance du peuple américain peut compter sur nous pour travailler avec lui.

Charlie Rose: Marco Rubio, l'un des candidats à la présidentielle du parti républicain, déclare des choses peu flatteuses à votre sujet. Par exemple, lors d'un débat politique, il vous a qualifié de "gangster", ce qui ressemble à une attaque contre la Russie dans l'ensemble.
Vladimir Poutine: Comment puis-je être un gangster si j'ai travaillé au KGB? C'est absolument faux.

Charlie Rose: Qu'appréciez-vous le plus en Amérique?
Vladimir Poutine: L'approche créative du règlement des problèmes auxquels l'Amérique fait face, l'ouverture et l'émancipation — cela permet de dévoiler le potentiel intérieur des gens. Je pense que c'est en grand partie grâce à cela que l'Amérique a connu des succès aussi remarquables dans son développement.

Charlie Rose: La Russie a été la première à lancer un satellite dans l'espace, avant les USA. Vous avez d'excellents astrophysiciens. Vous avez connu une avancée remarquable dans le domaine de la médecine, de la science et de la physique. Espérez-vous que grâce à vous, la Russie pourra rétablir son leadership dans le monde, l'inspirer aux mêmes innovations dont vous venez de parler vis-à-vis de l'Amérique? Et comment pouvez-vous le faire?
Vladimir Poutine: Nous devons ne pas perdre ce qui a été créé au cours des dernières décennies et créer précisément les conditions que j'ai mentionnées pour l'ouverture totale du potentiel de nos citoyens. Nous avons un peuple très talentueux, nous avons une très bonne base, comme vous l'avez dit. Vous avez dit aimer la culture russe — c'est aussi une immense base pour le développement intérieur.
Nous venons de mentionner les acquis de la science russe dans de nombreux domaines. Nous devons les soutenir et créer les conditions pour que les gens se développent librement, qu'ils se sentent capables de réaliser leur potentiel. Je suis absolument certain que cela se reflétera sur le développement de la science, des technologies de pointe et de l'économie du pays.

Charlie Rose: La Cour suprême des USA s'est penchée récemment sur les droits des homosexuels, y compris le droit constitutionnel au mariage gay. D'après vous, est-ce une bonne idée de reconnaître le mariage homosexuel comme un droit constitutionnel?
Vladimir Poutine: Vous savez, ce n'est pas un groupe homogène. Certains homosexuels, par exemple, s'opposent eux-mêmes à l'adoption des enfants par les couples de même sexe. Seraient-ils moins démocrates que les autres représentants de la communauté gay? Probablement non. Simplement, c'est leur avis sur la question. Le problème des minorités sexuelles en Russie est sciemment exagéré de l'extérieur pour des raisons politiques. Nous n'avons pas ce problème.

Charlie Rose: Expliquez-vous.
Vladimir Poutine: J'explique. On sait que dans quatre États américains l'homosexualité est considérée comme un crime pénal. Est-ce bien ou non — nous connaissons maintenant la décision de la Cour constitutionnelle, mais ce problème n'est pas complètement réglé, il n'est pas définitivement exclu de la législation américaine. Nous n'avons pas ce genre de choses.


Charlie Rose: Vous le condamnez?

Vladimir Poutine: Oui, je le condamne. J'estime que dans le monde contemporain on ne doit pas poursuivre pénalement — ou d'une autre manière — ni porter atteinte aux droits des hommes en fonction de critères tels que la nationalité, l'ethnie ou l'orientation sexuelle. Cela doit être complètement exclu.

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Donald Trump: "Poutine est plus sympa que moi!"
Nous n'avons pas ce genre de problèmes. Si je ne m'abuse, l'article 120 du Code pénal de la RSFSR prévoyait des poursuites pour homosexualité. Nous avons abrogé tout cela et il n'y a plus aucune poursuite. Les homosexuels en Russie vivent tranquillement, travaillent, avancent dans leur carrière et reçoivent des récompenses d'État pour leurs travaux dans la science, l'art ou d'autres domaines, je leur remets personnellement ces récompenses.
Quant à l'interdiction de la propagande de l'homosexualité auprès des mineurs, je ne vois rien d'antidémocratique à cet acte juridique. A titre personnel, je pense qu'il faut laisser les enfants tranquilles, leur donner la possibilité de grandir, de prendre conscience d'eux-mêmes et décider eux-mêmes qui ils sont: un homme, une femme, s'ils veulent vivre dans une union normale ou non traditionnelle, c'est tout. Je n'y vois absolument aucune atteinte aux droits des homosexuels.
Je pense que c'est sciemment exagéré pour présenter la Russie comme un ennemi à un certain groupe d'individus, pour des raisons politiques, comme un axe d'attaque contre la Russie.

Charlie Rose: D'où viennent ces attaques?
Vladimir Poutine: De la part de ceux qui les portent. Regardez qui le fait.

Charlie Rose: D'après vous, les droits des homosexuels et les unions homosexuelles en Russie sont reconnus dans la même mesure qu'aux USA? C'est votre position?
Vladimir Poutine: Non seulement nous les reconnaissons, mais nous les assurons aussi. La Russie assure les droits égaux de tous, y compris des homosexuels.

Charlie Rose: La question suivante porte sur l'Ukraine, nous avions déjà évoqué ce sujet. Certains pensent qu'en raison des événements en Ukraine et en Crimée, les USA et l'Occident ont décrété des sanctions qui ont nui à la Russie. Dans le même temps, d'autres disent que l'aspiration de Moscou à être une "force du bien" en Syrie et dans le monde pourrait en quelque sorte détourner l'attention du problème de la crise ukrainienne.
Vladimir Poutine: Pour détourner l'attention du problème ukrainien, c'est ce que vous voulez dire? Que nos actions en Syrie visent à détourner l'attention de l'Ukraine?
Bien sûr que non. L'Ukraine est un grand problème à part, y compris pour nous, je vais expliquer pourquoi. La Syrie est un autre problème, je vous ai déjà dit que nous ne voulions pas qu'elle se désintègre, que nous ne voulions pas l'arrivée des terroristes, le retour en Russie des individus qui combattent actuellement aux côtés des terroristes. C'est un ensemble de problèmes.
En ce qui concerne l'Ukraine, c'est une situation particulière. L'Ukraine est le pays le plus proche de nous. Nous avons toujours dit qu'elle était un pays fraternel, c'est effectivement le cas. Ce n'est pas simplement un peuple slave, c'est le peuple le plus proche des Russes: la langue est très proche, tout comme la culture, l'histoire commune, la religion, etc.
Ce que je considère comme absolument inadmissible pour nous? Le règlement des questions, y compris litigieuses et intra-politiques, dans les républiques de l'ex-Union soviétique, à l'aide de révolutions de couleur, de coups d'État, de moyens anticonstitutionnels pour destituer le pouvoir en place. Voilà ce qui est inadmissible. Nos partenaires américains ne cachent pas avoir soutenu ceux qui s'opposaient au Président Ianoukovitch. Certains ont ouvertement déclaré avoir dépensé plusieurs milliards pour cela.

Charlie Rose: Vous pensez que les États-Unis sont impliqués dans le renversement de Viktor Ianoukovitch, après lequel il a été contraint de fuir en Russie?
Vladimir Poutine: Je le sais avec certitude.

Charlie Rose: Comment le savez-vous?
Vladimir Poutine: C'est très simple. Nous avons des milliers de contacts et de liens avec des gens qui vivent en Ukraine. Et nous savons qui, où et quand a rencontré les gens qui ont renversé Ianoukovitch, de quelle manière ils étaient soutenus, combien on les payait, où et comment ils ont été préparés, dans quels pays et qui étaient leurs instructeurs. Nous savons tout cela.
En fait, nos partenaires américains ne le cachent plus. Ils disent ouvertement: oui, nous avons soutenu, préparé et dépensé tant d'argent. On parle de grandes sommes, jusqu'à cinq milliards de dollars, il est question de milliards de dollars. C'est pourquoi ce n'est pas un secret, personne ne le conteste.

Charlie Rose: Respectez-vous la souveraineté de l'Ukraine?
Vladimir Poutine: Bien sûr. Mais nous voudrions que d'autres pays aussi respectent la souveraineté d'autres pays, y compris l'Ukraine. Or respecter la souveraineté signifie empêcher les coups d'État, les actes anticonstitutionnels et le renversement illégal des autorités légitimes. Voilà ce qui doit être absolument empêché partout.

Charlie Rose: Comment se produit un renversement illégal de gouvernement légitime? Quel est le rôle de la Russie dans le renouvellement du gouvernement en Ukraine?
Vladimir Poutine: La Russie n'a jamais participé et n'a pas l'intention de participer à des actions visant à renverser un gouvernement légitime.
Je parlais d'autre chose, du fait que si quelqu'un le fait, alors les conséquences sont lourdes: en Libye ce fut la désintégration totale de l'État, en Irak l'inondation du territoire par des terroristes, en Syrie la situation tend vers la même chose, et vous savez ce qu'il en est de l'Afghanistan.
Que s'est-il passé en Ukraine? Le coup d'État a entraîné une guerre civile car même si beaucoup de citoyens ukrainiens ne faisaient pas confiance au Président Ianoukovitch, il fallait aller légitimement voter et élire un autre chef d'État, au lieu d'organiser un coup d'État. Après celui-ci, certains l'ont soutenu, d'autres non. Et avec ceux qui ne l'avaient pas soutenu on a commencé à parler de recours à la force. Résultat des courses — la guerre civile.

Charlie Rose: Et qu'êtes-vous prêt à faire vis-à-vis de l'Ukraine?
Vladimir Poutine: Je pense que la Russie et d'autres membres de la communauté internationale, y compris ceux qui participent plus activement au règlement de la crise ukrainienne, c'est-à-dire l'Allemagne et la France au sein du quartet Normandie, évidemment avec la participation active des USA, nous avons intensifié aujourd'hui le dialogue à ce sujet, nous devons tous aspirer à la mise en œuvre à part entière des accords conclus à Minsk. Il faut remplir les Accords de Minsk.

Charlie Rose: John Kerry en a parlé hier après son entretien avec le ministre britannique des Affaires étrangères. Après la Syrie il a mentionné l'Ukraine et a souligné la nécessité d'une mise en œuvre à part entière des Accords de Minsk. Avec John Kerry vous êtes donc d'accord qu'il faut remplir les Accords de Minsk.
Vladimir Poutine: Complètement.
Maintenant, soyez patient et écoutez-moi sans m'interrompre pendant deux minutes. Je vous demande de me permettre d'exprimer ce que j'ai à dire sans coupure. Pouvez-vous le faire? Avez-vous la possibilité de le diffuser sans coupure?

Charlie Rose: Oui.
Vladimir Poutine: Que signifie la mise en œuvre des Accords de Minsk? Il y a plusieurs points, je parlerai de l'essentiel. La principale chose à faire pour que la situation en Ukraine change radicalement, c'est de procéder aux réformes politiques.
Premièrement: Il faut adopter des amendements à la Constitution tel que c'est écrit dans les Accords de Minsk. Le point le plus important est que cela doit être fait de concert avec Donetsk et Lougansk, c'est écrit noir sur blanc. C'est un point fondamental. L'Ukraine adopte actuellement des amendements à la Constitution, la première lecture a eu lieu mais il n'y a eu aucune consultation avec Donetsk et Lougansk, personne n'a la moindre intention de les consulter. C'était le premier point.
Deuxième point: il faut — c'est aussi écrit directement dans les Accords de Minsk — implémenter la loi déjà adoptée en Ukraine sur les particularités de l'autonomie locale sur ces territoires. La loi a été adoptée mais son entrée en vigueur a été reportée. Les Accords de Minsk ne sont donc pas remplis.
Troisièmement: il fallait adopter une loi sur l'amnistie. Comment peut-on dialoguer avec les gens du Donbass, de Lougansk et de 

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Donetsk, s'ils sont tous poursuivis pénalement? C'est pourquoi il est prescrit dans les Accords de Minsk d'adopter la loi sur l'amnistie. Elle n'a pas été adoptée.

Il existe encore plusieurs points. Par exemple: organiser les élections locales. Il est écrit: adopter la loi sur les élections locales en accord avec Donetsk et Lougansk. L'Ukraine a adopté la loi sur les élections locales, les représentants de Donetsk et de Lougansk ont envoyé à trois reprises leurs propositions sur cette loi mais personne n'a voulu leur parler. Alors que les Accords de Minsk stipulent: se concerter avec Donetsk et Lougansk.
Je respecte beaucoup et même j'apprécie monsieur Kerry, c'est un diplomate très expérimenté. Il me disait qu'à une époque il s'opposait à la "guerre des étoiles", et il avait raison. Si c'est lui qui prenait aujourd'hui des décisions sur le bouclier antimissile (ABM), on n'aurait probablement pas de problèmes actuellement sur la défense antimissile. Mais en l'occurrence il altère clairement le sens de la situation. Si une partie, les autorités ukrainiennes, disent aujourd'hui: nous avons fait ci, nous avons fait cela, nous avons rempli les Accords de Minsk — c'est faux car tout cela devait être fait en concertation avec Donetsk et Lougansk. Il n'y a eu aucune concertation.
Et quant à l'implémentation de la loi déjà adoptée sur les particularités de l'autonomie locale, les Accords de Minsk indiquent: dans un délai de 30 jours. Rien n'a été fait, l'adoption de la loi a été reportée une fois de plus.
C'est pourquoi nous prônons la mise en œuvre à part entière et inconditionnelle des Accords de Minsk par les deux parties, pas selon l'interprétation d'un seul côté mais bien en conformité avec le texte.

Charlie Rose: Je vous ai donné quatre minutes sans vous interrompre, n'est-ce pas?
Vladimir Poutine: J'ai vu que vous vous reteniez de toutes vos forces. Je vous remercie.

Charlie Rose: Oui, j'ai apprécié vos déclarations.
Vladimir Poutine: En réalité, tout ce que je dis, c'est la vérité.

Charlie Rose: Les Américains vous verront comme jamais ils ne vous avaient vu. Aujourd'hui vous parlez beaucoup, vous communiquez avec nous. C'est très bien.
Vladimir Poutine: Merci. Ce que j'ai dit n'est rien d'autre que la vérité, vous comprenez? Les questions relatives à cet accord ne peuvent pas être réglées si les autorités de Kiev font tout de manière unilatérale, bien que les Accords de Minsk stipulent: de concert avec le Donbass. C'est un point crucial.

Charlie Rose: Vous le croyez vraiment?
Vladimir Poutine: Il n'y a rien à croire, c'est écrit noir sur blanc, il suffit de lire. C'est écrit: de concert avec Donetsk et Lougansk — lisez le document. Et je vous dis qu'il n'y a pas de concertations, c'est tout. C'est écrit: adopter la loi sur le statut particulier dans un délai de 30 jours. Et elle n'est pas adoptée. Alors qui ne remplit pas les Accords de Minsk?

Charlie Rose: Vous avez mentionné le secrétaire d'État américain, qui juge important non seulement la mise en œuvre des Accords de Minsk, mais également l'abandon par les séparatistes de l'idée d'organiser les élections indépendantes. C'est ce que John Kerry a déclaré hier.
Vladimir Poutine: Je connais la position de nos amis américains et je voudrais répéter qu'en ce qui concerne les élections locales, les Accords de Minsk stipulent: adopter la loi sur les élections locales de concert avec Donetsk et Lougansk.
Que s'est-il passé en réalité? Les autorités de Kiev ont adopté cette loi de manière unilatérale sans se concerter avec Donetsk et Lougansk, bien que ces derniers aient envoyé trois fois leur projet. Il n'y a eu aucun dialogue, Kiev a adopté la loi sans les consulter. Plus encore, la loi adoptée par Kiev stipule que les élections ne seront pas organisées sur ces territoires.
Qu'est-ce que cela signifie? En fait, les autorités ont elles-mêmes provoqué les représentants de Donetsk et de Lougansk pour qu'ils organisent leurs propres élections. C'est tout. Nous sommes donc prêts à parler de tout cela avec monsieur Kerry, mais il faudra alors inciter les deux parties à remplir les termes de l'accord qu'elles ont signé au lieu de faire passer pour un bienfait ce qu'elles font à leur propre initiative.

Charlie Rose: Je vous comprends, je voulais simplement le répéter étant donné que le secrétaire d'État Kerry avait souligné la question des élections. Oui, je vous comprends en effet.
Vladimir Poutine: En l'occurrence, le secrétaire d'État Kerry, en tant que diplomate, ruse, mais c'est normal, cela fait partie de son travail. Tous les diplomates rusent, lui aussi.

Charlie Rose: Vous ne le feriez jamais?
Vladimir Poutine: Je ne le ferais pas. Je ne suis pas un diplomate.

Charlie Rose: Comment vous percevez-vous?
Vladimir Poutine: Comme un homme, un citoyen de la Fédération de Russie, un Russe.

Charlie Rose: Vous avez dit également que l'effondrement de l'Union soviétique était la plus grande tragédie du siècle dernier. Cependant, certains regardent l'Ukraine et la Géorgie en pensant que vous voulez recréer non pas l'empire soviétique, mais plutôt la sphère d'influence que la Russie, d'après vous, mérite à cause des liens qui ont existé au cours de toutes ces années. Pourquoi souriez-vous?
Vladimir Poutine: Vous me faites sourire. On nous soupçonne constamment de certaines ambitions et on cherche tout le temps à déformer ou à omettre quelque chose. J'ai dit effectivement que je considérais l'effondrement de l'Union soviétique comme une immense tragédie du XXe siècle. Savez-vous pourquoi? Avant tout parce que 25 millions de Russes se sont retrouvés en un instant en dehors de la Fédération de Russie. Ils vivaient dans un État uni et l'Union soviétique était toujours traditionnellement qualifiée de Russie, de Russie soviétique, mais c'était aussi une grande Russie. Puis l'Union soviétique s'est soudainement effondrée en une nuit, et de facto il s'est avéré que 25 millions d'individus, de Russes, vivaient désormais dans les "ex-républiques soviétiques".
Ils restaient dans le même pays mais se sont tout à coup retrouvés à l'étranger. Imaginez-vous le nombre de problèmes qui sont survenus.
Premièrement: les questions ménagères, les séparations des familles, les problèmes économiques, les problèmes sociaux — il est difficile de tout citer. Et vous trouvez normal que 25 millions de Russes se retrouvent soudainement à l'étranger? Les Russes sont aujourd'hui la nation la plus dispersée dans le monde. N'est-ce pas un problème? Peut-être pas pour vous, mais pour moi c'est un problème.

Charlie Rose: Et comment comptez-vous régler ce problème?
Vladimir Poutine: Dans le cadre de processus civilisés, contemporains, nous désirons préserver au moins un espace humanitaire commun, faire en sorte d'éviter l'apparition de frontières nationales, que les gens puissent communiquer librement entre eux, que l'économie commune se développe en utilisant les avantages hérités de l'ex-Union soviétique.
Quand je parle d'avantages, j'entends l'infrastructure commune, le réseau ferroviaire commun, le réseau routier commun, le système énergétique commun et, enfin, je n'ai pas peur de ce mot, la grande langue russe qui rassemble toutes les ex-républiques soviétiques et nous apporte des avantages concurrentiels évidents dans la promotion de divers projets d'intégration dans l'espace postsoviétique.
Vous avez probablement entendu parler de notre Union douanière, qui a évolué en Union économique eurasiatique. Quand les gens communiquent librement, circulent librement, tout comme la main d'œuvre, les marchandises, les services et les capitaux, il n'y a pas de lignes étatiques de démarcation, quand nous avons les mêmes règles juridiques, disons, dans la sphère sociale, cela est tout à fait suffisant, les gens doivent se sentir libres.

Charlie Rose: Mais avez-vous dû utiliser la force militaire pour atteindre cet objectif?
Vladimir Poutine: Bien sûr que non.

Charlie Rose: Certains parlent d'une présence militaire russe à la frontière ukrainienne, et quelques uns affirment même que les troupes russes sont sur le territoire du pays voisin.
Vladimir Poutine: Avez-vous une présence militaire en Europe?

Charlie Rose: Oui.
Vladimir Poutine: Des armes tactiques nucléaires américaines se trouvent en Europe, ne l'oublions pas. Est-ce que cela signifie que vous avez occupé l'Allemagne ou n'avez pas renoncé à l'occupation de l'Allemagne après la Seconde Guerre mondiale, mais seulement transformé les forces d'occupation en troupes de l'Otan? Car on pourrait le voir aussi de cette manière, mais nous ne disons pas que c'est le cas. Donc si nous déployons nos troupes sur notre territoire près de la frontière avec un autre État, est-ce vraiment un crime?

Charlie Rose: Je n'ai pas parlé de crime.
Vladimir Poutine: Pour mener à bien les processus dont j'ai parlé — l'intégration économique, humanitaire et sociale naturelle — les forces armées ne sont pas nécessaires.
Nous avons créé l'Union douanière et l'Union économique eurasiatique sans aucun usage de la force, mais grâce à la recherche de compromis. C'était un processus complexe, difficile, qui a demandé des années pour aboutir. Il a fallu du temps pour trouver des compromis sur la base de conditions acceptables pour tous, en espérant que nous créerions pour nos économies et citoyens des avantages concurrentiels plus efficaces sur les marchés mondiaux et dans l'espace mondial.

Charlie Rose: Passons à la question suivante. Quelles sont vos intentions à l'égard des pays baltes?
Vladimir Poutine: Nous voudrions établir avec eux des relations de partenariat amicales. Un grand nombre de Russes y vivent depuis la fin de l'Union soviétique. On y porte atteinte à leurs droits. Vous savez, dans certains pays baltes, on a inventé quelque chose de nouveau dans le droit international.

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Jusqu'ici, du point de vue de la citoyenneté, on avait: un citoyen, un étranger, un individu sans citoyenneté et les bipatrides — ceux qui ont la double-nationalité. Les pays baltes ont inventé une nouveauté. Vous savez quoi? On qualifie de "non-citoyens" les gens qui vivent depuis des décennies sur le territoire des pays baltes et sont privés de plusieurs droits politiques. Ils ne peuvent pas participer aux campagnes électorales, leurs droits politiques et sociaux sont restreints. Et on n'en parle pas — comme si c'était parfaitement normal.
Bien sûr, cela provoque forcément une réaction appropriée. Mais je pars du fait que nos collègues américains et européens s'appuieront tout de même sur les principes contemporains du droit humanitaire et garantiront les droits et les libertés politiques de tous les individus, y compris ceux qui vivent dans les pays baltes depuis la chute de l'Union soviétique. Et en ce qui concerne les relations économiques, nous avons des contacts stables et très diversifiés avec ces pays.
Mais vous savez, il y a tout de même des choses qui me, comment dire, déconcertent.

Charlie Rose: Déconcertent?
Vladimir Poutine: Me déconcertent et m'attristent.
Nous parlons de la nécessité de rapprocher les positions, d'intégration dans le domaine économique et politique.
Les pays baltes — j'ai déjà mentionné qu'après l'Union soviétique nous avions hérité d'un système électrique et énergétique commun — faisaient naturellement partie du système énergétique commun de l'Union soviétique. Que font-ils aujourd'hui? Tout le monde semble parler du rapprochement de la Russie, de l'Union européenne.
Mais que se passe-t-il réellement, dans la pratique? Il est prévu d'exclure les pays baltes du système énergétique commun de l'ex-Union soviétique pour les intégrer dans le système européen. Qu'est-ce que cela signifie pour nous concrètement? Qu'entre certaines régions russes apparaîtrons des zones où nous n'aurons plus de lignes électriques, car auparavant elles passaient en boucle par les pays baltes. Et aujourd'hui nous devrons dépenser des milliards de dollars pour construire ce système, tout comme nos partenaires européens devront dépenser des milliards de dollars pour connecter les pays baltes à leur réseau énergétique. Pourquoi?
Si nous aspirons réellement, pas en paroles mais dans les faits, à un travail commun et à une intégration, pourquoi faire tout cela? Et c'est le cas dans bien d'autres domaines: on dit une chose mais on fait l'inverse.
Personnellement, je pars du fait qu'il s'agit de problèmes de croissance, et qu'au final le bon sens devrait prendre le dessus — si ce n'est pas sur ce sujet, alors sur d'autres questions. C'est dans notre intérêt à tous de se développer ouvertement, sans aucun préjugé, y compris les pays baltes — voire plus que les autres —, et c'est plus important pour eux que pour la Russie.
Prenons la Lituanie. Connaissez-vous le nombre d'habitants de ce pays à l'époque soviétique? 3,4 millions. Un petit pays, une petite république. Et aujourd'hui? J'ai consulté les dernières informations — 1,4 million. Où sont ces gens? Plus de la moitié des citoyens a quitté le pays. Vous vous imaginez si plus de la moitié des Américains quittaient les États-Unis? Ce serait une catastrophe.
Cela veut dire que les liens rompus, notamment dans l'économie, nous affectent tous. Et cela affecte également la Russie. Je suis donc convaincu que nous devons abandonner les phobies du passé, regarder vers l'avenir et construire des relations de bon voisinage et équitables sur la base du droit international.

Charlie Rose: Et bien sûr nous devons lever les sanctions.
Vladimir Poutine: Si quelqu'un préfère travailler en recourant aux sanctions, pourquoi pas. Mais cela ne dure qu'un temps. Premièrement, cela enfreint le droit international. Deuxièmement, dites-moi quand la politique de sanctions a été efficace? Jamais, et elle ne le sera certainement pas vis-à-vis d'un pays comme la Russie.

Charlie Rose: Dans le contexte des sanctions et de la baisse du cours pétrolier, même vos amis s'inquiètent pour l'économie russe. Est-ce un sérieux défi pour vous? Est-ce une réalité économique globale préoccupante?
Vladimir Poutine: Vous savez, je dirais que les sanctions sont des actes illégitimes qui détruisent les principes de l'économie mondiale internationale, ceux de l'Organisation mondiale du commerce et ceux de l'Onu. Les sanctions ne peuvent être décrétées que sur décision du Conseil de sécurité de l'Onu. Et les sanctions unilatérales sont une violation du droit international. Mais laissons de côté cet aspect juridique de l'affaire. Les sanctions nuisent, bien sûr, mais elles ne sont pas la cause principale de la réduction de la croissance économique russe ou d'autres problèmes liés à l'inflation.
Pour nous, la principale cause est la baisse des prix de nos produits d'exportation, notamment du pétrole et donc du gaz, ainsi que d'autres marchandises, sur les marchés mondiaux. C'est le plus important. Certes, les sanctions ajoutent un peu de négativité et affectent d'une manière ou d'une autre, mais n'ont pas d'impact fondamental pour notre économie.

Charlie Rose: Est-ce que la Russie arrivera à gérer les sanctions?
Vladimir Poutine: Bien sûr, cela ne fait pas l'ombre d'un doute, c'est indiscutable. Cela a même un certain avantage: il y a beaucoup de choses, notamment dans le domaine des technologies de pointe, que nous préférions auparavant simplement acheter avec des pétrodollars.
Aujourd'hui, à cause des sanctions, nous ne pouvons plus les acheter ou craignons qu'on nous en empêche, et nous avons dû déployer des programmes de développement, au sein de notre propre économie, des technologies de pointe, de l'industrie, de la production et de la recherche.
C'est ce que nous aurions de toute façon dû faire, mais c'était difficile car nos propres marchés nationaux étaient inondés par les produits étrangers, et dans le cadre de l'OMC il nous était difficile de soutenir notre propre production. Et aujourd'hui, après l'adoption des sanctions et le départ délibéré de nos partenaires de notre marché, cela nous offre une opportunité de développement.

Charlie Rose: Je voudrais vous poser encore quelques questions. Vous avez été Président, Premier ministre, puis à nouveau Président. Combien de temps voulez-vous rester au pouvoir? Et que voudriez-vous laisser derrière vous? C'est la première question.
Vladimir Poutine: Combien de temps? Cela dépendra de deux choses. Premièrement, il existe évidemment des règles prévues par la Constitution, et je ne les enfreindrai pas. Mais je ne suis pas sûr de devoir entièrement profiter de ces droits constitutionnels. Cela dépendra de la situation concrète dans le pays, dans le monde, de mes propres sentiments.

Charlie Rose: Et quelle Russie voudriez-vous laisser derrière vous?
Vladimir Poutine: La Russie doit être efficace, compétitive, avec une économie stable, un système social et politique développé, flexible envers les changements à l'intérieur du pays et en dehors.

Charlie Rose: Et doit-elle jouer le rôle de leader dans le monde?
Vladimir Poutine: Elle doit être compétitive, comme je l'ai dit, elle doit être capable de défendre ses intérêts et d'influencer les processus importants pour elle.

Charlie Rose: Certains disent que vous êtes un homme tout-puissant, que vous pouvez obtenir tout ce que vous voulez. Et que voulez-vous? Dites à l'Amérique et au monde ce que veut Vladimir Poutine.
Vladimir Poutine: Je voudrais que la Russie soit telle que je viens de la décrire. C'est mon principal vœu. Et que les gens soient heureux, et que nos partenaires dans le monde entier souhaitent et aspirent à développer leurs relations avec la Russie.

Charlie Rose: Merci beaucoup, c'était un grand plaisir.
Vladimir Poutine: Merci.

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