Syrie: Macron et Trump piégés par leurs promesses

© Sputnik . Dmitriy Vinogradov / Accéder à la base multimédiaSituation in Maaloula, Syria
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Paris menace de frapper en Syrie aux côtés de Washington, laquelle accentue son bras de fer avec Moscou. Une crise qui rappelle celle de 2013. Pourtant, de nombreux paramètres ont changé et dans un contexte d’hystérie antirusse et de victoire de Bachar el-Assad, véritable camouflet pour l’Occident, une nouvelle guerre n’est peut-être pas si loin…

«Nous avons la preuve que la semaine dernière […] des armes chimiques ont été utilisées, au moins du chlore et qu'elles ont été utilisées par le régime de Bachar el-Assad.»

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Les déclarations du Président de la République, le 12 avril depuis une école dans l'Orne, ne sont pas passées inaperçues. En effet, elles laissent peu de doutes quant aux intentions françaises de frapper Damas, d'autant que les autorités syriennes sont aussi pointées du doigt par Washington et Londres après l'attaque chimique supposée du 7 avril à la Ghouta.

Reste à savoir quand auront lieu les bombardements promis par l'Élysée, un point sur lequel la rhétorique de notre chef des armées se complique… «Quand nous le déciderons et une fois que nous aurons vérifié toutes les informations» répond-il, à Jean-Pierre Pernaut. Parle-t-il alors de vérifier les «preuves» évoquées auparavant ou la localisation des supposés stocks d'armes chimiques de Damas que Paris entend cibler? S'agissant des premières, il serait en tout cas intéressant d'avoir plus d'éléments, car après tout, à part les vidéos fournies par les Casques blancs, les éléments à charge manquent encore. D'ailleurs, les inspecteurs de l'OIAC, l'organisme onusien chargé du contrôle des armes chimiques devaient se rendre sur le terrain dès le 12 avril.

​Mais attendre leurs conclusions est-il vraiment nécessaire? Assad est coupable aux yeux des journalistes des principaux médias français qui, depuis plus de sept ans, relaient auprès de l'opinion publique une vision manichéenne et partisane du conflit. Convoqué au tribunal médiatique, les mêmes qui plaidèrent pour la guerre en Libye et avant cela en Irak, sans que cela ne semble choquer quiconque.

«Elles sont pour moi totalement irresponsables, parce que nous n'avons aucune preuve, cela fait quand même trois fois qu'on nous fait le coup!»

estime l'eurodéputée UDI Patricia Lalonde à propos de ces réactions. Suppléante de Marielle de Sarnez, sa voix se fait dissonante au sein de ce parti ayant rejoint la majorité depuis la non-réélection du sénateur Yves Pozzo di Borgo. Elle évoque les cas de la Ghouta en 2013, qui avait à l'époque déjà failli précipiter une intervention des pays de l'OTAN dans une énième agression d'un état souverain. Une guerre évitée de peu, certainement suite aux lourds soupçons de provocation des services secrets turcs.

Deuxième cas, celui de Khan Cheikhoun, et où Donald Trump avait finalement cédé à la pression médiatique et à celle de son environnement. Une soixantaine de missiles de croisière avaient ainsi été lancés sur une base aérienne syrienne —sous les applaudissements de la «Communauté internationale»- alors même qu'au Pentagone, James Mattis, Secrétaire à la Défense, expliquait qu'il n'avait «aucune preuve» que le gazage soit le fait des forces gouvernementales. Des preuves qui, visiblement, font aujourd'hui encore défaut…

«On nous expliquait que des attaques chimiques sous faux drapeaux étaient en préparation. On nous a expliqué cela pendant des mois et des mois, cela n'arrivait pas, mais là, c'est arrivé. C'est tellement énorme, c'est comme l'affaire Skripal, comment on peut nous faire croire ça? Peut-être qu'une opinion publique au courant de rien gobe ça, mais je pense que c'est très dangereux que l'Europe s'embarque dans cette histoire,» développe l'eurodéputée.

Face à ces mises en garde, certains adeptes des théories complotistes n'hésitent pas à les mettre sur le compte d'un trolling russe prémédité… d'autres, comme Bernard-Henri Lévy, estiment que si le Président syrien avait décidé de gazer son peuple alors qu'il a gagné la guerre, c'est en partie à cause de la récente annonce de Donald Trump d'un prochain retrait des troupes US de Syrie.

«Je suis pour sauver le plus vite possible les enfants survivants de la Ghouta», déclare sur le service public BHL. Fier de son rôle dans le déclenchement de l'opération Harmattan en Libye, selon lui l'Occident s'est donné de «fausses raisons» de ne pas intervenir. «Il faut arrêter Bachar el-Assad, il faut interdire à ses avions de voler» ajoute-t-il encore entre deux insultes à Vladimir Poutine et aux Russes.

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Autour de lui, chroniqueurs et éditorialistes reprennent la rengaine d'un président syrien qui gazerait son peuple par arrogance vis-à-vis des Occidentaux: sûr de son impunité il voudrait faire «régner la terreur» et «anéantir toute forme d'opposition», pour asseoir son pouvoir. Une rhétorique développée dès le matin du 9 avril par un éditorialiste de BFMTV qui déclare «il faut, cette fois, que la force soit utilisée de manière encore plus forte pour que cela serve effectivement de leçon pour l'avenir.»

Une leçon, mais aussi un geste humanitaire pour sauver les enfants. Une rengaine reprise par Emmanuel Macron qui, comme précédemment, met en avant le respect du droit humanitaire international. Des photos d'enfants —sans autre signe de détresse physique que des cheveux mouillés- illustrant des articles accusateurs. «On ne peut pas laisser aujourd'hui des régimes qui se croient tout permis, et en particulier le pire en contravention avec le droit international, agir» ajoutera le jeune Président, qui plus que jamais marche dans les pas de son prédécesseur.

«Pour ne plus jamais revoir les images atroces de crimes que nous avons vues, avec des enfants, des femmes, qui étaient en train de mourir étouffés,» déclarait le chef de l'exécutif sur TF1.

Laisser libre cours à ses émotions et céder aux appels des plus bellicistes, une attitude que pourrait illustrer la réaction Juliette Méadel, ex-secrétaire d'État PS à l'Aide aux victimes sur le plateau de France télévision. Celle-ci s'emporte, estimant que la question des attaques chimiques —et des preuves de leur existence- est «un faux débat».

Pour elle, Bachar al Assad «massacre son peuple» depuis des années et doit donc être arrêté, la question de savoir qu'est-ce qu'il adviendra du pays après-coup ainsi que les contre-exemples irakiens et syriens sont —sous le coup de l'émotion- totalement éludés, balayés.

Une fibre émotionnelle sur laquelle jouent les néoconservateurs, en plus du tropisme antirusse suscité aux États-Unis par Hillary Clinton et son camp après sa défaite électorale. La réaction de Donald Trump sur ce dossier serait-elle motivée par le désir de se blanchir des accusations de collusion avec le pouvoir russe?

En tout cas, Donald Trump a radicalement changé sa position sur la Syrie et donné des assurances à un électorat démocrate versé dans l'interventionnisme américain depuis Bill Clinton, fixant des lignes rouges, chose que fit également Emmanuel Macron. Le candidat En Marche qui, durant la campagne, a essuyé des critiques de la presse sur ses positions à propos de la crise syrienne.

Aujourd'hui, la situation a changé par rapport à 2013, à l'époque François Hollande —plus royaliste que le roi- avait été stoppé par Barack Obama, aujourd'hui on voit difficilement Donald Trump appeler à la raison Emmanuel Macron…

«C'est terrible, je trouve que si l'Europe commence à se plier aux quatre volontés des néoconservateurs américains- ce qui est le cas actuellement —, c'est quand même très grave pour l'Europe. Je ne pense pas que cela soit comme ça que l'on va construire une Europe forte», déclare à Sputnik Patricia Lalonde.

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À ceux qui souhaitent «sauver les derniers enfants de la Ghouta» et peut-être ses derniers djihadistes, rappelons que les forces gouvernementales syriennes ont récupéré le 12 avril, pour la première fois depuis 2011, le contrôle total de la capitale et de sa banlieue. De son côté, la défense russe a invité l'OMS à enquêter sur place, en garantissant leur sécurité et se pose des questions quant au fait que l'attaque chimique présumée à la Douma le 7 avril, ait vraiment eu lieu. Pointant du doigt les Casques blancs, des représentants du Croissant-Rouge syrien et du bureau local du coordinateur de l'Onu en Syrie —qui participent aux opérations humanitaires dans la Ghouta orientale- ne disposeraient d'aucune information concernant les 500 blessés dans cette attaque au gaz.

Reste à savoir quels pays, en Europe, s'opposeront à ces frappes tant que des preuves indépendantes n'auront pas été fournies. Une situation de crise qui rend fébriles certaines capitales européennes, partenaires de l'OTAN, comme Berlin. Angela Merkel vient de faire savoir que l'Allemagne ne participerait pas à d'éventuelles frappes ou encore Theresa May, qui a coupé court à l'idée de laisser son Parlement s'exprimer sur la question.

Rappelons au passage, qu'en 2003, le «non» de Jacques Chirac à la guerre en Irak avait coûté très cher à la France, 4 milliards d'euros pour être précis. Car, non content de mener une guerre économique sans concessions aux intérêts européens, l'«ami» américain sait parfaitement manier le bâton lorsque l'un de ses «plus proches alliés» se défausse.

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