La décision du sculpteur et président de l'Académie des beaux-arts de Russie, Zourab Tsereteli, d'installer dans la capitale russe un monument au poète Joseph Brodsky est venue à bout de la patience des Moscovites.
Une campagne massive de protestation s'est déchaînée sur le site Internet www.helptobrodsky. Plus de 13.000 signatures ont été recueillies à ce jour pour appeler les autorités et le sculpteur lui-même à arrêter d'encombrer la capitale de ses chefs-d'œuvre.
Après le démembrement de l'URSS, Zourab Tsereteli, sculpteur et peintre jusque-là peu connu, est soudain devenu pour les Moscovites la figure de proue de l'époque contemporaine. Il est difficile, en effet, de ne pas apercevoir son gigantesque obélisque du mont Poklonnaïa couronnée d'une Niké, déesse grecque symbolisant la victoire, sa sculpture colossale de Pierre le Grand debout sur la proue d'un navire de guerre sur une île artificielle au milieu de la Moskova et son zoo de bêtes sculptées dans le jardin Alexandre Ier en face de la muraille du Kremlin.
Si les formes sensuelles et voluptueuses de Niké peuvent en séduire quelques-uns, la sculpture démesurément grande de l'empereur par rapport à la cathédrale du Christ Sauveur située en face de l'autre côté de la rivière peut en dérouter d'autres.
Une chose est sûre: si n'importe quel autre sculpteur pouvait réaliser de telles œuvres, il faut en revanche être un vrai génie pour arriver à les placer en plein centre d'une ville qui a une histoire millénaire. Là, Zourab Tsereteli excelle, on ne peut que lui tirer son chapeau.
Une nouvelle sculpture colossale, celle du général Charles de Gaulle, a récemment été inaugurée en face de l'hôtel Cosmos, en présence des présidents russe et français. Jacques Chirac a caché ses émotions derrière son large sourire, même si le monument évoque aussitôt le célèbre comique Louis de Funès dans le rôle du commissaire Juve dans "Fantômas". Comparaison peu flatteuse...
D'ailleurs, l'énergie du sculpteur s'est déjà étendue au-delà des frontières russes. Zourab Tsereteli a souhaité offrir à New York un monument en mémoire aux attentats du 11 septembre: une stèle colossale avec une larme d'acier au milieu d'une déchirure. Mais, comme toujours, l'auteur n'a pas saisi l'essence de la catastrophe. Si les dimensions du monument frappent l'imagination, les Américains n'ont pas souhaité ce cadeau. Des lettres de protestation ont submergé le maire de New York, la presse s'est mobilisée, et la décision d'installer le monument a été reportée sine die.
Les Moscovites semblent avoir suivi cet exemple.
