La France toujours dans le flou en Syrie, selon un ex-haut fonctionnaire

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L’aviation française frappe pour la troisième fois en Syrie contre l’EI, et s’apprête à envoyer un groupe de navires avec le porte-avions Charles de Gaulle à sa tête. Quelles opérations militaires françaises se profilent?

la France a détruit dimanche, lors d'un raid de deux heures impliquant deux Mirage 2000, un point de délivrance pétrolier aux environ de Deir Ezzor, à la frontière entre l'Irak et la Syrie.

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Nouvelles frappes françaises contre des sites d'hydrocarbures de l'EI en Syrie
Le scénario central est bien le même: opérations de reconnaissance puis opérations de bombardement. Mais cette fois la France élargit donc ses frappes à une cible d'une autre nature: une infrastructure pétrolière, qui assure une partie du financement de Daech. Est-on en train d'assister à un changement de stratégie de part de la France? Pour Pierre Conesa, ancien haut fonctionnaire du ministère de la Défense et auteur de "La fabrication de l'ennemi", il s'agit plutôt d'un message politique et d'un moyen de se placer dans le jeu politico-diplomatique:

"Je crois qu'il faut d'abord relativiser l'importance militaire de cette frappe. C'est la deuxième en quelques semaines sur la Syrie. Il y en avait déjà eu auparavant menée par les Américains et par d'autres. Je crois que c'est plutôt une volonté politique de la France d'apparaitre comme un des belligérants de l'alliance en Syrie. Mais, sur le plan militaire, ça n'a pas une très grande influence."

Paris intervient militairement en Syrie sans l'accord explicite du gouvernement syrien et sans mandat des Nations unies. Le cadre légal de l'intervention française est l'article 51 de la charte des Nations unies qui porte sur la légitime défense. Même pour les deux premières frappes aériennes [27 septembre et 9 octobre], qui avaient visé des camps d'entrainement à partir desquels les djihadistes étaient formés pour commettre des attentats en France, certains experts remettaient en question ce principe de légitime défense. Car la "légitime défense" suppose une agression armée préalable d'un Etat ou d'un groupe soutenu par un Etat. Or l'Etat Islamique n'est en pas un et il n'est pas soutenu par les autorités légales ni d'Irak ni de Syrie. La légitimité juridique est dénuée de sens et s'apparente à une "légitime défense préventive", comme l'a fait George Bush en Irak, en 2003:

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L’aviation française frappe un site pétrolier de l'EI en Syrie
"C'est l'ensemble de l'opération qu'il faut qualifier d'opération préventive, comme l'avait été l'opération de Bush en Irak. N'oubliez pas quand même, ça fait plus d'un an maintenant que la France participe, en Irak et depuis peu en Syrie, à quelque chose dont la légitimité historique et juridique est complètement dénuée de sens. Si on devait bombarder un pays quand un citoyen était assassiné ou égorgé, comme ça s'est passé pour le cas de l'Etat islamique, il y aurait de la guerre absolument partout. L'alliance qui s'est constituée pour se battre contre l'EI est une alliance qui représente surtout des pays de l'Otan, 12 pays de l'Otan plus l'Australie et cinq pays arabes. Donc, on a officiellement donné ce qu'il attendait, c'est-à-dire une réaction des occidentaux aux horreurs qu'il a commises. Et au lieu de laisser les pays arabes se battre entre eux pour détruire l'Etat islamique, on le fait à leur place. Donc la légitimité à la fois stratégique et, évidement, juridique de cette opération est nulle."

La poursuite des frappes en Syrie doit être décidée le 25 novembre au parlement. Le président Hollande avait ouvert la voie, jeudi, à un élargissement des actions contre l'EI en déclarant vouloir "frapper les camps d'entraînement et tous les lieux à partir desquels le terrorisme pourrait menacer notre territoire". Il a aussi annoncé le déploiement prochain du porte-avions français Charles-de-Gaulle dans la région afin d'accroître la capacité de frappes de l'armée française en Irak et en Syrie: vers quoi tend la France? Pour Pierre Conesa, le processus est parlementaire et n'a pas de solution politique:

"C'est dans la même nature que la question posée tout à l'heure, c'est-à-dire: quel est le processus juridique dans ce genre d'opération militaire? C'est une opération militaire dont l'objectif stratégique n'est pas évident, dont les moyens militaires ne sont pas suffisants pour aboutir à une solution militaire. On fait à peu près dix fois moins de sorties contre l'EI qu'on ne le faisait à l'époque du Kosovo, pour vous donner une idée de l'importance militaire de la chose. Et, dernière question qui me parait essentielle: on n'a aucune stratégie de crise. Regardez la dernière réunion qui s'est passée à Viennes: on veut un processus de sortie mais on n'est pas d'accord sur qui on doit mettre autour de la table. Personne ne veut de l'EI, les Américains commencent à hésiter au sujet d'Al Nosra, il y a une réhabilitation d'Al Qaeda qui est absolument incroyable. Une grande partie des négociateurs ne veulent pas d'Assad, et on voudrait discuter avec l'Armée syrienne libre qui ne représente quasiment rien sur le terrain. Donc, on n'a pas de solution politique."

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

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