Blocage des sites Internet en France: lutte antiterroriste ou censure?

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Dans le cadre de la loi de "lutte contre le terrorisme" votée en septembre et du décret qui a suivi, certains sites internet pouvaient être bloqués s’ils faisaient "l'apologie du terrorisme" et ce sans contrôle judiciaire, après les attentats de Paris, cette mesure pourrait être renforcée…

On parlait de blocage, on parle maintenant d'interruption, les attentats de Paris et l'Etat d'urgence qui a suivi ont vu un renforcement des mesures de sécurité; « le ministre de l'Intérieur peut (désormais) prendre toute mesure pour assurer l'interruption de tout service de communication au public en ligne provoquant à la commission d'actes de terrorisme ou en faisant l'apologie »… Que cela signifie-t-il exactement? Quels sont les risques d'abus?

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La prolongation de l'état d'urgence en France introduit à l'Assemblée une mesure de blocage immédiat des sites faisant l'apologie du terrorisme. Une mesure exceptionnelle, qui ne doit durer que trois mois, mais qui ne serait pas sans conséquence sur les libertés individuelles.

Depuis février, c'est déjà le cas. La loi de lutte contre le terrorisme votée en septembre a donnée naissance à un décret en février qui permet déjà aux autorités de bloquer un site suspecté de faire l'apologie du djihadisme sans passer par la case justice. Pour Adrienne Charmet, coordinatrice des programmes à la Quadrature du Net, la police va pouvoir aller plus vite, et avec moins de contrôle:

Là on a passé un niveau supérieur avec l'état d'urgence, c'est-à-dire qu'il n'y a plus d'avertissement à l'hébergeur du site avant le blocage, il n'y a plus de personnalité qualifiée qui est chargée par le ministère de contrôler la liste des sites bloqués, c'est directement le ministère de l'Intérieur qui décide quel site doit être bloqué. Et il n'y a toujours pas de recours quelconque soit pour les personnes dont le site a été bloqué soit pour les personnes qui voudraient accéder à un site et qui ne comprennent pas pourquoi ce site a été bloqué. Donc aujourd'hui, on a une opacité complète sur ce blocage de sites Internet alors qu'on sait qu'entre janvier et octobre 2015 selon le rapport du Ministère de l'Intérieur, à peine une cinquantaine de sites sont bloqués. Donc on nous explique que la propagande djihadiste se fait essentiellement sur Internet, ce qui est pour une part certainement juste, mais pour autant, on présente ça comme une mesure absolument miraculeuse et indispensable et on se retrouve au bout d'un an avec une cinquantaine de sites bloqués.

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Récemment, le site WeAreChange, dans sa version anglaise, a été bloqué en France. Aucun message (1), aucune main rouge n'apparait sur l'écran comme c'est le cas habituellement lorsqu'un site est bloqué. Selon son fondateur, qui a posté une vidéo sur YouTube, son site est dans le collimateur des autorités françaises suite au durcissement de la mesure de blocage. Le média crie à la censure, car selon ses dires les autorités françaises étaient au courant que les attaques terroristes allaient avoir lieu.

L'état d'urgence ne se cantonne absolument pas à la question du terrorisme. L'état d'urgence aujourd'hui, il permet des perquisitions et des assignations à résidence, des interdictions de manifester ou d'association, pour l'ensemble de ce qui convient au Ministère de l'Intérieur. Ce n'est pas cantonné au terrorisme. Par contre sur la partie censure de sites c'est censé se cantonner aux sites faisant l'apologie du terrorisme.  Maintenant je n'ai aucune idée pourquoi ce site n'est plus accessible depuis la France ».

Un Observatoire de l'état d'urgence s'est créé et documente l'application de ces mesures sur la vie des Français. L'état d'urgence, c'est l'interdiction temporaire des rassemblements et manifestations, le rétablissement des contrôles aux frontières, l'assignation à résidence pour certains individus jugés dangereux, les perquisitions administratives, mais c'est aussi cet amendement qui touche à l'internet. Le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve a déclaré que jusqu'à présent, il n'y aurait pas eu de sites bloqués ne relevant pas de l'apologie du terrorisme. Le problème soulevé par la Quadrature du Net, c'est que l'on sort de l'Etat de droit:

Ce qui pose un problème c'est qu'on sort de l'Etat de droit. On a un système juridique, en France, en Europe, qui fait qu'on a un pouvoir exécutif qui a comme contre-pouvoir le pouvoir judiciaire. Un citoyen, il a des droits et dans ces droits il y a celui d'être défendu et de pouvoir exercer des recours contre une décision judiciaire s'il estime que celle-ci n'est pas juste. Quand on est dans quelque chose d'aussi grave que la censure, c'est extrêmement important de pouvoir avoir une défense, et d'avoir des recours. Et le principe même de blocage administratif de sites Internet exclut ces recours et ce contre-pouvoir judiciaire. Maintenant, l'état d'urgence c'est quelques chose de particulier, c'est qu'il évacue de manière globale le judiciaire pour laisser toutes les possibilités d'actions à la police y compris pour le blocage de sites.

La possibilité de bloquer des sites Internet existait déjà. Pour certains, il s'agit d'une aggravation, tandis que d'autres s'interrogent sur l'appréciation du caractère "terroriste" ou sur l'efficacité d'une telle mesure: contre les 87 sites fermés par le ministère, Anonymous recense plus de 9.000 comptes Twitter liés à Daech. Mais la mainmise policière inquiète au-delà de la sphère Internet. Dimanche 22 novembre, plusieurs centaines de personnes ont bravé pour la première fois l'interdiction de manifester. Une manifestation pro-migrants qui est finalement devenue une manif anti-état d'urgence: confrontés aux policiers, les slogans se sont vite transformés en « état d'urgence, Etat policier! On ne nous enlèvera pas le droit de manifester ».


1 « Vous avez été redirigé vers ce site officiel, car votre ordinateur allait se connecter à une page dont le contenu provoque à des actes de terrorisme ou fait publiquement l'apologie d'actes de terrorisme. »

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

 

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