La destructive nostalgie de l'Union Soviétique

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Fedor Loukianov - Sputnik Afrique
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Il y a 20 ans, le 8 décembre 1991, les dirigeants des républiques slaves de l’URSS (Russie, Ukraine, Biélorussie) ont signé un accord sur la dissolution de l’Union soviétique.

Il y a 20 ans, le 8 décembre 1991, les dirigeants des républiques slaves de l’URSS (Russie, Ukraine, Biélorussie) ont signé un accord sur la dissolution de l’Union soviétique. Cette mesure se basait formellement sur le fait qu’en 1922 ce sont ces trois républiques qui avaient fondé l’URSS et que par conséquent, selon les initiateurs de l’accord, elles avaient le droit de la dissoudre. Jusqu’à présent beaucoup contestent toujours la légitimité de cet acte, mais cela ne change rien au fait. En décembre 1991 l’Union soviétique ne fonctionnait pratiquement plus, et le pouvoir appartenait aux républiques.

Le 20e anniversaire de la dissolution de l’URSS a provoqué en Russie des débats plus actifs que lors du 10e ou 15e anniversaire. Cela paraît paradoxal, car au fil du temps les émotions doivent s’apaiser en cédant la place à une analyse objective et impartiale. D’autant plus que le passé soviétique cesse d’être un instrument fonctionnel adapté à l'édification de l’avenir.

L’anniversaire de la disparition de l’Union soviétique a mis en évidence la différence entre la Russie d’une part et les autres anciennes républiques soviétiques de l’autre. Le peuple russe se rappelle l’effondrement de l’URSS. Certains avec tristesse et nostalgie, d’autres s'en réjouissant ou mus par une joie mauvaise, mais tous s'en souviennent comme d’une perte. Les autres pays qu’il est encore convenu d’appeler parfois "nouveaux Etats indépendants" célèbrent leur propre naissance, c’est-à-dire l'acquisition de leur indépendance.

Cette différence fondamentale existait également auparavant, mais actuellement elle acquiert une importance particulière pour la Russie. La fixation sur l’effondrement de l’URSS, c’est-à-dire seulement sur un acte destructeur, donne le ton à l'édification de l'Etat. La Russie n’a heureusement jamais connu le revanchisme à part entière, mais l’idée d’infériorité du pays dans ses frontières actuelles est largement répandue. Toutefois, il est parfaitement clair que nul n’a ni la possibilité ni l’envie de rétablir l’URSS.

Le regret concernant la perte de l’Union Soviétique reflète avant tout l’absence d’un nouveau modèle conceptuel capable de se substituer à l’ancienne structure sociopolitique. La révolution idéologique anticommuniste du début des années 1990, appelée à décrédibiliser une bonne fois pour toute le modèle soviétique aux yeux de la société, s’est rapidement enrayée.

Premièrement, on n’a créé aucun système d’arguments convaincant, cohérant et intrinsèquement logique qui serait inculqué professionnellement et avec patience à l’opinion publique. Ce n’était pas aussi simple qu’il ne semblait au départ, car brosser un tableau effrayant d’un passé totalitaire en passant sous silence le progrès significatif de cette période signifie se mettre dans une position notoirement vulnérable. C’est précisément ce qu’on constate jusqu’à présent, lorsque dans tout débat public la démagogie prosoviétique l’emporte facilement sur la démagogie antisoviétique.

Deuxièmement, la "véritable démocratie" sous certains de ses aspects a été si repoussante que le "véritable socialisme" a commencé à être perçu par beaucoup dans des tonalités positives, simplement par contraste. Quant à la classe politique, elle s’est plongée dans un domaine complètement différent: la conversion du crédit de confiance sociale en pouvoir et en biens pour soi-même.

Les réformes des années 1990, avant tout la privatisation, ont atteint leurs objectifs (véritables, et non pas déclaratifs): le retour au modèle soviétique d'économie, et par conséquent de politique, est devenu impossible. Mais l’exploitation des sentiments de nostalgie de la vie soviétique s’est transformée en un outil d'usage quotidien: cela a commencé à l’époque de Boris Eltsine, mais a prospéré et a pris un caractère systémique sous Vladimir Poutine.

L’effondrement de l’URSS restera au cœur de la polémique publique tant que quelque chose de plus constructif ne sera pas proposé à la place. Et pour l’instant, aucun changement ne se profile à l’horizon. La Russie contemporaine a du mal en général à définir ses valeurs et il est par conséquent difficile de compter sur la mise en place d’une plateforme idéologique. L’intérêt pour l’Union soviétique peut être ranimé artificiellement pendant longtemps, mais alors la palette du débat social s’éloignera de plus en plus de la politique réelle et des véritables objectifs. Et au fur et à mesure que le modèle original s’éloignera, le passé soviétique se déformera de plus en plus, comme dans un miroir déformant, en engendrant des réactions sociales de plus en plus contreproductives et inappropriées.

En dépit de toutes ses différences par rapport à d’autres républiques postsoviétiques, la Russie (qui est tout de même le successeur officiel de l’URSS et demeure un empire de par sa structure) devra tout de même suivre leur chemin dans une certaine mesure. Le sens de la prochaine étape de développement est l’acquisition d’une identité non-soviétique et non-postsoviétique, c’est-à-dire l’accomplissement de la tâche remplie par les anciennes républiques soviétiques, chacune à leur manière. Le deuil éternel n’est pas seulement inutile, il est contreproductif. D’autant plus qu’il est impossible de sortir du piège: l’élite (sa seconde génération) qui a condamné l’URSS a également la nostalgie d’un "véritable pays." Après tout, la Fédération de Russie a joué un rôle décisif dans la disparition de l’URSS, et ni les fronts nationaux dans les Etats baltes, ni les nationalistes ukrainiens n’auraient pu parvenir à leur but sans le soutien des démocrates russes.

Plus vite la Russie s’habituera au fait qu’elle est un Etat à part entière et autosuffisant, et non pas un fragment d'une entité bien réelle qui s’est brisée en mille morceaux, plus il y aura de chances d’utiliser l’énergie de la nation de manière constructive.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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