Russie: l’idéologie nationale-démocrate devient manifeste

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Alexandre Latsa - Sputnik Afrique
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Des lecteurs français se sont étonnés de voir, sur les photos des manifestations de décembre 2011, à Moscou, à la fois des mouvements dits nationalistes, et des sympathisants de mouvements dits libéraux, puisque par essence ces idéologies sont théoriquement totalement opposées sur la scène politique.

Des lecteurs français se sont étonnés de voir, sur les photos des manifestations de décembre 2011, à Moscou, à la fois des mouvements dits nationalistes, et des sympathisants de mouvements dits libéraux, puisque par essence ces idéologies sont théoriquement totalement opposées sur la scène politique. Plusieurs m’ont demandé ce que représente l’opposition anti Poutine qui a manifesté. Cette question est fondamentale, si on veut comprendre les évolutions politiques qui se dessinent dans la Russie d'aujourd'hui. La recomposition de la scène politique russe et le multipartisme existant au sein de la démocratie dirigée russe, font de la fédération un alien parmi les systèmes politiques européens.

A la fin de l'année 1999, le président Eltsine démissionne et s'efface au profit de son nouveau premier ministre Vladimir Poutine. Son ascension sera organisée par les oligarques d'Eltsine, et en septembre 1999, un nouveau parti centriste à été créé, le parti "Unité". Ce parti était destiné à permettre l'accession de Vladimir Poutine au pouvoir. Unité fait face, à l’époque, à 15 autres structures dont principalement le Parti Communiste, le "Parti Libéral Démocrate" (étatiste-nationaliste), et le parti "Notre patrie-la Russie" dirigé par le puissant maire de Moscou Iouri Louzkov et par Evgueny Primakov. Aux législatives de 1999, Unité obtient 23.32% des voix, contre 24,29% pour le parti communiste et 13,39% pour le bloc de Louzkov et Primakov. L'opposition libérale (Iabloko et l'union des forces de droite) obtient près de 14%. La présidentielle de mars 2000 voit la victoire de Vladimir Poutine, qui jouit du soutien des leaders du bloc "Notre patrie la Russie". En avril 2001, "Unité" et "Notre patrie la Russie" fusionnent pour créer un seul parti: Russie-Unie. Durant les 8 ans qui ont suivi sa création, le parti Russie Unie ne s'est pas défini une idéologie ou une orientation politique spécifique. Pendant cette période, Russie Unie s’est considéré comme le parti de  la reconstruction et de la restauration de l’état. Ce n'est qu'en 2009 lors du 11ème congrès du parti que la ligne idéologique du parti a été définie, à savoir le conservatisme russe. Cette ligne idéologique a été adoptée par les trois clubs ou courants qui composent Russie unie: le courant Social-conservateur, le courant Libéral-conservateur et le courant Étatique-patriotique.  On peut donc qualifier Russie-Unie de parti centriste et conservateur. Russie-unie est le parti de gouvernance principal en Russie et son poids électoral est devenu le plus important. Autour de Russie Unie qui gouverne, l’échiquier politique ne s’est pas organisé de manière linéaire, de l’extrême gauche à l’extrême droite, comme par exemple en France, mais plutôt en cercles concentriques.

Au centre, le cercle Russie Unie avec ses courants internes. Autour, un "premier cercle" est constitué de partis qui pratiquent l’opposition non systématique et qui ont une solide assise électorale en Russie. Le parti communiste qui est comme son nom l’indique un parti de gauche, étatiste et nostalgique de l’Union Soviétique. Plus à droite de l’échiquier politique, le Parti Libéral-Démocrate est un parti nationaliste, étatiste et qui défend un patriotisme plus ethnique, panrusse. Enfin récemment un parti étatiste et patriote de gauche, Russie-Juste, a fait son apparition. Il est une sorte de pendant de centre gauche de Russie-Unie. Ces partis ont un point commun: ils défendent une forme de patriotisme fédéral, post-impérial et non ethnique, un patriotisme pan-Russien. Le parti communiste et Russie Juste ont beaucoup progressé aux dernières législatives, au détriment de Russie Unie. Bien que faisant partie de l’opposition, ils forment avec Russie Unie une sorte de cercle global de gouvernance.

Enfin un "cercle extérieur" d’opposition existe, qui rassemble une série de partis qui comprend à la fois des partis radicaux extrémistes, tout comme des partis libéraux. Certains ont parfois été présents aux échéances électorales des 15 dernières années. Ce cercle extérieur comprend aussi des mouvements non organisés en partis politiques. C’est précisément ce troisième cercle hétéroclite qui s’est exprimé politiquement dans la rue en décembre dernier. C’est ainsi qu’on a pu voir dans le rassemblement du 4 décembre 2011 à la fois les partis libéraux, l’extrême droite, ainsi que divers mouvements de la société civile, d’orientations plutôt libérale. Les manifestations de décembre dernier ont été cela dit coordonnées par des partis libéraux  d’opposition dont le poids électoral est passé de 14% aux élections législatives de 1999, à 4% en 2003, 1,56% en 2006 et 3,43% en 2011. Ces partis ont en général une vision ouest-orientée (pro-occidentaux). Des mouvements radicaux extrémistes de droite, et dans une moindre mesure de gauche ont aussi joué un rôle important, via le front de gauche ou les radicaux de l’ex DPNI, un mouvement d’extrême droite aujourd’hui interdit.

Le charismatique blogueur Navalny est une fusion intéressante de ces différents courants. Ancien militant d’Iabloko (parti d’opposition libéral) cela fait plusieurs années qu’il tente de bâtir des ponts entre libéraux et nationalistes puisqu’en tant que membre d’Iabloko il avait rédigé un manifeste nationaliste et s’était défini comme un "nationaliste-démocrate". Cette idéologie nationale-démocrate concerne donc l’opposition libérale mais également une frange nationaliste, créant ainsi une sorte de coalition Orange-brune. Un parti Nazdem (National-démocrate) a même fait son apparition fin 2010, prônant notamment la coopération avec l’OTAN ou encore la sécession du Caucase. Le point commun de ces mouvements? Leur grande proximité avec l’étranger, Navalny tout comme l’opposition libérale ayant été régulièrement accusés d’être financés de l’extérieur, notamment  par le département d’état américain. Des preuves ont récemment mis en évidence la réalité de ces accusations.  Pour autant cette idéologie "nationale-démocrate" n’est pas nouvelle. En 2005 déjà l’analyste Dimitri Kondrachov affirmait déjà qu’à la suite du renforcement de l’influence américaine et de l’idéologie de droite dans la politique de l’UE, la doctrine Brezinski (affirmant que la Russie doit être “refoulée à la périphérie est de l’Eurasie”) allait trouver des soutiens en Europe de l’ouest. En effet les pays de la vieille europe comme la France et l’Allemagne (jugés trop favorables à a la Russie), devaient désormais être refoulés a la périphérie ouest de l’Eurasie”, dans  l’arrière-cour de la nouvelle Europe, régie par ”l’idéologie nationale-démocrate”.

Peut-on parler d’émergence d’un courant politique national-démocrate d’opposition comme résultat principal des événements politiques de décembre dernier?

La question reste posée.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction.

* Alexandre Latsa est un journaliste français qui vit en Russie et anime le site DISSONANCE, destiné à donner un "autre regard sur la Russie". Il collabore également avec l'Institut de Relations Internationales et Stratégique (IRIS), l'institut Eurasia-Riviesta, et participe à diverses autres publications.

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