Vladimir Poutine et le nucléaire : Si vis pacem, para bellum

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Pour les médias occidentaux Vladimir Poutine est du pain béni. Qu’il disparaisse pour quelques jours du champ des caméras ou qu’il prenne la parole à la télévision, il défraie systématiquement la chronique. Ce que les journalistes appellent « un bon client ».

Les médias recherchent Poutine désespérément - Sputnik Afrique
Les médias recherchent Poutine désespérément
Les récentes déclarations du chef de l'Etat russe, dans un documentaire diffusé dimanche dernier sur la chaîne de télévision Rossia 1, ont ainsi suscité une rafale de titres alarmistes. « Poutine dit avoir agité la menace nucléaire en Crimée » titre Le Monde. « Crimée: Poutine était prêt à une confrontation nucléaire », affirme les Echos. De quoi affoler le lecteur ignorant du dossier lequel, à la lecture d'une telle titraille, pourrait légitimement croire que nous sommes passés à deux doigts de l'holocauste atomique au printemps dernier. Sauf qu'il ne s'est rendu compte de rien à ce moment-là. Et pour cause: la Russie n'a jamais exercé le moindre chantage nucléaire dans le dossier de la Crimée. Si cela avait été le cas, chacun est bien conscient que l'OTAN, le Département d'Etat américain, Bruxelles, nos médias et les nouvelles autorités ukrainiennes auraient suffisamment hurlé au loup pour que nous les entendions.

D'ailleurs le quotidien gratuit « 20 minutes », plus rigoureux que ses prestigieux confrères, l'indique clairement: « Crimée: Il y a un an, Poutine réfléchissait à mettre en alerte les forces nucléaires. » Le Président russe, loin de brandir ses missiles intercontinentaux tel Krouchtchev, s'est donc contenté, toujours selon 20 minutes, d'envisager l'adoption d'une posture dissuasive s'il avait été confronté « à la tournure la plus défavorable qu'auraient pu prendre les événements », c'est-à-dire à une attaque des forces occidentales. Ce qui revient à dire qu'il était prêt à faire ce que ferait logiquement tout chef d'Etat, Français, Américain ou autre, disposant du feu nucléaire, en cas de menace majeure contre son pays. Pas de quoi se ruer aux abris.

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La Russie, qui a procédé à plusieurs tests de missiles stratégiques en 2014, a, comme d'habitude, prévenu les Etats occidentaux de ces essais. Côté « occidental » personne au sein des cercles décisionnels n'a jamais eu l'idée, à Washington ou ailleurs, de voler au secours de l'Ukraine et d'entrer en guerre. Le risque que nous arrivions à un scénario de confrontation nucléaire avec la Russie était donc nul. Vladimir Poutine admet d'ailleurs à demi-mot qu'il n'a jamais réellement envisagé d'en être réduit à mettre sur le pied de guerre son dispositif atomique: « J'ai parlé avec mes collègues (occidentaux) (…) C'était une position franche et ouverte. Et c'est pourquoi, je ne pense pas que quelqu'un ait eu envie de déclencher un conflit mondial. »

Mais peu importe qu'il ne se soit rien passé, qu'il n'y ait jamais eu le moindre risque. Dans le climat de paranoïa politico-médiatique actuel, vous accolez « Poutine » et « nucléaire » dans une phrase, vous avez votre petite crise de Cuba à peu de frais, un ersatz de frisson thermonucléaire à destination de ceux qui n'ont pas eu la chance de connaître la vraie guerre froide. Le procédé, grossier, prête d'autant plus à sourire que les journalistes qui en usent ne semblent pas comprendre qu'il profite précisément à celui qu'ils haïssent: Vladimir Poutine. Celui-ci gagne en popularité au sein du peuple russe à chaque attaque des « occidentaux ». Les propos qu'il a tenus dans le documentaire évoqué supra ont à ce titre pleinement fonctionné.

Car la côte de popularité du Président russe, un an après l'annexion de la Crimée, reste solidement ancrée au-dessus des 80%. En dépit des sanctions, des difficultés économiques, il est plébiscité. Et Vladimir Poutine qui, aussi incroyable que cela puisse sembler en France, où l'on s'imagine que son pouvoir relève quasiment de la monarchie absolue, a besoin de ce soutien populaire pour conforter son pouvoir, sait parfaitement jouer du registre du dirigeant inflexible, qu'aucune pression n'atteint, pour entretenir cet état de grâce.

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Les vols de bombardiers stratégiques russes, les manœuvres multiples des forces russes, s'inscrivent dans ce cadre, pas dans celui d'une éventuelle agression envers les pays Baltes ou d'une frappe des Bear sur Londres ou Paris. De la pure gesticulation à double usage, diplomatico-électoral. Car la Russie ne montre sa force que parce qu'elle est inquiète.

Les Russes, nous en sommes souvent inconscients en France et en « Occident », redoutent profondément une agression étrangère, crainte trouvant sa source dans les traumatismes du passé. Nous fêtons cette année le 70ème anniversaire de la victoire sur l'Allemagne nazie. Les pertes cumulées du Royaume-Uni, de la France et des Etats-Unis au cours du second conflit mondial sont de l'ordre du million. S'il n'est pas question de minorer le rôle des alliés, de se montrer ingrats envers les Américains, d'oublier l'admirable résistance des Britanniques, le sacrifice des résistants Français, celui, héroïque, de la Pologne, il faut se souvenir que ce sont les Soviétiques, et notamment les Russes, qui ont brisé les reins de la Wehrmacht. Mais ils ont payé cette victoire de 27 millions de morts. Chaque famille a payé le prix du sang et s'en souvient encore. Chaque habitant de Leningrad, la ville de Poutine, se rappelle que le siège de la ville a provoqué la mort d'un million de ses habitants. Que les gens ont dû quelquefois se nourrir de chair humaine pour survivre. Que les enfants ont les premiers subi la famine.

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Il en est resté une peur, une angoisse transgénérationnelle, entretenue par le culte des héros de la Grande Guerre Patriotique, pivot du patriotisme russe bien plus que la nostalgie, largement minoritaire, du communisme et de l'URSS. Cette crainte, aujourd'hui, est entretenue par la guerre en Ukraine, les images de miliciens ukrainiens de la Garde nationale, arborant les runes SS sur leur uniforme.

Peu importe, pour les Russes, que ces fanatiques ne représentent qu'une infime minorité de leurs frères ukrainiens.

Peu importe que ces SS de pacotille n'aient aucune capacité de nuisance réelle contre la Russie.

Peu importe que l'OTAN, aujourd'hui à 130 kilomètres de Saint-Pétersbourg, de Leningrad, n'ait aucunement l'intention de rejouer Barbarossa.

Les Russes, compte tenu de leurs souffrances passées, n'évoluent pas dans le rationnel. Eux aussi sont humains. Eux aussi obéissent, réagissent, à des symboles. Eux aussi, comme les Français, sont capables de ne pas discerner la réalité de la menace et de sur-réagir.

Mais ils sont à l'image de leur animal fétiche, l'ours, qui n'attaque l'homme que s'il se sent agressé. A son image ils grognent. Ils organisent des défilés géants sur la Place rouge. Ils exaltent leurs anciens, bardés de médailles.

S'enorgueillissent des nouvelles armes que leurs médias leur présentent, blindés, missiles, avions, navires…Sont à fond derrière leur Président parce qu'ils se disent qu'avec un homme de cette trempe à leur tête, nul n'osera les agresser. Parce qu'ils ne rêvent, dans leur immense majorité, que d'une chose. Ce n'est pas de l'Empire des Tsars à reconstituer, de la puissance soviétique à rebâtir. C'est qu'on les laisse tranquilles et que l'économie redémarre.

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La nouvelle doctrine de défense russe, sur laquelle nous reviendrons dans les prochaines semaines, est profondément révélatrice de cet état d'esprit. Certes elle prévoit l'ouverture du feu atomique en premier dans le cas d'une attaque non nucléaire menaçant l'existence de l'Etat russe. Mais cela n'a rien de nouveau par rapport à la précédente doctrine de 2010. Rien de nouveau non plus par rapport à la doctrine française de « l'ultime avertissement » qui prévoyait, elle aussi, l'usage en premier de l'atome.

Et la comparaison n'est pas innocente.

Nous étions prêts à lancer des frappes nucléaires tactiques pendant la guerre froide parce que nous savions que nos seules forces conventionnelles n'étaient pas en mesure de nous protéger. La Russie, aujourd'hui, est dans le même état d'esprit. Le Kremlin est sans illusions sur les capacités de ses armées, malgré les efforts de modernisation en cours, en cas d'agression d'une puissance majeure contre son territoire. Afin de mieux dissuader un tel scénario il prévient qu'il est décidé à défendre ses intérêts vitaux jusqu'au bout. Rien de plus. Si vis pacem para bellum.

 

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