Propagandes et relations intercoréennes: envolez-vous, flyers!

© AFP 2023 Yonhaptracts condamnant président sud-coréen Park Geun-hye
tracts condamnant président sud-coréen Park Geun-hye - Sputnik Afrique
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La Corée du Nord change d’armes et bombarde son voisin du Sud de millions de tracts délivrés par ballons gonflés à l’hélium.

Depuis des décennies nous étions accoutumés aux distributions sauvages de tracts par voies aériennes depuis la bordure Sud du 38ème parallèle vers le Nord. Des tracts, convoyés par les ballons que des militants sud-coréens lâchent régulièrement afin d'inviter leurs voisins à se révolter contre la dynastie communiste et à se convertir enfin à la démocratie, au libéralisme et à l'économie de marché. Des lâchers qui ont le don d'irriter les autorités nord-coréennes, pour qui cette « moquerie impardonnable » ne peut qu'émaner de la « racaille humaine ».

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Cependant, Pyongyang semble avoir repris le concept à son compte: depuis une semaine, c'est près d'un million de Flyers qui seraient venus s'éparpiller au sud de la ligne de démarcation, selon Séoul qui n'a pas été épargnée par ce phénomène météorologique inhabituel. Lâchés quotidiennement, ces ballons d'hélium explosent à l'aide de minuteurs pour délivrer leur contenu illustré aux populations « capitalistes » qui vivent dans les contrées australes de la Péninsule.

Le gouvernement sud-coréen dénonce une escalade dans la guerre psychologique, d'autant que ces ballons propagandistes ne se contentent pas de causer des dégâts immatériels: faute d'avoir pu se faire délester de sa cargaison par l'explosion du minuteur, l'un d'entre eux est venu s'écraser sur le mobilier urbain.

Les médias internationaux tentent d'expliquer cette opération venue du Nord, en soulignant à l'unisson deux incidents qui placent la Corée du Nord à l'origine de toutes les surenchères auxquels les deux autorités de la Péninsule se sont adonnées: comme le dernier test nucléaire de Pyongyang, le 6 janvier dernier, ou l'explosion d'une mine antipersonnel qui avait valu l'été dernier à deux soldats sud-coréens d'être mutilés aux abords de la DMZ, cette zone dite « démilitarisée ».

Aussi tragiques que soient ces évènements, citer uniquement ces derniers serait omettre que les provocations ne sont pas la panache d'une seule Corée à l'égard d'une autre, mais bien un petit jeu qui perdure depuis la fin du conflit fratricide, en 1953, comme nous l'explique Nicolas Levi, chercheur à l'Académie des Sciences de Pologne:

« Régulièrement les deux Corées se provoquent, et je tiens à signaler que ce n'est pas simplement la Corée du Nord qui provoque la Corée du Sud, mais également la Corée du Sud qui provoque la Corée du Nord, en envoyant notamment des tracts dénonçant la politique de Kim Jong-Il etc. Donc ce que je cherche à souligner ici, c'est que les provocations ne sont pas unilatérales mais bilatérales ».

La presse internationale, peu avare de détails lorsqu'il s'agit de relater les chamailleries des deux frères ennemis, a tenu à se poser en arbitre de cette course aux flyers: d'après un premier verdict, rendu par la BBC sur la base d'un échantillon de messages dument sélectionnés, les activistes sud-coréens, dont la plupart sont eux-mêmes des transfuges venus du Nord, feraient preuve d'une plus grande créativité… Une souplesse du verbe qui ferait sensiblement défaut aux partisans du « leader suprême » aussi fervents et alphabétisés puissent-ils être.

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Des messages, dont la spontanéité se ferait au détriment de la subtilité, représentant à eux-seuls la « quintessence » de la Corée du Nord, pour reprendre les mots des arbitres. Il est bien vrai que, par leurs illustrations dont certaines n'ont rien à envier aux meilleures caricatures de guerre de la première moitié du XXème siècle, ces tracts auraient du mal à renier leur parenté. Des phrases et des slogans au style inimitable, tels que « Park Geun-hye et son clan sont des chiens devenus fous: Nous devrions les abattre pour leur recours à la guerre psychologique et la détérioration des relations intercoréennes! », citant explicitement la présidente de la Corée du Sud, qui avait précédemment été comparée à une péripatéticienne.

Ou encore «La guerre psychologique contre le Nord est en train d'allumer la flamme de la guerre: Arrêtez les émissions des haut-parleurs immédiatement!», faisant clairement allusion aux nombreux panneaux de haut-parleurs installés par les autorités sud-coréennes le long de la ligne de démarcation, et qui après s'être tus suite à l'accord entre les deux Corées qui mettait un terme à la « guerre psychologique » en 2004, ont repris du service, diffusant jour et nuit des hits de K-Pop, le prix du sac à main de la femme de Kim Jong-Un, ou encore des bulletins météo afin de garder l'attention des soldats nord-coréen.

Depuis, Pyongyang a tout tenté pour faire cesser la diffusion des messages qui narguent et démoralisent ses soldats: Aux surenchères de menaces et à la diffusion de ses propres programmes radio, la Corée du Nord a fini par ajouter des tirs de roquettes en direction des panneaux, sans toutefois les toucher, auxquels la Corée du Sud avait répondu par une pluie d'obus.

Mais les affrontements par organes de propagande interposés, entre ces deux territoires qui se revendiquent mutuellement, ne se limitent pas à des échanges sporadiques de tracts ou de décibels. En effet, comme nous l'explique notre expert, Pyongyang a investi de longue date dans le développement d'un réseau d'influence à l'extérieur du pays:

« La propagande nord-coréenne […] passe également par le financement de tout un nombre de sites Internet qui cherchent à promouvoir le régime nord-coréen, comme par exemple Korean Friendship Association et tout un nombre de sites de ce genre qui sont justement financés par les autorités nord-coréennes. D'autre part la Corée du Nord, on le sait, finance différentes structures politiques en Corée du Sud, qui en échange de ces financements déclarent ne pas critiquer la politique nord-coréenne ».

Des financements internationaux nord-coréens qui peuvent donner lieu à des « retours sur investissement » insoupçonnés, et ce à des fins purement internes…

« Lorsque Kim Il-Sung, le président éternel nord-coréen, est décédé en Juillet 1994, les membres du département de propagande ont acheté un grand nombre d'emplacements publicitaires dans différents journaux étrangers pour justement y faire figurer l'information comme quoi le grand leader coréen est décédé. Par la suite, on a retrouvé dans les journaux nord-coréens des informations selon lesquelles le monde cherchait à rendre hommage à Kim Il-Sung, les journaux nord-coréens montrant les encarts publicitaires publiés dans la presse non nord-coréenne: des encarts de journaux américains, sud-coréens, etc. etc. »

Des doutes subsistent donc quant à l'efficacité et aux intentions réelles derrière ces lâchés de ballons. En effet, les défections de Coréens du Sud pour le Nord sont rares: il s'agit souvent de retours de transfuges ou d'actes de protestation politique à l'encontre de la manière dont le gouvernement du Sud traite la question de la réunification et des transfuges.

D'autres nord-coréens, une fois passés au Sud, préfèrent partir dans d'autres pays. Car au-delà de toute propagande, la Corée du Sud rencontre aujourd'hui quelques difficultés économiques et sociales, qui ne sont pas sans provoquer une certaine perte d'intérêt de la part des coréens du Sud pour les questions relatives à la Corée du Nord.

Une conjoncture qui ne devrait en rien améliorer les choses, d'après Nicolas Levi les sud-coréens n'ont pas une attitude des plus accueillantes à l'égard de leurs homologues venus du Nord, persistant à les considérer comme des étrangers à part entière.

« Il n'y a pas d'amalgame ici: les coréens du Nord ne sont pas des coréens du Sud et ne le seront jamais. Cela est dû d'une part, à la nature de la population coréenne et d'autre part aux problèmes auxquels elle doit faire face. Des problèmes qui sont justement au-dessus de toutes les questions relatives à la réunification et à l'accueil des nord-coréens ».

Si la plupart des ballons, tout comme les tracts qu'ils transportent, ne franchissent à peine le très inhabité 38ème parallèle, la Loi sud-coréenne proscrit fermement la consultation des sites mais aussi de toute autre forme de propagande nord-coréenne qui pourrait être en mesure d'atteindre les zones habitées…

« Ce qui est intéressant de remarquer c'est qu'on parle quand même d'un million de tracts. Des tracts, qui vont arriver à qui? Sachant que la zone de démarcation est quasiment inhabitée, donc finalement on va plus entendre parler de ces tracts, mais en réalité ces tracts n'arriveront jamais à la population sud-coréenne ou les sud-coréens ne chercheront pas à lire ces tracts, puisque suivant la loi sud-coréenne, ils n'ont pas le droit de consulter des médias de propagande nord-coréens. Et c'est une infraction pénale qui peut même les mener en prison ».

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Si les sud-coréens ne semblent pas spécialement tentés par les promesses de lendemains qui chantent — dans un pays se présentant comme une république malgré l'hérédité apparente de la fonction présidentielle — la porte reste néanmoins ouverte, comme en témoigne le parcourt de ce jeune citoyen américain de 24 ans, Matthew Miller, qui a demandé l'asile à l'état communiste.

Cependant, pour avoir déchiré son visa de tourisme avant d'avoir pu finaliser sa démarche, un « acte hostile », il écope en 2014 de 6 ans de camp de travail. Un camp où il a pu retrouver l'un de ses compatriotes avec lequel il sera libéré un mois plus tard: Kenneth Bae, qui avait lui aussi été affecté aux camps de travail en 2013, pour « prosélytisme » en vue de « renverser le gouvernement », après avoir oublié sa bible sur sa table de nuit à l'hôtel…

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

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