Les lobbyistes saoudiens bientôt chassés du Parlement européen?

© AP Photo / Etienne Oliveau/PoolMohammed ben Salmane
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On entend à Bruxelles de nouveaux appels à durcir la pression sur l'Arabie saoudite. La fraction des Verts du Parlement européen, qui a renforcé ses positions après les dernières législatives, exige de restreindre l'accès des diplomates saoudiens et de leurs lobbyistes au Parlement européen.

Les députés européens Ska Keller (Allemagne) et Philippe Lamberts (Belgique), coprésidents des Verts, avaient adressé une lettre à à Antonio Tajani, alors président du Parlement européen, indique le quotidien Nezavissimaïa gazeta. Entre autres, ils demandent à Antonio Tajani de «retirer tous les laissez-passer des responsables saoudiens au Parlement européen, ainsi qu'aux compagnies de relations publiques ou d'autres organisations travaillant pour l'Arabie saoudite ou en son nom».

De plus, ils appellent à suspendre la participation de responsables saoudiens à toutes les activités officielles dans l'enceinte parlementaire, notamment au niveau des comités et des délégations.

Plus tôt, la rapporteuse spéciale de l'Onu sur les exécutions extrajudiciaires Agnès Callamard avait publié son rapport à l'issue de l'enquête sur le scandale autour du journaliste Jamal Khashoggi, tué en octobre dernier au consulat saoudien à Istanbul. Dans son rapport, Agnès Callamard pointe les preuves de l'implication du prince héritier Mohammed ben Salmane et d'autres responsables de la monarchie dans l'assassinat de Jamal Khashoggi.

En février 2019, la Commission européenne avait inscrit l'Arabie saoudite sur la liste noire des pays et des territoires dont les mécanismes de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme étaient jugés inefficaces.

«Sur les questions financières, nous voulons établir les plus hauts standards et empêcher que des transactions illégales portent préjudice à l'UE», avait alors déclaré la commissaire européenne à la Justice Vera Jourova. Elle avait également appelé à agir d'urgence parce que «les risques se propagent comme un incendie de forêt dans le secteur bancaire».

Dans ces circonstances, Riyad avait intensifié son activité de lobbying afin d'améliorer son image dans le secteur bancaire et de se montrer en tant qu'allié central de l'Occident. Il avait besoin de neutraliser la critique européenne focalisée sur la violation des droits de l'homme et les crimes de guerre au Yémen. Pour ce faire, le régime saoudien a eu recours aux services de sociétés françaises de communication et de relations publiques.

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D'après le site EUObserver, à la veille de l'inscription de l'Arabie saoudite sur liste noire, son gouvernement avait payé le Collège d'Europe de Bruges (Belgique) pour qu'il organise des rencontres entre ses ambassadeurs en Europe et des responsables de l'UE ainsi que des membres du Parlement européen. En signe de protestation, un groupe de 125 diplômés «choqués» avaient envoyé une lettre à la direction du Collège d'Europe pour exprimer leur inquiétude quant aux liens de cet établissement avec l'Arabie saoudite - un pays qui, selon eux, n'est pas attaché aux «valeurs de l'UE».

Ils exigeaient de l'établissement de rompre tous les liens avec le royaume. Par la suite, la direction du Collège d'Europe a confirmé les versements saoudiens en échange de l'organisation d'entretiens particuliers avec des membres du Parlement européen et d'un «séminaire de formation». L'inscription de l'Arabie saoudite sur la liste noire a été fermement critiquée par certains pays de l'UE préoccupés par leurs liens économiques avec la monarchie. Notamment par le Royaume-Uni et la France.

Pour leur part, les autorités saoudiennes ont qualifié cet acte de «décevant», en s'empressant d'assurer à Bruxelles que l'attachement de Riyad à la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme était une «priorité stratégique». Le roi Salmane a participé personnellement à la campagne.

Fin février, il a envoyé à tous les dirigeants de l'UE des lettres appelant à revenir sur l'inscription de Riyad sur liste noire, craignant que cela puisse nuire au commerce et aux investissements entre l'Arabie saoudite et l'UE. Le fait que la liste noire a été rejetée à l'unanimité par les dirigeants de l'UE (il a été suggéré à la Commission européenne de présenter une nouvelle liste noire), permet de conclure que les lobbyistes saoudiens ont bien travaillé. Les dirigeants européens ont expliqué leur décision par «l'absence de la transparence» lors de sa rédaction.

Cependant, ils étaient certainement guidés par d'autres arguments bien plus tangibles. Il n'est pas un secret que l'Arabie saoudite a importé en grande quantité des armes françaises, britanniques, allemandes et espagnoles. En outre, l'UE est le plus grand consommateur de pétrole saoudien et bénéficie des investissements du Fonds souverain saoudien pour un total de 230 milliards de dollars.

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Bien que Riyad ne figure pas actuellement sur la liste noire de l'UE, la proposition de l'y inscrire, selon les observateurs, pourrait encore représenter un sérieux problème pour le royaume du point de vue de l'attractivité en matière d'investissements. Par ailleurs, on ignore si la lettre de Ska Keller et de Philippe Lamberts aura un impact quelconque sous les nouveaux dirigeants de l'UE.

Toutefois, Iouri Barmine, directeur Moyen-Orient et Afrique du Nord du Moscow Policy Group, doute que les appels des députés européens puissent fermer les portes aux lobbyistes saoudiens dans les couloirs du pouvoir à Bruxelles. L'expert rappelle que, tout comme aux États-Unis, le lobbying est légitime. Selon lui, contrairement aux USA où il joue un rôle assez sérieux dans la formation de la vision de l'Arabie saoudite, en UE il se présente comme un mécanisme plus complexe parce qu'il y représente les intérêts de différents États.

«Je suis sceptique quant à la possibilité de pouvoir interdire quoi que ce soit à l'Arabie saoudite. Les auteurs de la lettre ont probablement pour objectif d'attirer l'attention sur eux», déclare Iouri Barmine. Et d'ajouter qu'hormis les Saoudiens le lobbying est pratiqué dans la capitale de l'UE par les Émirats arabes unis, le Qatar, la Turquie et Israël.

«Il ne fait donc pas sens de cibler l'Arabie saoudite de manière isolée, je pense que cette idée est vouée à l'échec. Le lobbying est suffisamment régulé en UE. De plus, il est difficile de reprocher quelque chose aux Saoudiens parce qu'ils agissent dans le cadre de ce qui est autorisé», conclut l'expert.

D'après la Deutsche Welle, à l'heure actuelle, rien qu'à Bruxelles, le nombre de lobbyistes légaux travaillant auprès des structures de l'UE est supérieur à 15.000. En 2008, une base de données nommée Transparency Register (TR) a été créée par l'UE pour répondre aux critiques l'accusant de faire preuve d'opacité dans la prise de décisions importantes.

Selon le règlement, les «groupes d'influence» doivent être inscrits dans le registre et fournir les informations sur leurs intérêts financiers et de toute autre nature. Les critiques de la TR pointent l'absence d'un mécanisme de vérification des informations inscrites par les lobbyistes dans la base de données, et certains experts soupçonnent que les lobbyistes sous-évaluent systématiquement leurs dépenses pour la promotion des intérêts de différents acteurs en UE.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.

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