La mort du pape et les perspectives du catholicisme en Russie

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Moscou est probablement le seul endroit où le pape voulait, mais où il n'a pas pu se rendre. Sa patience était illimitée, mais sa vie n'a pas suffi pour que des changements se produisent au sein de l'Eglise orthodoxe russe.

par Piotr Romanov, commentateur politique

Moscou est probablement le seul endroit où le pape voulait, mais où il n'a pas pu se rendre. Sa patience était illimitée, mais sa vie n'a pas suffi pour que des changements se produisent au sein de l'Eglise orthodoxe russe.

Quant à lui, il était ouvert au monde entier, y compris aux Russes. Il s'est avéré qu'il était bien plus facile d'établir les contacts avec les autorités laïques de la nouvelle Russie qu'avec les hiérarques de l'Eglise orthodoxe russe. Le pape a reçu au Vatican Mikhail Gorbatchev, Boris Eltsine, Vladimir Poutine. Soit dit en passant, Vladimir Poutine a adressé au Vatican ses condoléances non pas protocolaires, mais sincères et chaleureuses qui traduisent le respect immense qu'il avait pour Jean-Paul II.

Pour le Polonais Karol Wojtyla qui était le premier, après les apôtres, à entrer dans une synagogue, qui a qualifié les Juifs de frères aînés des chrétiens et qui a prié devant le Mur des Lamentations, le chef de l'Eglise catholique qui a visité la mosquée et qui s'est rendu presque dans tous les pays du monde, y compris orthodoxes, Moscou fut le seul endroit où il n'a pas été autorisé à prier. Le pape respectait les dogmes chrétiens et attendait le moment où la décision de l'Eglise orthodoxe russe changerait. Il l'a attendu jusqu'à sa mort.

Je ne suis pas très compétent pour juger des raisons de l'intransigeance des hiérarques de l'Eglise orthodoxe russe, mais, à vrai dire, les prétextes formels avancés par le Patriarcat sur l'occupation d'églises orthodoxes par les catholiques ne sont pas convaincants. Pour la seule raison que les mêmes prétentions peuvent être avancées par le Vatican dans de nombreux cas: dans l'histoire du 20e siècle et, d'ailleurs, de plusieurs siècles précédents, de nombreuses églises ont maintes fois changé de maîtres terrestres, en continuant à servir le même Père Céleste. L'arrivée du pape à Moscou aurait pu lever la moitié des contradictions accumulées entre les deux Eglises.

Je suis presque certain que le premier pape slave n'a pas été admis par l'Eglise orthodoxe russe à rencontrer ses ouailles pour une raison analogue à celle qui incita jadis le Bureau politique du CC du PCUS à brouiller les voix occidentales, à savoir la crainte de la comparaison.

Le fait est que l'église catholique a eu la chance d'être dirigée par un homme au prestige moral et au charisme immenses, dont l'influence a dépassé de plusieurs fois celle de l'Eglise catholique même. L'Eglise orthodoxe russe qui n'est pas encore rétablie des décennies de persécutions dont elle a été victime à l'époque soviétique, ne pouvait présenter une figure égale. Les hiérarques orthodoxes ne pouvaient pas se représenter le pape sur une place de Moscou devant une assistance immense, surtout à l'Eglise du Sauveur.

D'où la réaction maladive, moins religieuse qu'humaine, aux actions de l'église catholique en Russie, bien qu'il s'agisse, en fin de compte, de la concurrence non pas pour l'extraction du pétrole ou de l'aluminium, mais pour les âmes qui sont libres de faire leur choix, comme cela se passe dans les pays démocratiques. Les mots "pasteur" et "ouailles" ne sont que des images, il est question, en fait de gens, et non pas de moutons, de gens qui ont le droit de choisir, c'est-à-dire le droit de se rendre à l'église qui leur semble la plus attrayante.

La Russie a probablement raté une chance historique de se rapprocher du catholicisme et, par conséquent, dans une grande mesure, de la culture occidentale.

Le dernier homme au pouvoir en Russie, qui professait sérieusement l'oecuménisme et qui se prononçait pour le rapprochement avec les catholiques, était l'empereur Paul Ier. Le dernier pontife à avoir bien senti la Russie, ses contradictions et ses tourments était Jean-Paul II. Ce n'est pas par hasard que ce pape a prié, entre autres, devant une icône russe.

Il est peu probable qu'un tel homme succède au pape, sur la porte de qui on a accroché, pour plaisanter, mais pas par hasard, lorsqu'il était étudiant, l'écriteau portant l'inscription: "saint débutant".

Cet homme exceptionnel qui n'a pas eu peur de demander pardon pour les anciens péchés de l'église catholique sera probablement remplacé par un grand prêtre catholique ordinaire. Ce sera certainement un homme instruit et émérite, mais n'ayant pas les traits qui étaient propres à Karol Wojtyla. Il y a des gens irremplaçables.

Le nouveau pape ne sera certainement pas slave, par conséquent, les rapports entre Moscou et le Saint-Siège auront un caractère bureaucratique ordinaire. Il y aura des échanges de délégations qui s'entendront, signeront des documents et cela n'ira pas plus loin.

Autrement dit, l'homme du 21e siècle qu'était feu Jean-Paul II sera remplacé par un homme du 20e siècle de la part de qui il sera difficile d'attendre des percées vers l'avenir.

En fin de compte, tout le monde y perdra: le Vatican, dont le prestige baissera inexorablement et vertigineusement, le catholicisme dans son ensemble et les catholiques de Russie, ainsi que, bien entendu, l'Eglise orthodoxe russe qui n'aura pas de stimulant pour se perfectionner. C'est dommage, car, comme l'avouent de nombreux prêtres orthodoxes, l'heure de la guérison n'est pas proche.

Un jour, on a demandé à Jean-Paul II: "Est-ce qu'il vous arrive de pleurer? Il a répondu: "Seulement intérieurement".

La majeure partie de l'humanité, indépendamment de la confession, pleure aujourd'hui intérieurement et extériorise sa douleur en versant des larmes sincères. Chacun à sa manière. Ensemble et seuls. Karol Wojtyla l'a mérité.

 

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