Le Hamas à Moscou: la Russie de retour sur l'échiquier politique international

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Par Piotr Romanov, RIA Novosti

La diplomatie russe a récemment entrepris plusieurs démarches singulières et inattendues dont les conséquences sont difficilement prévisibles: elle a tenté de faire sortir de l'impasse le dossier nucléaire iranien et a invité à Moscou les dirigeants du Hamas, organisation que les Etats-Unis et l'Europe occidentale qualifient de terroriste et qui est responsable de la mort de centaines d'Israéliens.

Cette dernière invitation, que le président Vladimir Poutine a annoncée lors de sa visite officielle à Madrid, a pris de court le monde entier, y compris les partenaires de la Russie dans le règlement du conflit au Proche-Orient. Mais, après les explications supplémentaires de Moscou, le Quartette a reconnu que l'idée du président russe présentait un certain intérêt. Il fallait tout de même compter avec les résultats des législatives en Palestine, le Quartette devait, par conséquent, rencontrer les nouvelles autorités palestiniennes pour leur expliquer sa position commune.

C'est ce qui a été fait lors de la visite du Hamas à Moscou. Si même l'administration américaine s'est félicitée des résultats des pourparlers, cela veut dire qu'en effet Moscou n'a rien promis de trop aux dirigeants du Hamas, tout en restant dans le cadre de la ligne générale du Quartette. Comme personne ne s'attendait à rien de concret, la rencontre semble s'être déroulée sans problèmes. Le Quartette a pu exprimer son avis, et le Hamas le sien. Tout le monde comprend que, contrairement au dossier iranien, en plein compte à rebours, le problème israélo-palestinien ne date pas d'hier: ici, le succès ne peut venir qu'à long terme.

Naturellement, en endossant un rôle de pont entre le monde occidental et le monde musulman, Moscou poursuit aussi ses propres intérêts. Ces intérêts sont faciles à déchiffrer, mais l'avantage de cette politique n'est pas du tout évident. Il est clair que Moscou cherche à rétablir ses positions, jadis solides, au Proche-Orient, positions qu'elle a perdues après la chute de l'URSS. Il faut aussi noter que la Russie ne souhaitait évincer personne, elle n'a fait que se glisser dans un créneau qui s'est ouvert après toute une série d'erreurs grossières des Etats-Unis et de l'Europe occidentale. A en juger par les nombreuses réactions, le monde islamique serait favorable au retour de la Russie dans l'arène proche-orientale. Et pour cause, car les Russes avancent, un rameau d'olivier à la main, en quête d'un compromis et prêts à écouter respectueusement leurs partenaires. "Nous ne permettrons à personne de nous brouiller avec le monde musulman", déclarait ainsi le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov. Tout cela va à l'encontre de l'approche occidentale fondée, elle, sur la pression, sinon la force brutale, comme cela a été le cas en Irak.

Toutefois, aussi évidents que soient tous ces avantages, la diplomatie russe s'engage sur le terrain instable du Proche-Orient qui regorge de surprises désagréables, d'intrigues et d'hypocrisies, où une parole prononcée ou une signature ne garantissent pas forcément l'application d'un accord. La Russie, qui manque encore de force et d'autorité, saura-t-elle tirer son épingle de ce jeu extrêmement compliqué? Elle risque de ternir son image de marque, mais aussi de subir des pertes économiques et politiques.

Les premières pertes sont déjà là. Si elle a gagné dans ses relations avec la Palestine, elle a perdu autant dans ses relations avec Israël. Pour régler le problème du Proche-Orient, il lui faudra s'ingénier à passer entre Charybde et Scylla en évitant les échecs et en gagnant la confiance des deux camps.

Deuxième échec, celui des négociations avec l'Iran. Quand un médiateur n'est pas à la hauteur de sa tâche, il perd inévitablement de son poids politique.

Troisième perte importante: si auparavant la Russie pouvait à juste titre reprocher aux Occidentaux leur double langage amoral consistant à diviser les terroristes en "bons" et "méchants", elle aura désormais toutes les peines du monde à convaincre l'opinion publique, après la visite du Hamas à Moscou, aussi nobles et pragmatiques que soient ses intentions, que son image de marque diffère moralement de celle des Etats-Unis ou de la Grande-Bretagne. Ainsi, un ténor de l'opposition israélienne s'interrogeait, non sans méchanceté, sur ce que ferait Moscou si Israël invitait chez lui des terroristes tchétchènes. Quoi qu'il en soit, serrer la main à des représentants du mouvement islamiste dont le fondateur, le cheikh Yassine, avait appelé à tuer tous les juifs et à libérer la Palestine "de la mer au fleuve" (de la Méditerranée au Jourdain), semble être une affaire on ne peut plus délicate.

Bref, Moscou revient en grande pompe sur l'échiquier politique international. En principe, cela est plutôt bien. Seulement ici, comme dans le sport professionnel, il faut s'attendre à tout, aussi bien à la gloire et qu'aux tomates pourries.

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