La Russie et l'Ukraine adhéreront à l'OMC simultanément

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Par Tatiana Stanovaïa, expert du Centre de technologies politiques - RIA Novosti.

L'achèvement des négociations Ukraine-Etats-Unis sur l'adhésion à l'OMC a désagréablement surpris la Russie.

Le fait est que la position des Etats-Unis est aujourd'hui le principal obstacle sur la voie de l'adhésion de la Russie à l'Organisation mondiale du commerce. Il faut noter que Moscou s'est investi beaucoup plus que Kiev dans cette voie. Et pourtant il n'y a pas de quoi s'affliger : la décision des Etats-Unis a ses avantages, et pour Kiev les négociations américano-ukrainiennes ne sont pas l'épreuve la plus difficile sur le chemin menant à l'OMC.

La grande intrigue du moment entre la Russie et l'Ukraine consiste à savoir qui sera le premier à être admis à l'OMC. La concurrence ne serait pas aussi passionnée si les deux pays n'avaient pas peur de se retrouver deuxième, et d'avoir ainsi à négocier l'adhésion avec un rival qui n'a franchi la ligne d'arrivée qu'avec un pouce d'avance.

Outre les problèmes économiques qui peuvent surgir, il y a aussi des problèmes politiques. Le pays qui adhérera le premier prouvera ainsi son efficacité et sa priorité, il "mouchera", pour ainsi dire, le retardataire. Si l'Ukraine arrive première, elle aura un bon prétexte pour affirmer que la "révolution orange" se justifiait, que l'intégration européenne est un choix judicieux et que le mérite en revient au nouveau pouvoir. Cela ressemble même à la l'ancienne rivalité entre l'URSS et les Etats-Unis sur la supériorité dans la course aux armements et dans l'exploration de l'espace cosmique. Les émotions ne manquent pas dans les deux camps, mais il vaut mieux ne pas les exagérer. En réalité, tout est beaucoup plus compliqué.

L'approche russe de l'achèvement des négociations entre l'Ukraine et les Etats-Unis a deux aspects : la position de Moscou face à la décision de Washington et son attitude envers les succès de Kiev.

Lors d'une conférence de presse donnée à l'intention des journalistes russes et étrangers le 31 janvier, le président russe Vladimir Poutine a déclaré : "L'essentiel aujourd'hui est de s'entendre avec les Etats-Unis. Je pense que lorsque nous aurons réglé nos problèmes avec eux, la Colombie aussi donnera son aval. Tous les autres pays, je teins à le souligner, tous nos partenaires ont soutenu l'adhésion de la Russie à l'OMC. Seuls les Etats-Unis tardent à le faire".

L'achèvement des négociations avec l'Ukraine permet à Washington de faire pression sur la Russie. Notamment dans un domaine particulièrement sensible: l'ouverture du marché russe aux filiales de banques étrangères, ce que les autorités russes refusent catégoriquement. On a l'impression que les Etats-Unis retiennent d'une main la Russie tout en ouvrant de l'autre la porte de l'OMC à l'Ukraine. Leur décision de laisser passer l'Ukraine la première traduit bien davantage le caractère des relations russo-américaines que russo-ukrainiennes.

En réalité, l'achèvement des négociations entre l'Ukraine et les Etats-Unis n'a pas de conséquences négatives importantes pour les relations russo-ukrainiennes et peut même avoir un effet politique bénéfique pour Moscou.

En effet, le 4 janvier dernier, on a constaté un tournant dans les relations russo-ukrainiennes. Les deux pays ont signé des accords gaziers très avantageux pour la Russie. Toute l'élite politique ukrainienne, y compris Viktor Ianoukovitch, il fut un temps prorusse, sans parler de Ioulia Timochenko (Moscou a même tenté de lui faire des avances après sa destitution), exige la résiliation des accords de janvier. Iouchtchenko reste l'unique force politique capable de garantir le respect des accords gaziers et devient de ce fait l'élément le plus prorusse en Ukraine (sans compter, naturellement, l'Opposition populaire de Natalia Vitenko qui dispose, d'ailleurs, d'un électorat réduit). Souvenons-nous des propos du président russe Vladimir Poutine qui, lorsqu'il était à Astana à l'occasion de l'investiture de Noursoultan Nazarbaev, a loué Iouchtchenko pour sa capacité de tenir ses promesses, à l'opposé des dirigeants ukrainiens précédents (allusion évidente à Léonide Koutchma qui passait pour un homme politique loyal envers Moscou). Grâce aux accords gaziers la Russie est devenue, pour la première fois depuis la "révolution orange", intéressée à la stabilité de ce régime.

L'achèvement des négociations entre l'Ukraine et l'OMC est moins nécessaire aux Etats-Unis qu'à l'Ukraine qui a obtenu leur accord en leur cédant de nombreux segments de son marché (dont la presque totalité de celui des services). L'achèvement des négociations est une nouvelle qui renforce l'attraction électorale du bloc de Iouchtchenko "Notre Ukraine", ce qui répond aujourd'hui aux intérêts de la Russie. Le représentant américain aux négociations commerciales, Robert Portman, a déclaré que l'achèvement des négociations "confirme l'attachement de l'Ukraine aux larges réformes et à la libéralisation économique" et sa "détermination d'adhérer au système commercial international". Ces propos sont un actif politique important du "régime orange".

Autre motif de ne pas s'affliger de l'heureux achèvement des négociations entre l'Ukraine et les Etats-Unis. Si, pour la Russie, les Etats-Unis sont le principal obstacle à son adhésion à l'OMC, l'Ukraine se voit poser des bâtons dans les roues par son propre parlement qui n'a pas encore adopté le paquet de projets de lois nécessaires à l'admission du pays à l'OMC et ne pourra pas le faire dans l'immédiat. Le futur parlement se mettra au travail à la fin du printemps et il risque de s'avérer aussi rétif que l'actuelle Rada. La bataille de Iouchtchenko contre la Rada suprême pour l'adhésion à l'OMC promet d'être longue.

Ainsi, sur la voie de l'adhésion à l'OMC la Russie et l'Ukraine sont à peu près à égalité : les deux pays n'ont pas encore franchi leur obstacle principal. Les Etats-Unis s'en rendent compte. Les Américains ont plus d'une fois dit que la Russie et l'Ukraine devaient entrer à l'OMC simultanément. Cela convient à tout le monde. Tout porte à croire qu'il en sera ainsi.

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