Présidentielle de 96: dix ans après, ce que retient l'histoire

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Par Andreï Kolesnikov, RIA Novosti

Il y a dix ans, les élections présidentielles en Russie étaient sur le point d'échouer. Au premier tour, le 16 juin, Boris Eltsine avait totalisé 35,28% des suffrages, son concurrent Guennadi Ziouganov, leader communiste, 32,03% et le général Alexandre Lebed, profitant de sa réputation de militaire dur et honnête, 14,52%. Le 19 juin, un véritable drame politique avait éclaté: évincés par Anatoli Tchoubaïs, chef de l'équipe électorale, de la direction de la campagne électorale de Boris Eltsine, le chef des gardes du corps du président Alexandre Korjakov, le directeur du Service fédéral de sécurité (FSB) Mikhaïl Barsoukov et le premier vice-premier ministre Oleg Soskovets avaient ordonné l'arrestation de plusieurs agents de l'équipe eltsinienne alors qu'ils sortaient du siège du gouvernement en possession d'un carton contenant 100.000 dollars en liquide. De peur qu'Eltsine ne perde la campagne au deuxième tour, ils voulaient profiter de cette arrestation pour annuler les élections.

Le 20 juin, alors qu'Anatoli Tchoubaïs et le premier ministre Viktor Tchernomyrdine avaient à grand-peine persuadé le président qu'un coup d'Etat était en train de s'opérer dans le pays, les trois personnages, très proches d'Eltsine, avaient été renvoyés. C'est à ce moment qu'Anatoli Tchoubaïs avait prononcé, lors d'une conférence de presse, sa fameuse phrase: "Le dernier clou a été enfoncé dans le cercueil du communisme".

Au deuxième tour, Boris Eltsine, parti en campagne avec une cote de popularité extrêmement basse en hiver 1996, l'emporta avec 53,82% des suffrages, contre 40,31% pour Guennadi Ziouganov. Entre les deux tours, tout avait été fait pour persuader la population qu'une revanche du communisme était possible et les gens, pourtant déjà déçus par Eltsine, avaient quand même voté pour lui parce qu'ils étaient opposés au retour du passé communiste, alors que Ziouganov ne leur semblait point être un leader est-européen "de velours", du type social-démocrate. Le problème de la légitimité des résultats de la "révolution bourgeoise", opérée par le haut dans la période 1992-1995, fut résolu. Pourtant, au printemps 1996, personne ne croyait en la victoire d'Eltsine qu'on eut toutes les peines du monde à dissuader de prendre une décision suicidaire: l'annulation des élections et l'interdiction du Parti communiste.

Aujourd'hui, alors que les événements dramatiques d'il y a dix ans semblent appartenir au passé, on a l'impression que le choix entre Boris Eltsine et Guennadi Ziouganov n'a en réalité pas été décisif pour le destin du pays. Admettons que Ziouganov ait remporté l'élection. La logique naturelle du développement de la Russie l'aurait probablement mis devant la nécessité d'une politique modérée, excluant la nationalisation de la propriété déjà privatisée. Cependant, à l'époque, on ne le pensait pas et la perspective d'un nouveau partage de la propriété, cette fois sanglant, semblait plus que réelle.

Néanmoins, un choix incontestablement historique a été fait, qui a tiré une croix sur la possibilité d'une restauration du communisme.

Pendant les années qui ont suivi la présidentielle, il s'est formé un régime appelé par la suite oligarchique. Mais les élections de 1996 ont jeté les bases de la stabilité politique et économique et assuré la succession du pouvoir en Russie où, sous Boris Eltsine, ont été réalisées toutes les réformes économiques les plus douloureuses et ont été posées les fondations du système constitutionnel.

Les principaux acteurs de ces événements d'il y a dix ans étaient Boris Eltsine et les communistes. Que sont-ils devenus au bout de cette décennie?

Les communistes, force politique toujours influente mais sans danger pour le pouvoir, quittent petit à petit le devant de la scène. La raison principale en est le vieillissement des cadres du Parti, les "pertes naturelles", selon une récente expression de Guennadi Ziouganov, la vieillesse de ses militants et le caractère dépassé de ses mots d'ordre. Une partie de l'idéologie des communistes est exploitée avec succès par Russie Unie, "parti au pouvoir", mais les ressources de la nostalgie de l'Union Soviétique et de la rhétorique communiste accusatrice ne sont pas inépuisables et, qui plus est, ne sont plus à la mode dans les milieux politiques. Néanmoins, même dans une version "stérilisée", les communistes arrivent en deuxième position dans les intentions de vote des électeurs (selon les derniers sondages de la fondation "Opinion publique", 10% des électeurs sont prêts à voter communiste, 25% préfèrent Russie Unie et 5% soutiennent le Parti libéral démocrate). Le Parti communiste a besoin de se renouveler et peut-être d'un nouveau leader. Mais il est évident que rien ne se passera avant la présidentielle de 2008.

Boris Eltsine qui, diplomatiquement parlant, n'est pas l'homme politique russe le plus populaire, retrouve pourtant petit à petit la sympathie de la population, dix ans après son historique réélection en 1996 et six ans après sa spectaculaire démission bénévole en 2000. Voici les jugements portés sur son activité en 2000 et en 2006. D'après les sondages de la fondation "Opinion publique", il y a six ans, 19% des personnes interrogées trouvaient l'activité du premier président russe positive, contre déjà 25% en 2006. Quant au nombre d'avis négatifs, il a diminué de 10%, passant de 67% à 57%. Les personnes sondées par "Opinion publique" et par le Centre Levada apprécient Boris Eltsine pour la mise en place des normes démocratiques et des libertés politiques.

Les résultats des sondages sont symptomatiques. Tout porte à croire que d'ici quelques années, le rôle historique de Boris Eltsine et les résultats des élections de 1996 seront vus par la population sous un angle plus positif.

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