Les Kurdes, un "pion intouchable" sur l'échiquier international

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Par Piotr Romanov, RIA Novosti

Une nouvelle série d'explosions a affecté la Turquie, et si elles n'ont encore été revendiquées par personne, tout le monde est persuadé qu'elles sont l'oeuvre des Kurdes. Depuis l'intervention américaine dans l'Irak voisin, les Kurdes sont devenus nettement plus actifs grâce, notamment, à une bonne base d'appui sur un territoire irakien mal contrôlé. C'est là qu'a commencé à mûrir, pour une énième fois dans l'histoire, l'idée d'un des peuples les plus anciens et les plus malheureux du monde, l'idée d'un Grand Kurdistan.

Parmi les nations représentées aujourd'hui à l'ONU, rares sont celles qui pourraient se vanter d'une histoire aussi ancienne que les Kurdes, évoqués déjà par les Egyptiens, les Babyloniens, les Sumériens, les Assyriens et les Ourartéens. Les Kurdes ont des racines anciennes et une culture particulière soigneusement préservée, mais surtout ils sont nombreux, entre 20 et 30 millions de personnes selon les différentes données. Il ne leur manque qu'une chose, ce dont disposent même les îlots les plus reculés du Pacifique: un Etat à eux. Les Kurdes sont présents en Turquie, en Irak, en Syrie, en Iran, en Azerbaïdjan et en Arménie. Certains d'entre eux mènent une existence décente, mais la majorité vit plutôt mal.

En Turquie, en Iran, en Syrie et dans plusieurs autres pays qui ressentent en permanence une menace sur leur intégrité territoriale, les Kurdes sont des marginaux et parfois même victimes de répressions ouvertes. Le problème kurde apparaît donc si complexe et explosif que la communauté internationale préfère garder les yeux fermés.

Les amateurs d'échecs connaissent des situations où un pion se retrouve au centre de l'échiquier, coincé au milieu d'autres pièces au point que les joueurs ne peuvent se résoudre à le toucher, par crainte de briser l'équilibre et de plonger dans l'imprévisible. Le dossier kurde est aussi une sorte de "pion intouchable": il suffit de l'aborder pour que beaucoup de choses s'écroulent dans notre monde illusoirement solide. Toujours est-il que continuer à ignorer les intérêts d'un peuple aussi ancien et nombreux revient aussi à le provoquer, comme si l'on remuait le couteau dans la plaie au lieu de la soigner.

L'Europe a plus intérêt que quiconque à régler le problème kurde, quoique, semble-t-il, elle ne le comprenne pas encore. Lentement, avec des réserves de toutes sortes, mais sûrement, la Turquie progresse dans la voie de l'intégration dans l'Union européenne. Bien entendu, il appartient aux Européens de trancher, mais leur comportement suscite pas mal d'interrogations. Peut-on comprendre, en effet, pourquoi l'Union européenne, dont les membres n'arrivent pas à se mettre d'accord sur une constitution, sont partagés sur la guerre en Irak, puis au Liban, et sont loin de faire front commun sur le dossier nucléaire iranien - il suffit de rappeler la position particulière de l'Espagne -, s'obstine toujours à privilégier la quantité au détriment de la qualité? Après le scandale des caricatures et les violences dans les banlieues françaises, sans oublier le terrorisme au visage franchement non européen, est-il raisonnable d'ouvrir les portes à la Turquie? Si l'Union européenne n'arrive toujours pas à élaborer de mesures adéquates pour enrayer le flot de l'immigration clandestine, que fera-t-elle face à l'immigration légale massive?

Les Européens hériteront aussi du "pion" kurde, une migraine de plus qui ne manquera pas de leur compliquer la vie. Si les Kurdes en ont assez de la Turquie, ils déménageront en Europe. S'ils restent en Turquie et continuent à lutter pour l'indépendance, les Européens politiquement corrects auront soit à fermer les yeux sur les violences subies par les Kurdes dans les prisons turques, soit à convaincre longuement et désespérément Ankara d'accorder aux Kurdes une autonomie large et réelle sur le territoire turc.

Le plus curieux est que les Européens, à en croire les différents sondages, voient d'un mauvais oeil le possible déferlement d'immigrés turcs. Certains, les Autrichiens notamment, s'y opposent catégoriquement. Dans le même temps, rares sont les bureaucrates européens préoccupés face aux changements à venir, et les choses évoluent vers une adhésion de la Turquie à l'Union européenne.

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