La Défense antimissile américaine de A à Z

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Par Iouri Zaïtsev, conseiller titulaire de l'Académie russe du Génie, pour RIA Novosti
Par Iouri Zaïtsev, conseiller titulaire de l'Académie russe du Génie, pour RIA Novosti

Le 13 décembre 2001, George W. Bush annonçait le retrait unilatéral des Etats-Unis du Traité de défense antimissile (ABM) de 1972. Un an plus tard, il donnait l'ordre de déployer un système de défense antimissile. Sur le plan officiel, la réaction de Moscou à cette initiative du président américain fut très modérée. Le Kremlin ne fit que "regretter" cette démarche, alors que Iouri Balouïevski, à l'époque numéro deux de l'Etat-major général des forces armées russes, affirma que le déploiement par les Etats-Unis d'un ABM global ne menacerait pas la sécurité de la Russie avant 2010-1015, voire même peut-être avant 2020.

En effet, pour les dix ou quinze ans à venir, le déploiement d'une DAM (défense antimissile ou ABM) est, pour la Russie, un problème plus politique que militaire. Les technologies existantes ne permettront pas, dans les années à venir, de mettre sur pied un système hautement efficace d'interception de missiles, et d'autant moins de missiles à têtes multiples à guidage individuel. L'unique chose qui pourrait provoquer un agacement de Moscou, c'est le rapprochement d'éléments de DAM des frontières russes, par exemple, leur déploiement en Pologne et en République tchèque.

Conventionnellement, la trajectoire du vol d'un missile balistique intercontinental peut être divisée en quatre étapes. La première, dit secteur actif, dure du départ jusqu'à la mise en marche des propulseurs du dernier étage, à une altitude de 200 à 300 km. Elle prend 3 minutes tout au plus pour les missiles à carburant solide et 5 minutes pour les missiles à ergols liquides. Du missile, il ne reste par la suite que l'étage portant les ogives, un système de direction, des moteurs-fusées de correction de trajectoire et des dispositifs pour la percée des défenses antimissiles. Parmi ces derniers, des leurres lourds et légers, dont les principales performances physiques permettent de les assimiler aux ogives d'attaque en termes de température, de surface efficace de dispersion et de vitesse du vol, ainsi que des centaines de milliers de réflecteurs antiradars.

A la deuxième étape, sur commande d'un centre de contrôle, le dernier étage réalise une évolution vers le point prévu numéro 1 où il tire une ogive sur la cible numéro 1, qui part accompagnée d'une certaine quantité de moyens anti-DAM. Suit alors une évolution vers le point prévu numéro 2 et ainsi de suite, en fonction du nombre de charges nucléaires portées. Chaque évolution prend 30 à 40 secondes.

La troisième étape est un vol libre de tous les éléments tirés (des ogives et des leurres), en trajectoire balistique et à des altitudes allant jusqu'à 1.200 km. Cette phase prendra 15 à 20 minutes.

Et enfin se déroule la phase finale, la plus courte, d'une durée de moins d'une minute, lorsque les "nuages" d'éléments entrent dans l'atmosphère à une altitude de 110 à 120 km et à une vitesse de près de 7 km/sec. Rencontrant la résistance aérodynamique, les leurres légers accuseront du retard sur les leurres plus lourds et les ogives réelles. Et pourtant, la tâche consistant à identifier une ogive volant dans un nuage de leurres est incroyablement difficile sur le plan technique et tout porte à croire que ce problème n'aura pas de solution dans un proche avenir. Aucun système de défense antimissile ne sera efficace si la plupart des missiles ne sont pas détruits sur le secteur actif, autrement dit à la phase initiale de leur vol. Cette phase permet leur détection la plus efficace (grâce au rayonnement infrarouge de leurs propulseurs), ainsi que le pointage des intercepteurs.

Et en plus, les dimensions des missiles et leur solidité mécanique relativement faible les rendront plus vulnérables. Sur ce secteur cependant, l'interception n'aura lieu que si la vitesse de l'intercepteur (basé au sol) est supérieure à celle du missile attaquant et si l'intercepteur est éloigné de la trajectoire du missile de 500 km au maximum pour un lanceur à ergols liquides et de 300 km pour un lanceur à poudre. Les Américains se disent eux-mêmes incapables à ce jour d'intercepter les missiles lancés des régions intérieures de la Russie. D'où leur volonté de rapprocher leurs systèmes antimissiles des frontières russes.

Le succès de la lutte anti-missiles dépend aussi à plus d'un titre des capacités d'un système d'information et de reconnaissance dont la mission consiste à détecter le départ et à suivre la trajectoire d'un missile, ainsi qu'à guider son intercepteur. Plus tôt le tir est détecté, plus l'interception a de chances de réussir.

Avant même leur retrait du Traité ABM de 1972, les Etats-Unis ont entrepris des démarches concrètes en vue de déployer à proximité des frontières russes des radars destinés à enregistrer les départs de missiles et à désigner des objectifs aux intercepteurs. Le premier radar de ce genre a été déployé en Norvège (Have Stare). Et si les radars qui devront être installés en République tchèque ont les mêmes performances que le radar norvégien, ils balaieront pratiquement tout le territoire russe jusqu'à l'Oural.

Les experts de la prestigieuse Société américaine de physique en sont venus à des conclusions intéressantes dans un rapport intitulé "Systèmes d'interception sur le secteur actif de la trajectoire pour la défense antimissile nationale". Ses auteurs attirent l'attention sur le fait que même si l'interception réussie d'une fusée sur le secteur de sa mise en vitesse peut empêcher une frappe contre les objectifs prévus, les ogives nucléaires restantes retomberont sur les localités situées le long de sa trajectoire, causant un préjudice matériel notable et des décès massifs au sein de leur population.

Ce qui veut dire qu'en cas de conflit nucléaire, le premier coup sera porté contre les pays qui accueillent les éléments de la défense antimissile américaine. On affirme également que les ogives ne retomberont en aucun cas sur le territoire du pays d'où ces missiles balistiques partiront. Des calculs montrent que si un missile est atteint par un intercepteur à une vitesse de 3,9 km/sec, ses ogives voleront encore 2.000 km. A une vitesse de 5,5 km/sec, elles couvriront encore près de 5.000 km.

Parlons maintenant des mesures qui pourraient être prises pour sinon neutraliser du moins réduire l'efficacité du futur système américain d'interception.

Le moyen le plus radical consiste à comprimer la durée du secteur actif de la trajectoire. Grâce, notamment, au remplacement des missiles à ergols liquides par des missiles à carburant solide, c'est ce qu'on est en train de faire dans les Troupes russes de fusées stratégiques. A terme, la durée du secteur actif doit être portée à 1 minute et son achèvement à une altitude de 80 à 100 km au maximum.

Les évolutions qu'un missile réalise sur le secteur de l'espacement des ogives devront également compliquer son interception. Iouri Solomonov, constructeur général du Topol-M, le plus récent des missiles balistiques russes, affirme que cet engin est en mesure d'effectuer des manoeuvres aussi bien à la verticale qu'à l'horizontale, ce qui a été d'ailleurs confirmé par des tests. Un vol en trajectoire rasante - sans pratiquement sortir des couches denses de l'atmosphère - peut aussi rendre son interception encore plus difficile.

La Russie, tout en reconnaissant que le retrait des Etats-Unis du Traité de défense antimissile est une erreur ne présentant pas à l'heure actuelle de menace pour sa sécurité, juge toutefois nécessaire de suivre avec attention la marche des travaux en cours en Amérique dans ce domaine et de concevoir des méthodes de neutralisation de ses systèmes antimissiles.

Il est également à noter qu'en réduisant les armements stratégiques offensifs, les systèmes antimissiles verront leur rôle s'accroître notablement, du moment que leurs efficacité est inversement proportionnelle au nombre de missiles attaquants et au nombre d'ogives portées. Voilà pourquoi le maintien du potentiel nécessaire de dissuasion nucléaire dans les décennies à venir peut être considéré comme l'un des objectifs militaires et politiques les plus importants de la Fédération de Russie.

(L'avis de l'auteur ne coïncide pas forcément avec celui de la rédaction)

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