Une entente est-elle possible entre le Vatican et l'Eglise orthodoxe russe?

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Par Piotr Romanov, RIA Novosti
Par Piotr Romanov, RIA Novosti

La nouvelle selon laquelle l'Eglise orthodoxe russe et le Vatican s'apprêtent à engager des négociations pour régler leurs vieux désaccords n'a suscité que peu d'intérêt. Et cela n'a rien d'étonnant. Chacun a vite oublié cette nouvelle après être arrivé à la conclusion que cette démarche n'aboutirait à rien.

Et pourtant, la nouvelle annoncée mérite d'être prise en considération. Comme l'a déclaré l'archevêque de Moscou, Mgr Tadeusz Kondrusiewicz, qui représente l'Eglise catholique romaine en Russie, "des tas de problèmes se sont accumulés dans les relations entre les deux Eglises en 950 ans de séparation (la chrétienté est divisée en catholiques et orthodoxes depuis le Grand schisme d'Orient de 1054). Parmi ces problèmes figurent des préjugés historiques, ainsi que des différences dans la pratique liturgique et l'expérience de la vie religieuse. Nous devons essayer de ramener tout cela à un dénominateur commun. On sait qu'un chemin d'un millier de milles commence par un premier pas. En acceptant de nous mettre à la table des négociations, nous avons fait l'essentiel..."

Eh bien, voici quelques conclusions. Aussi faibles que soient les chances de succès, elles ne sont plus inexistantes, comme elles l'étaient hier encore. C'est la vie même qui incite les prélats des deux églises à rechercher un rapprochement. Je pense notamment à l'influence grandissante de l'islam doctrinaire, au bouleversement des valeurs morales du christianisme et - si l'on parle du Vatican - à la tentative manifeste des hommes politiques européens d'oublier le rôle du christianisme dans la formation de leurs Etats. Il suffit de voir l'obstination de l'Europe unie à ne pas vouloir mentionner dans sa Constitution les origines chrétiennes de la civilisation européenne.

L'Eglise orthodoxe russe se heurte, elle aussi, à des problèmes très graves: elle demeure non seulement affaiblie par des années de répressions, mais encore elle est obligée de s'adresser à des gens dont les valeurs spirituelles ont été altérées par l'époque soviétique. Et bien que les autorités russes - à la différence de celles de l'UE - fassent tout leur possible pour se rapprocher de l'Eglise, les problèmes hérités du passé ne sont toujours pas complètement résolus. Il est aussi à noter qu'après une rupture prolongée, les autorités laïques et religieuses n'ont pas encore réussi à rétablir la bonne entente, ce qui les empêche de circonscrire nettement leurs zones d'influence respectives. Et cela ne manque pas d'engendrer, dans la société russe, de vives discussions comme celle qui se déroule actuellement sur le thème: faut-il dispenser une formation religieuse dans les écoles publiques?

"Notre époque nous lance de grands défis, ne cesse de répéter Mgr Kondrusiewicz. Il s'agit notamment de la tendance à adopter des lois contraires aux fondements moraux et aux traditions du christianisme. Pour y faire face, le Vatican et l'Eglise orthodoxe russe doivent agir en alliés".

En effet, la chrétienté mondiale n'a aucun intérêt à prolonger la scission. Et pourtant, il est extrêmement difficile de régler les problèmes qui se sont accumulés dans les relations entre les deux Eglises. Parmi leurs principaux points de désaccord, le métropolite Kondrusiewicz a cité "la primauté du pape", le "problème du filioque" (affirmation selon laquelle le Saint-Esprit procède non seulement du Père, mais aussi du Fils) et "le dogme de l'Immaculée Conception" (dogme selon lequel au moment de sa conception, la Vierge Marie fut exempte du péché originel).

Il est clair que n'importe lequel de ces désaccords est insurmontable si les hiérarques chrétiens ne trouvent pas le courage d'abandonner les canons religieux pour rechercher ensemble un compromis. Cela dit, aussi paradoxal que cela puisse paraître, les chances de succès augmentent aujourd'hui grâce au conservatisme du nouveau souverain pontife Benoît XVI. Plus la position du Vatican est conservatrice, plus elle se rapproche de la position de l'Eglise orthodoxe russe.

Il est aussi à noter que dans le passé, catholiques et orthodoxes ont maintes fois essayé de se rapprocher. Or, leurs tentatives se sont toutes soldées par des échecs. Tous les catholiques qui venaient en Russie ne cherchaient pas, loin de là, à faire du prosélytisme. Beaucoup d'entre eux ont même sincèrement tenté de bâtir un pont entre les deux grands rivages du christianisme. Or, leurs efforts n'ont pas été suivis.

La tendance au rapprochement des deux Eglises a été également constatée en Russie. Adepte du mysticisme, l'empereur Paul Ier alliait facilement orthodoxie et catholicisme et entretenait des liens d'amitié avec le Vatican. Grand magistère de l'Ordre de Malte catholique, il fit représenter la Croix de Malte sur les armoiries officielles de l'empire russe, sans pour autant porter de préjudice à la foi orthodoxe en Russie.

Sous Catherine la Grande et plus tard, jusqu'à l'intronisation d'Alexandre Ier, les collèges jésuites furent considérés par l'aristocratie russe comme les meilleurs établissements d'enseignement en Russie: Catherine II avait accueilli l'ordre des Jésuites dès son interdiction en Europe.

Enfin, au début du XXe siècle, il existait en Russie un groupe de disciples du grand philosophe Vladimir Soloviev. Surnommés "les catholiques russes", ils choisirent comme slogan: "Que les fidèles soient unis et leur berger soit un". Tout en reconnaissant la suprématie du pape, les "solovievistes" restaient orthodoxes dans les autres questions de la foi. Les "catholiques russes" préconisaient non pas la soumission d'une Eglise à l'autre, mais leur alliance librement consentie. Selon eux, en cas de réunification, le patriarche russe devait simplement signifier ses décisions au pape en lui envoyant des "lettres de notification". Et rien de plus. Comme l'écrivait l'archidiacre Alexandre Oustinski dans le journal "Parole de Vérité", après leur réunification, catholiques et orthodoxes "garderaient leurs croyances dogmatiques, ainsi que leurs règles liturgiques, administratives et disciplinaires". Or, ce mouvement très prudent à la rencontre du Vatican provoqua à l'époque une réaction extrêmement négative des hiérarques orthodoxes.

Cette fois-ci, la tentative de rapprochement n'est pas entreprise par de simples particuliers, mais par les hauts dignitaires de l'Eglise orthodoxe russe et du Vatican. Bien qu'ils soient plus libres dans leurs décisions que le commun des mortels, ils sont néanmoins gênés par les traditions, les canons et les préjugés. Donc, les chances de succès, si on y réfléchit un peu, ne sont pas importantes. Mais elles existent. En outre, on sait que les voies de la Providence sont impénétrables. La situation s'éclaircira dès le premier round de négociations d'automne qui se déroulera en Italie.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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