La démocratie à l'épreuve du bouclier antimissile

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Par Piotr Romanov, RIA Novosti
Par Piotr Romanov, RIA Novosti

Se rendant au sommet du G8 en Allemagne, le président américain a fait escale en République tchèque pour régler sans doute définitivement la question du déploiement d'un radar ABM sur le territoire de ce pays et remercier les autorités tchèques de leur dévouement à la démocratie. Ce qui surprend le plus est le fait que Bush paraissait tout à fait sincère, et que les autorités tchèques croyaient tout aussi sincèrement qu'ils étaient effectivement d'éminents démocrates. Quoi qu'il en soit, il y a au moins une raison d'en douter, dans la mesure où la décision d'installer un tel radar sur le territoire tchèque a été adoptée malgré l'opposition de la majorité écrasante des Tchèques.

Autrement dit, la démocratie en République tchèque n'a pas passé l'épreuve du bouclier antimissile américain. C'est dommage pour les Tchèques, parce qu'à peine libérés de la tutelle obsédante de l'URSS, ils se sont retrouvés sous le poids d'une autre presse, cette fois américaine, et ce, sans même avoir vraiment pu sentir le goût de l'indépendance.

Ce n'est sans doute pas par hasard que les Etats-Unis ont choisi le territoire des néophytes de l'Union européenne pour déployer des éléments du système américain de défense antimissile. Il ne s'agit pas seulement de leur proximité du territoire russe, mais aussi et surtout de cette psychologie des satellites qui s'était profondément ancrée dans l'âme de bien des pays de l'ancien camp socialiste, encore que peu importe au fond qu'il s'agisse des satellites de l'URSS ou des Etats-Unis.

La même histoire s'est rééditée en Pologne, où la majorité de la population s'est également opposée au déploiement d'un bouclier antimissile dans le pays, à cette différence près que Prague n'a pas fait preuve de la fermeté de rigueur. Pour ce qui est de Varsovie, Bush n'a même pas été obligé de s'y rendre, car les frères Kaczynski s'empressent avec joie d'accéder à tous les désirs des Américains, les devançant même. Les Kaczynski ne se sont pas plus opposés au déploiement d'un système ABM sur le territoire polonais qu'à la campagne d'Irak.

La démocratie européenne n'a pas été la seule à ne pas résister à l'épreuve du bouclier antimissile. A en croire le président polonais, la solidarité européenne a elle aussi volé en éclats. Lech Kaczynski a déclaré en substance: "Si nous le demandons à tous les membres de l'Alliance de l'Atlantique Nord qui a en son sein des pays dont l'opinion sur cette question dépend entièrement de l'attitude de Moscou, il se peut que le système ABM ne soit jamais mis en place". Il serait bon de préciser qui, selon le président polonais, forme justement cette cinquième colonne de Moscou au sein de l'OTAN. Et encore une question se pose: pourquoi sur cette question stratégique aussi importante les Etats-Unis ont préféré ne pas s'appuyer sur l'OTAN, mais ont fait appel à leurs relations bilatérales avec des pays notoirement incapables de refuser quoi que ce soit à Washington? Se peut-il que les Etats-Unis ne fassent plus tout à fait confiance à l'OTAN? Ou vice versa?

C'est aussi dans le cadre de sa visite à Prague que le président des Etats-Unis, George W. Bush, s'est dit vivement préoccupé par les destinées de la démocratie russe. A-t-il raison ou tort de le faire, c'est là un sujet à part. Supposons, cependant, que Washington a effectivement des raisons valables de s'en préoccuper. Une question tout à fait naturelle s'impose alors d'elle-même: l'apparition d'éléments du bouclier antimissile américain en Europe renforcera-t-elle ou, à l'inverse, affaiblira-t-elle la fragile démocratie russe?

C'est une question purement rhétorique. Nul n'ignore que rien que les plans de déploiement du bouclier antimissile américain à proximité immédiate des frontières russes ont déjà suscité une immense préoccupation à Moscou, ont considérablement conforté les positions du complexe militaro-industriel russe, ainsi que celles des militaires et de toutes les structures de force de Russie. Pire, ces mêmes projets américains ont réanimé chez bien des Russes la sensation d'instabilité, sinon l'impression de vivre dans un camp assiégé. Il va sans dire que tout cela ne contribue en rien au renforcement de la démocratie russe. Somme toute, on n'arrive pas et on n'arrivera jamais à allier le déploiement d'un bouclier antimissile en Europe et le renforcement de la démocratie en Russie.

Et enfin, on ne doit pas non plus oublier qu'une sérieuse opposition au déploiement d'un système ABM en Europe existe aussi à l'intérieur même des Etats-Unis, et notamment au sein du Parti démocrate qui a d'ores et déjà exploité sa majorité au Congrès américain pour refréner la mise en pratique des projets de Bush. Et le fait même que, sur cette question, tout comme dans le cas de l'Irak, le président des Etats-Unis ignore tout bonnement l'opinion de l'opposition qui l'a d'ailleurs battu aux dernières élections (de mi-mandat - ndlr.) montre aussi que la démocratie ne résiste toujours pas à l'épreuve de l'ABM et perd face à des faucons tant militaires que civils.

Qui plus est, elle est perdante sur tout le front, que ce soit aux Etats-Unis, en Europe ou en Russie.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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