Dariga, Goulnara et Bermet : les illusions présidentielles

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Les filles des présidents sont vouées à s'occuper de politique, que ce soit conforme à leurs désirs ou non. Seule la continuité du pouvoir peut assurer des garanties solides à leurs familles.
Par Sanobar Chermatova, membre du Conseil d'experts de RIA Novosti

Les noms des filles aînées des présidents du Kazakhstan, de l'Ouzbékistan et de l'ancien président du Kirghizstan sont tirés de l'oubli. Les médias ont envoyé Dariga Nazarbaïeva en exil politique. Les sites d'opposition promettent de hautes fonctions à Goulnara Karimova. Quant à Bermet Akaïeva, qui se trouve en résidence surveillée à Bichkek, elle lutte pour son avenir politique.

Dariga Nazarbaïeva, 45 ans, a été écartée de la direction du parti pro-présidentiel Nour-Otan récemment dirigé par son père, ce qui a alimenté les bruits sur sa disgrâce. Le nom de Dariga Nazarbaïeva ne figure pas sur les listes des candidats du parti du pouvoir à la députation. Aux élections précédentes, Dariga Nazarbaïeva avait été élue à la chambre basse du parlement sur les listes du parti Assar créé et dirigé par elle. Mais Assar a fusionné ensuite avec le parti pro-présidentiel Nour Otan qui s'est démarqué de Dariga Nazarbaïeva, ce qui a étonné de nombreuses personnes. Les observateurs estiment que l'échec de la carrière de la fille aînée du président doit être attribué à son mari Rakhat Aliev qui avait été destitué au printemps dernier de son poste d'ambassadeur du Kazakhstan en Autriche. Accusé d'enlèvement de copropriétaires d'une banque, il fait l'objet d'un avis de recherche international. La police a effectué des perquisitions non seulement chez les époux, mais aussi au domicile du père de Rakhat, Moukhtar Aliev, académicien et membre du conseil politique du parti Nour Otan, ce qui constitue un événement sans précédent. Si les rapports entre le président et son gendre aîné n'étaient pas faciles (Rakhat Aliev a été démis, à des époques différentes, des postes qu'il occupait pour les fautes commises par lui), par contre, le père du beau-fils du président, scientifique respecté dans la république, était jusque-là une personne intouchable. Le dernier coup qui a rompu les contacts entre les familles Nazarbaïev et Aliev a été porté par le divorce des époux. Selon Rakhat Aliev, son épouse a agi sous la pression de son père.

La version selon laquelle la fille du président a sacrifié son mariage à la politique (comme il ressort de l'unique commentaire de Dariga Nazarbaïeva) ou sous la pression du père lui profite probablement. Selon les observations des proches de la famille, les époux s'étaient séparés discrètement avant l'annonce du divorce. Ces dernières années, Dariga était plus proche de son père que de son mari. Rien n'indique que Dariga Nazarbaïeva soutenait les ambitions présidentielles de son époux. Arrêté à Vienne et relâché moyennant une importante caution, Rakhat Aliev a fait savoir que l'action en justice avait été engagée après sa conversation avec Noursoultan Nazarbaïev à qui il avait annoncé son intention de se présenter à la présidence. Un gendre prétendant au poste du beau-père, ce n'est pas une nouveauté dans la vie politique de l'Asie centrale riche en événements. Il y a quelques années, le mari de Goulnara Karimova, Mansour Maksoudi, entrepreneur américain d'origine ouzbèque, a été écarté de la famille, entre autres, pour des motifs politiques. Bien entendu, Mansour Maksoudi ne prétendait pas ouvertement au poste de président. Mais, dans son cas, le rôle fatal a été joué par la rumeur selon laquelle Maksoudi-père ne manquait pas d'occasions de se présenter comme père du futur président de l'Ouzbékistan. Qui plus est, les époux avaient une incompatibilité d'humeur, comme l'a reconnu Goulnara Karimova. Les hypothèses, selon lesquelles celle-ci pourrait succéder à son père, se sont multipliées de nouveau en prévision de l'élection présidentielle qui doit se tenir à la fin de l'année en Ouzbékistan. Mais, à présent, on dit que Goulnara Karimova peut devenir gouverneure de la grande région de Kachkadaria. On affirme que ce choix n'est pas fortuit : à la fin des années 80, Islam Karimov, président du Comité du parti de la région de Kachkadaria, nommé au poste de Premier Secrétaire du CC du Parti communiste d'Ouzbékistan, reste invariablement au gouvernail. Le père est sûr que la région qui s'est avérée "heureuse" dans sa vie doit assurer un bon départ dans la carrière de sa fille.

Mais Goulnara Karimova peut perturber ces plans, car elle leur préfère son activité de styliste et la joaillerie. On a du mal à imaginer cette femme âgée de 35 ans offrant des réceptions somptueuses pour les hommes politiques russes et l'élite du monde des affaires se plonger dans l'examen des rapports sur le stockage du coton et présenter des comptes sur l'exécution des commandes d'Etat, comme le font les autres gouverneurs des régions de l'Ouzbékistan. Mais, pour son père, de même que pour le président du Kazakhstan voisin, il n'y a pas d'autre variante de transfert du pouvoir, sauf le choix d'un successeur parmi leurs enfants.

Dariga Nazarbaïeva a commencé son activité politique avant les deux autres filles des présidents. Jusqu'à ces derniers temps, elle a occupé une place particulière dans l'entourage du président : elle a assisté son père, mais elle se trouvait toujours à une certaine distance, ce qui assure des avantages. Dariga Nazarbaïeva a soutenu la politique du président, mais elle s'est manifestée comme une personnalité politique indépendante. Ainsi, en 2005, le parti Assar a critiqué publiquement les actions du gouvernement, en déclarant, dans une lettre adressée au premier ministre, que les projets de vente à l'Occident des actions d'un actif stratégique de l'économie kazakhe "étaient contraires aux intérêts à long terme du Kazakhstan". Il s'agissait des actions de la compagnie "Prospection-Extraction Kazmounaïgaz". Les médias kazakhs ont qualifié cette déclaration de "ballon d'essai" lancé pour sonder la réaction de la société. Il est à remarquer que la vente de la compagnie a été ensuite suspendue.

Ermoukhamet Ertysbaïev, conseiller de Noursoultan Nazarbaïev, a alors déclaré : "Le désir de la fille d'aider son père non seulement à appliquer sa politique, mais aussi à surmonter l'apathie politique des citoyens est normal". Quant à la fusion du parti Assar avec le parti pro-présidentiel Otan, Noursoultan Nazarbaïev a conseillé à sa fille de l'expliquer comme suit : "Dis aux membres du parti Assar que nous avons dû accomplir une mission concrète. Nous l'avons exécutée et nous revenons sous les ordres du père". Cette dernière phrase explique beaucoup de choses dans les rapports entre le père et la fille. Il est logique de supposer que Dariga occupera maintenant sa position traditionnelle d'assistante à distance. On cite deux postes : celui de ministre de la Culture et celui de ministre de l'Information, ou encore membre du Sénat.

Les filles des présidents sont vouées à s'occuper de politique, que ce soit conforme à leurs désirs ou non. Seule la continuité du pouvoir peut assurer des garanties solides à leurs familles. L'exemple de la famille Akaïev, dont les membres ont été poursuivis en justice par les nouvelles autorités, est édifiant pour les dirigeants actuels de l'Asie centrale. Bermet Akaïeva, 36 ans, et ses partisans attendent leur procès à Bichkek pour avoir fomenté des troubles. La fille de l'ex-président du Kirghizstan destitué il y a deux ans à la suite de troubles populaires s'est présentée aux élections législatives partielles (pour un mandat vacant), mais trois jours avant le vote, elle a été écartée des élections. Les compatriotes de Bermet Akaïeva (elle se présentait aux élections dans le district Keminski, district natal de son père) et les partisans d'autres candidats ont organisé un meeting devant le bâtiment du tribunal du district, car les juges avaient d'abord pris la décision d'autoriser la fille de l'ex-président à présenter sa candidature pour ensuite révoquer leur décision. Un groupe de participants au meeting a essayé de prendre d'assaut le bâtiment du tribunal, Bermet Akaïeva a été accusée d'avoir organisé cet incident. Selon les militants des droits de l'homme, des infractions à la légalité ont été commises à l'égard de la fille de l'ancien président et sa résidence surveillée sans droit de correspondance est une procédure qui ne figure pas dans le Code pénal et qui vise, estiment-ils, à intimider Bermet Akaïeva et à la contraindre à se tenir le plus loin possible de la politique kirghize. Le résultat est contestable. En la personne de Bermet Akaïeva, ses adversaires se sont heurtés à un caractère ferme et persévérant. Par ailleurs, le niveau d'ouverture de la société permet de museler, dans telle ou telle mesure, l'arbitraire de ceux qui détiennent le pouvoir. Bref, tôt ou tard, Bermet Akaïeva a des chances de trouver sa place dans la politique kirghize.

Les perspectives de Dariga Nazarbaïeva et de Goulnara Karimova sont plus concrètes. Leur destin leur dicte la nécessité de se tenir à côté de leurs pères-présidents qui vieillissent, pour les aider à supporter leur fardeau. S'il s'agissait des fils, ils auraient pu hériter le pouvoir, au sens propre du mot, comme cela a eu lieu en Azerbaïdjan. Une femme-présidente en Asie centrale, ce n'est pas demain la veille. Cependant, les présidents de ces pays n'ont pas l'intention de céder le pouvoir même à leur successeur. Le président du Kazakhstan Noursoultan Nazarbaïev a entériné les amendements à la Constitution qui lui permettent de se présenter à ce poste sans restrictions. Le garant principal de la famille est le père : il semble que le président de l'Ouzbékistan Islam Karimov a également tiré cette conclusion. Apparemment, il a l'intention de se présenter à l'élection présidentielle de décembre prochain. Il est superflu de deviner qui sera vainqueur.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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