Moscou retombe sous le charme de Coco Chanel

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Par Anastassia Lopatko, RIA Novosti
Par Anastassia Lopatko, RIA Novosti

En prenant la décision d'organiser une exposition consacrée à Coco Chanel (née Gabrielle Chasnel, elle fut surnommée Coco car elle chanta Qui qu'a vu Coco), créatrice, modiste et styliste purement européenne, le Musée des Beaux-arts Pouchkine de Moscou a produit un petit scandale dans le cercle fermé des fins connaisseurs de grand art. Le Musée Pouchkine, qui s'est toujours distingué par une attitude conservatrice dans l'organisation de ses expositions, a cette fois dérogé à sa règle. Cependant, la direction du musée a immédiatement rejeté les accusations selon lesquelles elle aurait pris une décision irréfléchie en intitulant cette exposition "Chanel. Selon les lois de l'art". Ce faisant, Moscou insiste sur le fait que Coco Chanel a apporté une contribution inestimable à l'essor de la mode et du style européens, devenus un art à part entière.

Le vif intérêt suscité par l'exposition a obligé Irina Antonova, conservatrice du musée, à "limiter le nombre quotidien de visiteurs". Cet intérêt sincère de la part des Moscovites et des femmes du monde entier pour les créations de Coco Chanel s'explique aisément: au niveau de notre subconscient, nous voyons sans doute dans sa recherche de la féminité notre propre quête de féminité, surtout du point de vue des valeurs européennes. Nous nous imprégnons ainsi de ces valeurs, peut-être, parce que Coco Chanel était à tel point passionnée par la culture russe que nous percevons aujourd'hui ses idées artistiques comme étant les nôtres. Nous voyons surgir à travers ses créations nos propres racines européennes et notre contribution à la culture mondiale.

L'influence de la culture russe transparait dans les modèles de Chanel créés de son vivant: un manteau avec une doublure en zibeline fut à l'époque considéré comme une nouveauté car personne n'en avait jusqu'alors porté de tel en France: le col et la doublure, faits de la même fourrure, étaient en fait une création totalement révolutionnaire. Ses robes, copiant les chemises russes, avec des manchettes et des cols finement brodés, élégamment serrées à la taille par une ceinture, étaient également typiquement russes. Il est vrai, cette chemise était uniquement destinée aux femmes et il était d'usage de la porter avec une jupe droite, "à la parisienne".

Qui a pu inculquer à cette Parisienne issue d'un orphelinat une telle passion pour le style russe? Il lui a été "enseigné" par de prestigieux représentants de la culture russe. Après la révolution de 1917, elle hébergea dans sa villa le célèbre compositeur russe Igor Stravinsky accompagné de sa famille. Chanel a également étroitement coopéré avec Sergueï Diaghilev, éminente personnalité russe du monde de l'art et du théâtre. Elle ne se limitait pas à l'aider financièrement lorsqu'il en avait besoin, mais confectionnait également des costumes pour ses spectacles. Ainsi, la première représentation du ballet "Le Train bleu" en 1924 marqua un tournant dans la vie de Mademoiselle Coco: son art fut reconnu de tous, y compris par ceux qui auparavant l'avaient critiquée. Selon Jean-Louis Froman, historien français de la mode et organisateur de l'exposition, c'est grâce au grand prince Dmitri, l'amant de Coco Chanel, qu'elle fit la connaissance d'une pléiade de Russes talentueux ayant trouvé refuge en France. Son intérêt pour Dmitri et son entourage fut à l'origine de son engouement pour le costume russe, notamment pour la broderie et les doublures de fourrure des manteaux. Chanel trouva dans cette tradition vestimentaire ancestrale le confort et la liberté auxquels elle aspirait depuis toujours pour ses propres modèles.

Coco Chanel n'a jamais nié l'influence de l'art russe dans ses créations. Plus étonnant encore, le parfum "Chanel N°5", sa célèbre et inimitable création, possède également une origine russe: en effet, c'est au parfumeur Ernest Beaux, immigrant russe, qu'elle en confia la délicate conception. Coco Chanel estimait que la femme devait avoir une odeur de femme, et non pas celle d'une "simple" fleur, c'est pourquoi elle mélangea plus de 80 arômes différents auxquels Ernest Beaux ajouta un aldéhyde chimique. "Chanel N°5" fut la première fragrance tenace dans l'histoire des parfums pour femmes: son odeur à la fois mystérieuse et émouvante, forte et fragile, devint un véritable hymne à la féminité.

Dès l'entrée du Musée Pouchkine, on peut sentir l'effluve intemporel du parfum de la célèbre Mademoiselle. Vaporisé dans toutes les salles de l'exposition, il nous plonge immédiatement dans l'univers mythique de Coco...

Elevée dans un orphelinat puis dans un couvent catholique où l'individualité, la féminité et le charme étaient totalement bannis, Coco Chanel acquit par la suite une image tout à fait singulière qu'elle conféra à l'ensemble de ses modèles. Son rêve était d'enseigner à la femme l'art de vivre en harmonie avec elle-même. Sûre d'elle, parfois cynique et sarcastique, elle ne craignait jamais de s'opposer à l'opinion publique. Elle s'obstinait même à la former. Faisant partie du courant de la Bohème parisienne, elle ne voulut en aucun cas s'aligner sur elle mais au contraire s'en détacher de par l'originalité de ses modèles: elle devint ainsi un exemple à imiter. Elle créa l'image de la femme émancipée du XXe siècle, non pas l'image d'une femme à la mode, mais de celle qui possède un véritable style, en accord avec elle-même et sa propre personnalité.

L'exposition organisée sous forme de labyrinthe reflète les différentes étapes de la vie de Chanel. On y retrouve beaucoup de noir, comme la célèbre et incontournable petite robe et le petit sac en bandoulière de la même couleur qui furent le gage du succès et de la célébrité de Mademoiselle Coco. Nombreux sont ceux qui estiment que ses sombres chefs-d'oeuvre avaient pour prototypes les robes noires des élèves de l'orphelinat et les habits des bonnes soeurs qui avaient élevé la jeune Chanel. Quant au rouge qu'elle injectait savamment par touches dans ses collections, elle estimait que cette couleur de sang, abondante à l'intérieur de notre corps, devait être légèrement présente à l'extérieur.

Venise, ville préférée de Coco Chanel, fait également partie des thèmes de l'exposition. Les magnifiques coupoles vénitiennes, le jeu des couleurs des mosaïques, l'éclat de la dorure: tout cela encore une fois est reflété dans l'art de Chanel. Des jerseys fluides et, enfin, le tweed, le fameux, la célèbre découverte de Chanel qui devint par la suite la carte de visite de Jacqueline Kennedy, dont tant de femmes voulurent imiter le style. Le tweed symbolise alors l'époque britannique de la vie de Chanel, sa liaison avec le duc de Westminster et sa vie au milieu de ses domaines en Angleterre.

L'exposition émet une grande aura. Les salles, dont chacune représente un univers et une époque particulières de la vie de Coco, nous conduisent dans les méandres de la fabuleuse existence de Mademoiselle Chanel. Ses sentiments, ses émotions, ses joies et peines, ses victoires et ses échecs sont projetés à travers ses créations et semblent pénétrer notre âme comme s'il s'agissait de notre propre vie. Suivant pas à pas le destin sinueux et fabuleux de cette femme hors du commun à travers le labyrinthe de sa vie, il semble que nous voudrions lui ressembler un peu...

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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