Du pétrole au menu des baleines de Sakhaline

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Par Tatiana Sinitsyna, RIA Novosti
Par Tatiana Sinitsyna, RIA Novosti

Une espèce rare de baleines du Pacifique Ouest qui vit au large de Sakhaline est actuellement en danger, rappellent une nouvelle fois les écologistes, qui citent une nouvelle source d'inquiétude: la compagnie Exxon Neftegaz Ltd qui participe à la mise en oeuvre des projets pétroliers à Sakhaline pose une conduite à travers la lagune de Piltoun, principal "garde-manger" des baleines grises.

La moindre influence négative exercée sur ce secteur irremplaçable pour l'existence des baleines, à l'étape de la construction ou par d'éventuels déversements de pétrole à l'avenir, peut conduire à la réduction de la productivité biologique des eaux et à la disparition de ce réservoir de nourriture. Les représentants du Fonds mondial pour la nature (WWF) ont demandé au président de la compagnie Exxon Neftegaz de modifier l'itinéraire du pipeline. Mais la réponse se fait attendre: pour les opérateurs du projet, toute nouvelle démarche écologique entraîne des dépenses et, s'il faut sans cesse "choyer" les baleines, le pétrole finira par devenir plus cher que l'or. Quant aux baleines, il ne leur reste rien d'autre à faire qu'à se jeter sur la côte en signe de protestation.

L'Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN) estime que la population des baleines grises de Sakhaline est menacée d'extinction (il reste seulement 50 spécimens capables de se reproduire). Les écologistes exigent la création d'une zone protégée sur le lieu principal d'habitation de ces baleines: le long du golfe de Piltoun (100 km d'eaux côtières où vivent et se nourrissent les baleines grises). Mais ils peinent à atteindre cet objectif en raison de "l'argument pétrolier".

Ce problème plonge ses racines dans les années 90 du XXe siècle, lorsque les intérêts vitaux des baleines grises de cette partie du Pacifique sont entrés en contradiction avec les intérêts économiques des humains. Des gisements de pétrole et de gaz avaient été découverts sur le plateau continental situé près du littoral Nord-Est de Sakhaline. Les travaux y avaient débuté. Le problème "baleines-pétrole" n'aurait probablement pas été si grave, si l'existence d'un banc de baleines dans cette région avait été connue à l'avance. Dans ce cas, le projet aurait pu prévoir les nombreuses mesures à prendre. Cependant, personne ne soupçonnait l'existence de géants marins dans cette zone: on estimait que la population de baleines du Pacifique Ouest (entre la mer d'Okhotsk et la mer de Corée) avait disparu. Les pétroliers se sont alors attribué la paternité de la découverte d'une espèce rare de baleine inscrite dans le Livre Rouge. Mais ils ne se doutaient pas de tous les tracas que leur causerait cet événement scientifique.

Les compagnies pétrolières sont contraintes de faire les frais, au sens propre du terme, du voisinage des baleines. La compagnie Sakhalin Energy a déjà investi plus de 5 millions de dollars dans un programme écologique, afin d'étudier le comportement des baleines et d'essayer de comprendre l'influence de l'infrastructure pétrolière sur ces mammifères. Il ne fait aucun doute que les opérateurs du projet devront faire des dépenses pour mettre en place un "programme Baleine". En effet, ils ne peuvent se permettre de quitter les gisements, dont les réserves atteignent, au total, 600 millions de tonnes de pétrole (ceux de Piltoun-Astokhskoïe et de Lounskoïe).

Quant aux baleines, elles ne sont pas comme les harengs qui se déplacent facilement d'une partie de l'océan à une autre, elles n'ont pas non plus l'intention de renoncer à leurs pâturages ancestraux. Par conséquent, les gens et les baleines n'ont rien d'autre à faire qu'à rechercher un moyen de coexister.

Les organisations écologiques et les chercheurs, "avocats" des baleines grises, avancent la thèse selon laquelle la réalisation du projet pétrolier se répercute négativement sur les mammifères marins. A cause de la présence d'être humains, du bruit des hélicoptères et des puissantes machines, les baleines s'amaigrissent, perdent leurs capacités vitales, ainsi que les chances de perpétuer leur espèce. Il y a trois ans, allant au-devant des écologistes, les pétroliers avaient consenti à modifier le tracé de la conduite immergée par laquelle seront exportés le pétrole et le gaz. Mais cela ne change pas fondamentalement la situation: les baleines continuent à éprouver les méfaits des bruits industriels. Le pétrole qui pénètre dans les eaux (même en quantités insignifiantes) intoxique le biote et les invertébrés des alluvions dont se nourrissent les baleines.

Les baleines grises de cette partie du Pacifique sont devenues si peu nombreuses que les chercheurs les localisent immédiatement. Après la fonte des glaces, les baleines arrivent dans la lagune de Piltoun, leur "datcha" d'été, pour se nourrir et élever leur progéniture. En septembre, lorsque le froid s'installe, les baleines se dirigent vers le Sud. La nourriture qu'elles trouvent dans la région de Sakhaline leur garantit de passer confortablement l'hiver.

Rares sont ceux qui savent que l'Homme est déjà responsable de la mort de plusieurs centaines de millions de baleines, de nombreuses espèces ont déjà disparu en subissant les effets néfastes de la technologie. L'été 2004 était considéré comme le dernier pour les baleines de Sakhaline. Mais leur réserve de solidité permet encore à ces mammifères marins datant de l'antiquité de surmonter les difficultés qu'elles endurent. La question est de savoir si elles pourront coexister à la fois avec les humains et le pétrole.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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