Moscou-Tbilissi: le temps passe, l'espoir demeure

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Interview de Viatcheslav Kovalenko, ambassadeur russe en Géorgie, RIA Novosti
Interview de Viatcheslav Kovalenko, ambassadeur russe en Géorgie, RIA Novosti

L'ambassadeur de Russie en Géorgie Viatcheslav Kovalenko a évoqué, dans une interview accordée à RIA Novosti, les perspectives de développement des rapports russo-géorgiens et les conséquences éventuelles de l'adhésion de la Géorgie à l'OTAN.

Q. Comment évaluez-vous l'état actuel des rapports russo-géorgiens? Quelles sont, à votre avis, les perspectives de développement pour la période à venir?

R. A mon avis, l'état actuel des rapports entre nos Etats voisins ne peut satisfaire personne de sensé. Des pays voisins doivent entretenir des liens amicaux, ils doivent tenir à cette amitié et trouver les moyens de la renforcer, d'en profiter au maximum en vue de régler leurs propres problèmes nationaux et d'assurer la stabilité régionale. Certes, il est important d'avoir des amis partout, mais il ne faut pas oublier "qu'un ami proche vaut mieux que deux amis lointains". Malheureusement aujourd'hui, on ne peut pas dire la même chose de nos deux pays. Directement impliqué dans le contexte des rapports bilatéraux durant cette dernière année, je tiens à souligner que je n'ai ressenti du côté géorgien aucune intention de contribuer à leur amélioration. La Géorgie a probablement ses raisons. Je trouve déplacé d'en parler ici. Tout de même, je n'estime pas qu'une situation de pat se soit créée dans nos rapports. Il est encore possible de changer le cours des événements, à condition que la Géorgie manifeste une volonté politique en ce sens. En tous les cas, la Russie est prête à s'engager dans cette voie. Les liaisons aériennes et maritimes ont repris. Il existe un potentiel pour un grand nombre d'autres bons projets dans le domaine de l'enseignement et du développement des contacts culturels. Il est temps de revenir aux engagements qu'avait pris la Géorgie à un moment donné de n'accueillir aucune base militaire étrangère sur son territoire, ainsi qu'à la question de la création d'un centre antiterroriste conjointement avec la Russie. Ces questions restent, pour l'instant, en réserve et attendent leur heure. A propos, ne pas tenir ses promesses est de mauvais goût dans n'importe quel type de relations. Il faut faire en sorte que cela change au plus vite.

Suivant la logique des actions réciproques destinées à améliorer les rapports, c'est à présent à la Géorgie d'agir. J'espère qu'il en sera ainsi. Il est important de conserver obligatoirement la dynamique constructive qui s'est profilée.

Je ne peux pas manquer de parler de ce qui m'inspire un certain optimisme. Je ressens vivement la bienveillance éprouvée par les Géorgiens à l'égard des Russes. Les Géorgiens ont la nostalgie des contacts avec la Russie, de la culture russe, et l'intérêt pour la langue russe renaît. C'est bien. Les gens me parlent avec émotion de cette aspiration spirituelle, en soulignant l'existence de notre communauté orthodoxe. La sincérité de ces sentiments est rassurante, elle inspire l'espoir que des temps meilleurs sont à venir.

Q. Des accusations sont lancées ces derniers temps à l'adresse de la Russie. On dit que la Russie, en tant que médiateur dans le règlement des conflits abkhazo-géorgien et osséto-géorgien, de même que ses forces de paix, ne s'acquitte pas de ses obligations. On propose ainsi de changer les formats des négociations et ceux des forces de paix.

R. Je ne juge pas nécessaire de rechercher le coupable de la division territoriale de la Géorgie. Chaque partie engagée dans un conflit détient sa propre vérité. C'est pourquoi il serait plus juste de laisser ce sujet à la discrétion des historiens. Au lieu de chercher des coupables, il faut essayer de trouver les moyens de remédier à ce problème.

En réalité, les conflits durent depuis plus de quinze ans, ils possèdent déjà leur propre dynamique qui agit à l'instar de la force centrifuge et il est évident que le temps des menaces est révolu. Il est indispensable d'arriver à persuader les deux parties de reprendre des négociations constructives. On dit que tous les formats actuels des négociations ont été épuisés. Il m'est impossible de partager cet avis, car l'une des parties opposées se prononce contre cette approche. Insister sur un changement de format signifie repousser les négociations dans une impasse, sans espoir de les en faire sortir. Il faut introduire dans les formats actuels des négociations une série de mesures prometteuses. Celles-ci ne doivent pas envenimer la situation, mais au contraire contribuer à l'accroissement de la confiance et à la recherche d'un compromis. La militarisation doit céder la place au développement économique et au rétablissement des contacts économiques et humanitaires interrompus. La création de structures administratives parallèles à laquelle nous assistons malheureusement en ce moment doit céder la place à l'établissement de passerelles appelées à contribuer au rétablissement de la confiance. Les approches politiques doivent s'orienter non pas vers la création de réalités artificielles qui ne font qu'attiser la tension, non pas vers le sabotage des formats de négociation universellement reconnus, mais vers leur utilisation optimale dans l'intérêt du règlement du conflit.

Certes, tout cela implique de la patience et une volonté politique. Il n'existe aucune solution rapide pour résoudre ces problèmes. Mais ce n'est pas une raison pour éliminer toute perspective de résolution.

Q. La Géorgie a réagi nerveusement à la décision de la Russie de se retirer du régime des sanctions de la CEI (Communauté des Etats indépendants) contre l'Abkhazie. Que pouvez-vous dire à ce propos?

R. La Russie est intéressée par un règlement pacifique du problème abkhaze. Elle n'est pas indifférente à la future situation dans cette région limitrophe, car des citoyens russes y résident. Quoi qu'on en dise, ce sont la Russie et ses forces de paix qui maintiennent le calme depuis de nombreuses années dans cette zone de conflit. On dit que cela ne serait plus nécessaire? A tort. On peine à imaginer ce qui serait arrivé sans la présence du contingent de paix. Il serait bon d'y réfléchir. Conscient de la gravité du problème, j'estime que les soldats de la paix doivent rester dans la zone du conflit jusqu'à son règlement total.

Cependant, la Russie, en tant que médiateur, ne peut pas se permettre de rester les bras croisés et d'attendre un règlement. Elle ne peut se comporter de cette façon non seulement en raison de sa responsabilité en matière de médiation, mais aussi parce qu'elle doit assurer la sécurité du territoire russe. C'est l'impasse dans laquelle s'est retrouvé le processus de règlement du conflit qui a impliqué des mesures efficaces, ce qui explique la décision de se retirer du régime des sanctions contre l'Abkhazie et d'essayer de relancer ainsi les négociations. Je suis étonné de constater que l'on n'ait pas remarqué l'aspect constructif de cette décision et que l'accent ait été mis sur on ne sait quelle composante militaire. Je tiens à déclarer clairement à ce sujet que la Russie s'en tient fermement à ses engagements internationaux qui prévoient l'interdiction de livrer des armements et du matériel de guerre dans les zones de conflits. Il ne faut pas mélanger les choses. A mon avis, la composante économique doit se manifester activement dans le règlement des conflits. Cependant, il ne convient pas de substituer les notions et de faire dépendre les projets économiques des conditions politiques, ce qui serait nuisible. La situation actuelle est marquée par des émotions. Elles s'apaiseront avec le temps grâce à des mesures assurées pour rétablir la confiance. Je me représente un avenir meilleur pour la région grâce à la création d'un espace économique commun, autrement dit, d'un marché commun avec la participation de la Russie, de la Géorgie et de l'Abkhazie. A mon avis, ce marché pourrait représenter un modèle possible de règlement politique.

Q. On affirme souvent que l'adhésion de la Géorgie à l'OTAN lui permettra de régler les conflits territoriaux. Qu'en pensez-vous?

R. Je tiens à signaler que je ne comprends pas l'aspiration de la Géorgie à adhérer à l'Alliance de l'Atlantique Nord. Je demande souvent à mes interlocuteurs: qu'apportera à la Géorgie son adhésion à l'OTAN? On me répond: "La possibilité de renforcer sa sécurité, de rétablir son intégrité territoriale et de poursuivre les transformations démocratiques". Ce n'est pas à moi d'en juger, mais j'estime que tout cela n'est pas aussi évident. D'ailleurs, à mon avis, les déclarations selon lesquelles l'OTAN aidera la Géorgie à récupérer l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud sont assez naïves. A propos, au sein de l'Alliance, personne ne parle de telles garanties. Il serait opportun d'accorder aussi la plus grande attention aux déclarations de Soukhoumi (capitale de l'Abkhazie) et de Tskhinvali (capitale de l'Ossétie du Sud) sur leur attitude très négative envers l'intégration de la Géorgie à l'OTAN.

Bien entendu, il appartient à la Géorgie de choisir les blocs et organisations auxquels elle souhaite adhérer. La Géorgie est un Etat indépendant, mais la décision devrait être mûrement réfléchie du point de vue des conséquences possibles d'une telle action. En effet, cette question doit être abordée non seulement du point de vue géopolitique, mais aussi au niveau de l'héritage historique important du pays, qu'il ne faut pas négliger. Il faut bien comprendre que l'adhésion de la Géorgie à l'OTAN se répercutera négativement sur l'ensemble des rapports bilatéraux avec la Russie. J'espère que les événements prendront une autre tournure, plus naturelle pour nos rapports.

Propos recueillis par Bessik Pipia.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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