Medvedev, Nicolas II et le droit international

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Par John Laughland, pour RIA Novosti
Par John Laughland, pour RIA Novosti

Dans son discours sur la politique étrangère prononcé le 15 juillet à Moscou devant les représentants du corps diplomatique, Dmitri Medvedev a déclaré que la falsification de l'Histoire était souvent un prélude à la violation des normes du droit international, dont le président a indirectement accusé l'Occident. L'étude de l'histoire des lois entre les Etats peut aider à montrer à quel point elles sont altérées ces derniers temps. Il se trouve que la Russie joue justement un rôle fondamental dans cette histoire.

Le discours de Medvedev, en particulier son appel à conclure un traité européen de sécurité, rappelle les initiatives prises par le dernier empereur russe Nicolas II, dont l'exécution il y a tout juste 90 ans devait d'ailleurs être commémorée le lendemain. Le renversement violent du tsar Nicolas II effaça le souvenir historique de ses mérites, dont le plus important fut la décision prise il y a 110 ans, en 1898, d'inviter les grandes puissances à une conférence internationale sur la paix. Cette conférence se tint en 1899 dans la capitale (administrative, ndlr.) des Pays-Bas. Des décisions très importantes sur la façon de rendre les guerres plus "civilisées" furent prises au cours de cette première conférence de paix de La Haye.

Elle posa les fondements d'une deuxième conférence qui eut lieu au même endroit en 1907, et dont le contenu fut plus profond. Par conséquent, le tsar Nicolas II peut être considéré comme le fondateur, ou du moins, le protecteur des lois internationales sur la guerre. De nombreuses règles qu'il a lui-même préconisées sont encore en vigueur de nos jours, bien que, malheureusement, certaines d'entre elles, en particulier la condamnation des bombardements aériens qui a fait l'objet d'une entente bien avant l'invention de l'avion, soient tombées aux oubliettes. La fondation d'un tribunal international d'arbitrage, prédécesseur direct de la Cour internationale de Justice de l'ONU qui oeuvre jusqu'à ce jour à La Haye est sans doute le résultat le plus important et le plus durable de cette première conférence.

Néanmoins, le règne de Nicolas II s'acheva lorsque les forces de la guerre moderne libérèrent une immense vague révolutionnaire qui provoqua le renversement de trois empereurs. Les lois sur la guerre élaborées à La Haye se sont elles-aussi retrouvées, pour la plupart, dans l'ombre (bien qu'elles restent en vigueur) des lois de la Convention de Genève adoptées en 1949, après les effroyables souffrances infligées à la population civile au cours de la Seconde Guerre mondiale. Ces lois déterminent les règles de comportement à adopter envers les personnes qui ne prennent pas directement part aux hostilités, ainsi qu'envers les malades et les blessés. Autrement dit, l'attention accordée aux victimes était désormais plus grande que celle accordée aux combattants.

Cependant, l'adoption de la Convention de Genève n'a pu modifier la structure de base du système international. Les Etats étaient toujours considérés comme des entités juridiquement égales et souveraines. Mais, après la fin de la guerre froide, les puissances occidentales, en premier lieu les Etats-Unis, essayèrent de détruire la base conceptuelle de cette structure. On a inventé la doctrine des "Etats voyous", alors que la conception des droits universels de l'homme a été altérée en vue de justifier les agressions contre l'Irak et la Yougoslavie, dont les régimes ont été présentés comme illégaux car criminels. Bien plus, les puissances occidentales se sont arrogé le droit de prononcer des verdicts judiciaires dans le cadre du droit international, en usurpant le pouvoir du Conseil de sécurité de l'ONU et de sa Cour internationale de Justice.

C'est pourquoi, lorsque Dmitri Medvedev se réfère au droit international, il défend ce principe fondamental de la souveraineté des Etats en tant que base de tout le système international, ainsi que le droit des organes existants, créés légalement, d'examiner les affaires et d'adopter des décisions conformément aux normes du droit international. Certes, il y a des Etats qui abusent de leur souveraineté, et la tyrannie est assurément un fléau. Mais en supposant qu'un Etat ou un groupe d'Etats ait le droit légitime de jouer le rôle de juge en examinant les affaires intérieures d'autres pays et d'imposer sa décision en recourant à la violence, cela mènerait directement au chaos et à une guerre sans fin: il s'agit là d'une sorte de vigilantisme à l'échelle internationale.

Bien plus, le démantèlement de l'idée de souveraineté conduira à la destruction des lois sur la guerre. Le concept de souveraineté des Etats constitue une base pour ces lois, car les droits accordés aux miliaires et aux prisonniers de guerre se fondent sur la reconnaissance du fait que ces gens luttent légitimement pour leurs pays. Et vice versa, les abus commis sur la base de Guantanamo, ainsi que les attaques, maintenant largement répandues, contre des ouvrages civils en Yougoslavie sont les conséquences logiques et inévitables des guerres menées contre des ennemis qualifiés, en fait, de criminels et, par conséquent, n'ayant pas le droit à la souveraineté.

De nombreuses déclarations faites par l'Occident en faveur de son interventionnisme, y compris celles qui justifient la reconnaissance du Kosovo, contre laquelle le président Dmitri Medvedev se prononce toujours, ont été contestées par les récentes décisions de la Cour internationale de Justice de l'ONU. Cette cour a maintes fois confirmé la réalité juridique de la souveraineté des Etats et l'illégalité de l'ingérence juridique et militaire dans les affaires intérieures d'autres Etats. C'est pourquoi la Russie doit soutenir activement cette cour qui est le véritable défenseur du droit international. C'est également le seul tribunal vraiment international, car, à la différence du nouvel organe qui a reçu l'appellation trompeuse de Tribunal pénal international, et dont les plus grands pays de ce monde ont refusé de signer les statuts, la juridiction et les pouvoirs de la Cour internationale de Justice de l'ONU sont reconnus par tous les pays.

John Laughland, politologue britannique, est vice-directeur de l'Institut de la démocratie et de la coopération à Paris. Son ouvrage "Histoire des procès politiques, de Charles Ier à Saddam Hussein" a été publié en juillet 2008.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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