Saakachvili, phénomène de propagande

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Par Andreï Fediachine, RIA Novosti
Par Andreï Fediachine, RIA Novosti

Depuis le 8 août, les chaînes de télévision mondiales, surtout anglo-saxonnes, montrent la principale personnalité du moment: Mikhaïl Saakachvili, qui fait montre de son anglais impeccable, de son style artistique et de son art de manipuler les faits. Dimanche dernier, j'ai écouté ses interviews données à CNN et à la BBC, ainsi que les discussions au Conseil de sécurité de l'ONU sur l'Ossétie du Sud. Tout cela est consternant. Plus précisément, nous sommes nous-mêmes consternants. Dans le contexte des mensonges répandus par Mikhaïl Saakachvili (il faut commencer enfin à appeler les choses par leurs noms), notre impulsivité éternelle ne peut que laisser perplexe, d'autant qu'elle nous avait déjà joué plus d'une fois de mauvais tours dans des circonstances analogues. Mais, comme pour nous faire enrager nous-mêmes, nous continuons avec obstination à emprunter des voies où traînent les mêmes râteaux.

Aux premiers jours de la guerre sud-ossète, nous n'avons pas trouvé le temps de faire ce qui apparaît comme les choses les plus élémentaires du manuel de base en matière de formation de l'opinion, à savoir fournir une simple chronologie du lancement et du développement des opérations militaires. Au lieu de cela, les militaires ont fait depuis la zone du conflit des déclarations incompréhensibles (d'ailleurs, ce n'est pas leur faute, car ce n'est pas leur métier) qui n'ont pas permis de bien se représenter ce qui s'y produisait en réalité. Quant aux auditeurs et spectateurs occidentaux, ils ne s'y sont pas retrouvés.

Le fait que nous perdrions la guerre médiatique autour de l'Ossétie du Sud, face à Mikhaïl Saakachvili et, naturellement, aux Etats-Unis, était clair à priori. Nous n'avions encore jamais gagné aucune guerre médiatique. D'ailleurs, nous ne pouvions par définition gagner une guerre médiatique pour les sympathies de l'Europe sur un fait aussi difficile à comprendre en Occident que l'introduction de troupes d'une puissance nucléaire sur le territoire d'un petit Etat voisin. Il ne faut certainement pas céder à la panique. Quoi qu'on dise, les sympathies de l'Europe vont non pas à Saakachvili, mais aux Géorgiens qui souffrent autant du conflit caucasien que les Ossètes. C'est une habituelle pratique tout à fait humaine que de soutenir le faible contre le fort. Le fait que, dans l'ensemble du monde occidental, seuls les Etats-Unis identifient avec attendrissement Mikhaïl Saakachvili, la Géorgie et la démocratie est toutefois quelque peu rassurant.

La similitude des "registres" de Saakachvili, du Département d'Etat et des grands journaux américains est surprenante par leur intensité émotionnelle, et même par leur hystérie et l'absence presque totale de vérification des faits. Dans tous les manuels de manipulation de l'opinion publique, la substitution des faits par des émotions, des sermons et une indignation artificielle sont citées comme les méthodes les plus efficaces. Le fait que toutes les thèses brandies par Saakachvili et les ministres de son régime, ainsi que par son représentant à l'ONU aient été préparées à l'avance n'est pas étonnant. C'est la pratique habituelle. Mais elles ont été accordées non seulement au niveau du sens, mais aussi en ce qui concerne leur durée "d'injection" dans les médias. On décèle ici une méthode bien précise et une approche structurelle. Dans la matière qu'on a appelée ces dernières années la "physique sociale" et qui étudie les lois de l'existence et du développement de la société et de l'opinion publique, y compris les méthodes pour influer sur elles, les "gérer", on trouve la notion de "dynamique du seuil". En deux mots: deux postulats opposés ont un droit de cité presque égal, mais en faisant un certain effort (introduction opportune d'une information, désinformation, actions, réactions, etc.), on peut provoquer une asymétrie et "aider" à surmonter le seuil, en pénétrant dans la conscience de récepteurs déjà prêts à accepter n'importe quel point de vue. Cela ne laisse plus de place à un avis contraire. Mikhaïl Saakachvili semble avoir réussi en cela.

Il nous a devancés, c'est pourquoi l'examen de la guerre ossète au Conseil de sécurité laisse une étrange impression d'écart total par rapport à l'essence du sujet, en tout cas, de la part du représentant permanent des Etats-Unis. On a l'impression que l'Ossétie du Sud est pour tous, sauf pour la Russie, une sorte de réserve peuplée de tribus sauvages, antidémocratiques qui ne valent même pas la peine d'être mentionnées. Il ne s'agit que de sauver la "révolution des roses" et la démocratie géorgienne, jeune et fragile.

A entendre Mikhaïl Saakachvili, tout le monde aurait dû se persuader depuis longtemps que ce n'est pas la Géorgie qui a écrasé la petite Ossétie avec ses lance-roquettes multiples Grad, mais que c'est la Russie qui a attaqué la Géorgie par surprise, perfidement, avant le début des Jeux olympiques. Voici les extraits de sa récente interview à CNN. "Les Russes affirment que plus de 2.000 civils ont été tués en Ossétie du Sud. Que pouvez-vous dire à ce sujet?"

Saakachvili (avec sarcasme): "Tskhinvali est une minuscule bourgade. Bien avant ce qui s'y est produit, les Russes en ont évacué la majeure partie de la population. Il ne pouvait même pas y rester autant d'habitants". "Mais on vous accuse d'avoir pilonné la ville et d'avoir fait des victimes parmi la population". "Nous n'avons pas pilonné la ville. Nous avons été contraints de commencer à tirer en apprenant que les chars russes étaient entrés en Ossétie du Sud, par le nord. Avant cela, j'avais décrété un moratoire sur les tirs. Nous n'avions et nous n'avons pas l'intention de faire la guerre à qui ce soit. Mais, lorsque les Russes ont fait irruption dans notre petit pays épris de liberté, nous avons été contraints de nous défendre. Nous avons déjà abattu 20 avions russes. A présent, ils ont imposé un blocus maritime à la Géorgie et arrêtent les navires transportant des cargaisons humanitaires. Un navire avec à son bord des céréales destinées à la population sinistrée vient d'être arrêté. Une agression cruelle et barbare a été lancée contre notre petit pays". Celui qui a déclenché cette guerre n'est même pas mentionné. La "dynamique du seuil" a apporté ses fruits.

J'ai toujours estimé que n'importe quel gouvernement de n'importe quel Etat était toujours loin d'être innocent. Chacun a un squelette dans son placard, peut-être même plusieurs. Nous avons battu de tristes records en ce sens. Mais ce que fait aujourd'hui Mikhaïl Saakachvili dépasse toutes les bornes. Il ne s'agit même plus de l'amoralité politique qui distingue obligatoirement, dans telle ou telle mesure, n'importe quel gouvernement du monde. Mais, au milieu de tout cela, des voix raisonnables retentissent tout de même. "Le président géorgien Mikhaïl Saakachvili ne se préoccupe pas le moins du monde du sort de ces gens (Ossètes), ce qui le préoccupe le plus, c'est qu'ils résident sur le territoire géorgien. Sinon, il n'aurait pas lancé, dans la nuit du 7 au 8 août, des tirs d'artillerie massifs sur la minuscule ville de Tskhinvali, qui n'a jamais compté de cibles militaires, et dont les habitants, comme le disent les Géorgiens eux-mêmes, il ne faut pas l'oublier, sont citoyens de la Géorgie. Il s'agit d'une violation flagrante du droit humanitaire international... Mikhaïl Saakachvili est connu pour ses flottements entre humeurs belliqueuses et pacifiques, entre démocratie et autocratie. Il a déjà été maintes fois retenu, et littéralement retiré du bord du précipice. Cette foi, il a franchi la limite". C'est l'avis de Thomas de Waal, de l'Institut de journalisme de guerre et de paix de Londres.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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