Diplomatie: Sarkozy franchit le Caucase

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Par Sergueï Markedonov, pour RIA Novosti
Par Sergueï Markedonov, pour RIA Novosti

Dans son discours prononcé le 21 octobre devant les députés du Parlement européen, le président français Nicolas Sarkozy a de nouveau mis l'accent sur les problèmes de la sécurité du Grand Caucase. Il a invité ses collègues de l'UE à ne pas entrer en confrontation avec la Russie, jugeant irresponsable de provoquer un affrontement dont personne n'a besoin. Il a souligné en outre que le président russe avait tenu ses promesses concernant le retrait de ses soldats du territoire de la Géorgie. Dans le discours de Nicolas Sarkozy, la responsabilité des événements d'août a été partagée entre Moscou et Tbilissi. D'une part, le président français a répété la thèse de l'emploi disproportionné de la force par la Russie, de l'autre, il a tiré une conclusion non moins importante, selon laquelle les actions de la Russie ont été une réaction à une "action inappropriée". Naturellement, de la part de la Géorgie.

Par conséquent, Nicolas Sarkozy a à nouveau confirmé une règle bien connue, à savoir que les niches diplomatiques ne sont accordées à personne gratuitement. Il faut savoir les occuper. Non seulement les conquérir, mais aussi persuader ses partenaires qu'il n'y a pas d'autre alternative. Depuis le mois d'août, la France prétend ouvertement au rôle de "courtier honnête" dans le Caucase du Sud, rôle qui était brigué jusque-là, en Europe, surtout par l'Allemagne (on peut se souvenir de l'activité diplomatique de Dieter Boden à la fin des années 90 et du plan de Frank-Walter Steinmeier en 2008).

La France assume actuellement la présidence de l'Union européenne, mais Paris ne veut pas se contenter de jouer ce rôle de manière formelle. La France (et son président) prétend jouer un rôle de leader en Europe, d'interprète de ses intérêts dans le Caucase et d'arbitre dans l'espace postsoviétique. Le temps dira si cette ambition diplomatique est réaliste. Pour l'instant, on peut en tout cas entériner un résultat intermédiaire.

Aussi bien la Russie que la Géorgie sont aujourd'hui intéressées par une présence française active. Naturellement, chaque partie a ses propres intérêts. Pour Moscou, la médiation française est une possibilité de légitimer les changements entraînés par la "guerre des cinq jours". Bien entendu, les déclarations de Nicolas Sarkozy (de même que celles de son chef de la diplomatie Bernard Kouchner), comptent beaucoup de critiques à l'encontre des dirigeants de la Russie. Mais, d'autre part, Nicolas Sarkozy lui-même a été l'un des premiers leaders européens à mettre implicitement en doute l'intégrité territoriale de la Géorgie. Il a cessé de la considérer comme la "vache sacrée" de la nouvelle démocratie postsoviétique.

Qu'est-ce que l'examen international du statut de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud, sinon un prétexte juridique et politique formel permettant de douter du fait que l'Etat géorgien ne peut exister que dans les frontières de la RSS de Géorgie?

Paris n'idéalise pas la Géorgie, il comprend son rôle dans l'escalade du conflit dans le Caucase du Sud. Le ministère russe des Affaires étrangères apprécie particulièrement le fait que Nicolas Sarkozy soit prêt à prendre des responsabilités en donnant des garanties déterminées que Tbilissi ne réitérera pas ses tentatives de prendre une revanche après sa défaite essuyée en Abkhazie et en Ossétie du Sud. En quatre ans de "dégel des conflits" (il a débuté en mai 2004), Moscou n'a pu obtenir une telle compréhension de la part des Américains (considérés par le Kremlin, conformément aux traditions de la diplomatie soviétique, comme les principaux acteurs en n'importe quel endroit de la planète).

L'activité de Nicolas Sarkozy pour parvenir à la paix est également importante pour Tbilissi. Cela permet aux dirigeants géorgiens de faire coup double. Premièrement, ils peuvent balayer les accusations selon lesquelles ils appliqueraient une politique étrangère unilatéralement pro-américaine. Mikhaïl Saakachvili est malmené sur ce point par ses opposants politiques, qui estiment qu'il n'apprécie pas à sa juste valeur le vecteur européen. Deuxièmement, il y a un espoir de réussir à internationaliser le règlement du conflit grâce à l'intensification de l'activité de l'UE.

Bref, Paris est un partenaire avantageux aussi bien pour Tbilissi que pour Moscou. La mission de Nicolas Sarkozy fait également les affaires de Bruxelles, dont la bureaucratie pourra mettre ces résultats à son actif (à défaut de percées dans d'autres domaines).

Mais l'essentiel reste que les approches adoptées par la France (qui vise un leadership réel, et non formel, en Europe) sont plus pragmatiques que le projet américain de démocratisation de l'Eurasie et du Grand Proche-Orient, élaboré dans une optique très idéologique. La mission française laisse une place aux procédures diplomatiques normales (discussions, marchandages), elle n'a aucun besoin de propagande dans l'esprit du "démocratisme scientifique".

"L'Europe doit être juste et ne pas hésiter à sortir du cadre de schémas idéologiques pour porter un message de paix", a déclaré le président français dans son discours prononcé au Parlement européen. N'ayons pas peur de le dire, c'est là un pas très important.

Sergueï Markedonov est chef du service des problèmes des rapports interethniques de l'Institut d'analyse politique et militaire.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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