Le centre de gravité du Caucase serait-il en Turquie ?

S'abonner
Depuis la mi-mai, une activité diplomatique débordante est observée de la part de la Turquie. D’abord, le président et le premier ministre turcs Abdullah Gül et Tayyip Erdogan ont accueilli, le 12 mai, le président russe Dmitri Medvedev.

Depuis la mi-mai, une activité diplomatique débordante est observée de la part de la Turquie.

D’abord, le président et le premier ministre turcs Abdullah Gül et Tayyip Erdogan ont accueilli, le 12 mai, le président russe Dmitri Medvedev. Ensuite, le 14 mai, Erdogan a effectué une visite historique en Grèce et, le 16 mai, il a effectué une visite surprise à Téhéran où a été conclu un « contrat nucléaire » irano-turco-brésilien ; de là il s’est rendu, le 17 mai, en visite en Azerbaïdjan d’où il partira pour la Géorgie. Le plus intéressant est que ce sont les mêmes sujets qui ont été abordés lors des négociations avec tous les interlocuteurs: le nucléaire iranien, le Haut-Karabakh, le conflit caucasien (tous trois examinés avec Dmitri Medvedev), les tubes d’hydrocarbures passant sous la mer Noire, l’approvisionnement de l’Europe en énergie, etc.

Les Turcs font presque littéralement la "navette" sur le périmètre de l’Anatolie en matérialisant autour de la Turquie les principes de la conception qualifiée par les experts d’Ankara de « pluralisme géopolitique et énergétique ». L’objectif final pourrait être aussi de parvenir à une « superpuissance régionale », mais, hélas, cette notion paradoxale n’existe pas encore. Cependant, qui sait, il se pourrait qu’elle apparaisse bientôt à la suite des efforts déployés par Ankara, puisqu’il s’agit du renforcement de son rôle particulier dans la région où se rejoignent l’Europe et l’Asie, le monde musulman et le monde chrétien, où le Caucase confine à la Russie et où se forme un centre de transbordement énergétique le plus important du monde (celui du pétrole et du gaz). C’est la région où se heurtent les intérêts de Moscou et de l’Occident et où se trouve la porte du Proche-Orient. Par conséquent, comme on le voit, tout cela dépasse les limites de la région en tant que telle.

D’une manière générale, la Turquie agit depuis la semaine dernière de façon ostensible. Certes, à « usage européen ». Il s’agit avant tout de l’UE. Puisque l’admission à l’Union européenne a été refusée à Ankara (en tout cas, d’ici 2020, elle ne sera même pas membre associé), la Turquie montre éloquemment ce que Bruxelles perd en repoussant sa voisine euro-asiatique. Et vers quoi, plus précisément, vers qui l’UE la pousse.

La Russie joue apparemment un rôle particulier dans l’acquisition par la Turquie de son nouveau statut d’importance régionale particulière. En ce sens, la Turquie doit manœuvrer très délicatement en combinant sa coopération avec Moscou en politique avec une "légère" concurrence dans l’économie et l’énergie. En fait, le « pluralisme géopolitique » aurait dû sous-entendre, de la part de la Turquie, les efforts visant à consolider le statu quo dans l’Eurasie postsoviétique qui s’était détachée en général, et dans le Caucase du Sud en particulier. Logiquement, pour y parvenir, il aurait fallu éloigner Bakou et Tbilissi le plus loin possible de l’ancienne "métropole", c’est-à-dire de la Russie. Or, pour cela, il aurait fallu, en premier lieu, isoler la Russie économiquement, lui fermer les voies d’acheminement du gaz et du pétrole en Europe. Mais la Turquie ne le fait pas.

Les Turcs combinent habilement leur « penchant pour la Russie » avec une « révérence à l’Europe ». Ils acceptent le transit par leur territoire aussi bien du gaz et du pétrole russes qu’azerbaïdjanais (turkmènes et iraniens) contournant la Russie. Ce faisant, ils se rendent parfaitement bien compte du fait que le volume du gaz russe sera incommensurablement plus grand que celui du gaz azerbaïdjanais, mais ils veulent montrer à l’Europe qu’il existe une "alternative" énergétique. Erdogan doit signer à Bakou un nouvel accord sur les livraisons de gaz azerbaïdjanais du gisement de Shah Deniz-2. Bakou vend actuellement à la Turquie 6 milliards de m3 de gaz du champ gazier de Shah Deniz-1 qui fournit 9 à 10 milliards de m3 de gaz par an. Les Turcs voudraient obtenir encore 6 à 7 milliards de m3 de gaz de Shah Deniz-2. D’ici à 2014-2017, ce gisement devrait fournir environ 16 milliards de m3 de gaz par an. Une partie de ce gaz pourra alimenter le gazoduc Nabucco qui doit acheminer du gaz vers l’Europe via la Turquie, en contournant la Russie. Ankara est prêt à accueillir Nabucco en comprenant parfaitement que le rôle de « dispatcheur gazier » pour les matières premières en provenance de Russie, d’Azerbaïdjan, du Turkménistan et d’Iran ajoutera du « poids régional » à la Turquie.

Pour cela, Ankara propose d’éliminer les risques politiques des conflits caucasiens "dégelés". Erdogan a apporté à Bakou et Tbilissi la proposition turque de conclure le Pacte caucasien de stabilité et de coopération que les Turcs avaient préparé l’année dernière et qu’ils vantent beaucoup comme un supplément aux contrats pétrogaziers. La Turquie estime à juste raison que, si les parties caucasiennes complètent leurs actions concertées dans le domaine énergétique par des mesures elles aussi concertées en matière de sécurité régionale, cela conduira la région vers une configuration régionale commune de sécurité.

« Le Caucase est la clef du transport sûr de ressources et d’énergie de l’Est vers l’Ouest, a déclaré le président turc Abdullah Gül en formulant l’idée maîtresse du pacte. Ce transport passe par la Turquie. C’est pourquoi nous tentons activement d’instaurer une atmosphère de dialogue et de climat propice. L’instabilité dans le Caucase sera une sorte de mur entre l’Est et l’Ouest, alors que la stabilité en fera une porte ouverte ».

Ce texte n’engage que la responsabilité de l’auteur.

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала