De Chypre à la «flottille de la liberté»: les «trous noirs» dans les conflits régionaux

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Le règlement chypriote a été «enterré» discrètement et de façon presque imperceptible à Nicosie, la capitale chypriote, profitant du tollé mondial soulevé autour de l’opération militaire d’Israël contre la «flottille de la liberté».

Le règlement chypriote a été «enterré» discrètement et de façon presque imperceptible à Nicosie, la capitale chypriote, profitant du tollé mondial soulevé autour de l’opération militaire d’Israël contre la «flottille de la liberté».

Le président de Chypre Demetris Christofias a annulé la rencontre prévue pour le 3 juin avec le nouveau président de la République turque non reconnue de Chypre-Nord Dervis Eroglu élu en avril.

Depuis son élection, il n’y a eu aucune négociation sérieuse entre les Grecs et les Turcs de l’île. La rencontre qui a été annulée devait être la première. Officiellement, elle a échoué à cause de l’exigence avancée par Eroglu de modifier le système fédéral du futur État réunifié de Chypre adopté par l’ONU et les Grecs. En réalité, tout est bien plus complexe. Dervis Eroglu, qui dirige le Parti de l’unité nationale, n’avait jamais caché être un adversaire de la réunification avec les Grecs. A présent, nul n’est capable de dire quand et, surtout, qui pourra aborder de nouveau la solution du casse-tête appelé depuis 36 ans « la question de Chypre ».

Cela ne serait pas si grave car Chypre vit depuis longtemps hors de tout règlement et a connu des épisodes plus difficiles. Heureusement, il n’y a pas d’effusion de sang. Mais il est alarmant que tout ce qui se produit à Chypre et autour de l’île ne touche pas seulement celle-ci, mais provoque aussi des ondes sismiques dans toute la région de la Méditerranée, du Proche-Orient et dans le monde entier. A présent, cela se répercute aussi sur les rapports interconfessionnels entre les musulmans et les chrétiens.

Des mots comme «jihad» et «croisière» retentissent dangereusement souvent depuis l’abordage mené contre la «flottille de la liberté». Chacun y joue son rôle: Chypre, la « flottille de la liberté», la bande de Gaza, Israël, la Turquie (qui joue maintenant le rôle principal dans la région), le Proche-Orient dans son ensemble et l’UE. Tout cela constitue un nœud serré.

Citons un exemple. Aujourd’hui, le 4 juin, le pape Benoît XVI est arrivé en visite œcuménique à Chypre. En termes laïques, cette visite serait considérée comme «de bonne volonté» ayant pour but de renforcer les liens entre les confessions chrétiennes puisque la majorité écrasante des Grecs chypriotes sont orthodoxes. Mais sa visite est déjà entachée de sang. A la veille de son arrivée à Chypre, le 3 juin, Mgr Luigi Padovese, vicaire apostolique catholique d’Anatolie, a été poignardé à mort par son propre chauffeur en Turquie. Mgr Luigi Padovese devait se rendre à Chypre pour y rencontrer le pape et l’informer des persécutions des chrétiens en Turquie. Mehmet Celalettin Lekesiz, gouverneur de la province de Hatay, s’est empressé d’exclure un «acte politique». Il se peut que ce soit vrai. Mais ce meurtre a des motifs religieux qui sont pires que les motifs politiques car il sera inévitablement considéré comme un assassinat politique, alors qu’un mélange de motifs religieux et politiques est la substance la plus inflammable dans les conflits.

Dans certains endroits du monde, les conflits locaux ou régionaux constituent des sortes de «trous noirs» dans lesquels se perdent non seulement les pays voisins, mais aussi les pays plus éloignés, des gouvernements et des hommes politiques. Chypre, Gaza, Israël, le Proche-Orient pris isolément et réunis constituent précisément un tel lieu mystérieux. Chaque centimètre carré de surface (géographique, politique et confessionnelle) y engendre tant de problèmes dont le monde entier pâtit ensuite.

Tous les décès consécutifs aux bombardements d’Israël par les militants du Hamas, ainsi qu’aux attaques d’Israël contre la bande de Gaza à longueur d’année, sont incomparables à une seule journée de boucherie au Darfour ou au Rwanda. Mais on n’accorde pas au Darfour et au Rwanda le centième de l’attention et des efforts destinés depuis des dizaines d’années à la région méditerranéenne.

L’antagonisme dans la région a atteint un tel degré de tension, que les parties au conflit sont incapables de faire face à leurs propres problèmes. Les tentatives, nombreuses, se sont toutes soldées par un échec.

En ce qui concerne les événements actuels et ceux qui se préparent («le deuxième épisode» de la «flottille de la liberté» qui entraînera la même réaction de la part de l’Israël), l’aggravation de la situation entre Israël et les Palestiniens n’est plus aussi inquiétante que ne l’est l’irritation croissante de la Turquie. Ce sont les organisations turques qui se trouvaient derrière l’envoi de la « flottille de la liberté » vers la bande de Gaza. Et sans l’accord des Turcs, le président de la partie turque de Chypre n’aurait pas rompu aussi ouvertement les négociations avec les Grecs sur le problème de l’île.

Ankara semble être désireuse de se trouver contrainte au radicalisme, et pas seulement par la riposte (excessive) d’Israël à la tentative d’enfreindre le blocus de la bande de Gaza par des convois humanitaires.

Pendant ces trois dernières décennies, les plus sensés des hommes politiques d’Europe occidentale, autant que possible, ont tenté d’offrir une place particulière à l’Anatolie derrière la table ouest-européenne à défaut de l’intégrer dans les structures ouest-européennes. L’intégration à part entière de la Turquie ne ravissait personne en Europe. Mais la possibilité qu’Ankara puisse tourner le dos à l’Occident et se joindre à l’Orient musulman ou se rapprocher de la Russie, ce qui serait encore pire, semblait encore plus effrayante. La Turquie était alors «nourrie par les promesses» de l’accepter dans l’Union européenne. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Berlin et Paris se sont ouvertement opposés à son adhésion. Apparemment, les Turcs « ont pris cela en considération ».

Ahmet Davutoglu, le ministre turc des Affaires étrangères, qui s’est rendu en visite à Washington le 1er juin, donne une idée du niveau de radicalisation atteint dans cette affaire: «Pour la Turquie, l’attaque de la «flottille de la liberté» par les bateaux israéliens est comparable aux attentats du 11 septembre à New-York. Nous nous attendons à une pleine solidarité à notre égard. Il ne faut pas le considérer comme un choix entre la Turquie et Israël. C’est un choix entre le bien et le mal, entre la loi et l’arbitraire».

Et dire que la Turquie jusqu’à présent a toujours été considérée comme le plus patient des pays musulmans envers Israël. Alors maintenant ? Maintenant, comme l’écrit le journal turc Vatan, après une séparation aussi sanglante entre la Turquie et Israël, il faudrait oublier «les efforts de  médiation» de la Turquie au Proche-Orient, et encore plus toute normalisation des relations avec Israël sous le gouvernement d’extrême droite de Benjamin Netanyahou.

Ainsi, «l’enterrement de la question de Chypre» n’est pas la pire chose qui aurait pu se produire. Il est question de l’enterrement de la paix au Proche-Orient et d’une nouvelle vague de terrorisme.

Ce texte n’engage que la responsabilité de l’auteur.

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