"Le moulin du diable" des prix du pain

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Depuis plusieurs semaines les prix des céréales augmentent sur les marchés alimentaires des pays-membres de l'Union Européenne. En France, la tonne de froment a pratiquement doublé en un mois et passant de 110 euros à 210 euros.

Depuis plusieurs semaines les prix des céréales augmentent sur les marchés alimentaires des pays-membres de l'Union Européenne. En France, la tonne de froment a pratiquement doublé en un mois et passant de 110 euros à 210 euros. En Grande-Bretagne le prix de l'orge a doublé en six semaines. Le prix de la farine, ainsi que celui de tous les aliments à base de farine, le pain, les pâtes, augmente également. Mais les consommateurs européens ne ressentiront la hausse des prix qu’avec un certain retard, généralement les boulangers ont des accords de 30 jours avec les réseaux commerciaux, donc pour l'instant, ces réseaux reçoivent les produits finis à base de farine aux anciens prix.

Toutefois, dans certains pays de l'UE, les boulangers et les meuniers ont dû faire face à une telle hausse des prix des matières premières qu'ils réfléchissent déjà à une résiliation anticipée de contrats avec les réseaux. Il vaut mieux payer un dédit plutôt que de travailler à perte. Ainsi, dès en septembre les consommateurs européens pourront ressentir la hausse des prix sur les produits finis.

La presse européenne est déjà à la recherche des responsables. Le Financial Times britannique a déjà accusé le gouvernement russe qui suspend l'exportation des céréales du 15 août au 31 décembre 2010. "Cette décision envoie un mauvais signal, estime le journal. Les négociateurs des céréales, effrayés par l'interdiction russe de l'exportation, pourraient céder à la panique et "dissimuler" les céréales en leur possession. D'autres pays pourraient suivre l'exemple de la Russie et restreindre également leurs exportations de céréales pour protéger leurs propres marchés".

Il semblerait que l'auteur soit resté dans sa coquille depuis juin, comme s'il n'y avait  eu ni sècheresse, ni pluies torrentielles en Europe centrale. En Russie on prévoit une baisse de 25% des récoltes, de 10% en Pologne et de 30% en Slovaquie et en Hongrie par rapport à l'année dernière. Dans le contexte de telles anomalies climatiques, il n'est plus question depuis longtemps de la protection des marchés ou "des producteurs nationaux". Il est question d'avoir suffisamment de céréales dans le pays.

Il faut noter que l'influence de la Russie sur le marché des céréales de l'UE est indirecte. Les pays du Proche-Orient sont les principaux bénéficiaires de l'approvisionnement en céréales russes. Mais cela ne signifie pas que les pays européens ne ressentiront pas l'impact de la suspension des exportations russes. "Ne recevant pas de céréales en provenance de Russie, l'Égypte et d'autres pays importants du Proche-Orient s'adresseront aux pays de l'UE pour acheter les mêmes quantités, ce qui pourrait conduire à la "fuite" des céréales de notre marché", commente la situation le journal polonais Gazeta Wyborcza.

Notons que dans des conditions analogues, les pays européens font tout pour remplir leur propre marché de céréales. Prenons par exemple la Pologne, le plus grand des Etats postcommunistes à l'heure actuelle faisant partie de l'Union Européenne et qui a, de plus, une agriculture traditionnellement forte. Lors de l'apparition à la fin des années 90 de la pénurie temporaire du blé les entreprises meunières ont fait exploser les prix de la farine (certains soupçons sur l'entente sur les prix entre les minotiers). En suivant la chaîne, le prix du pain a également augmenté, il était supérieur par rapport à aujourd'hui, alors qu'à l'époque le carburant et l'énergie revenaient bien moins cher aux producteurs.

Les minotiers polonais étaient auparavant appelés meuniers, donc à l'époque on pouvait parler du "moulin du diable" des prix. Et quelles mesures ont été prises par le gouvernement? La Pologne ne faisait pas encore partie de l'Union Européenne. Dans ces conditions, Roman Jagelinski, le vice-premier ministre du gouvernement, a décidé d'ouvrir les frontières du pays pour une entrée en franchise des céréales en provenance de Hongrie, de République tchèque et de Slovaquie. Ces pays qui avaient connu une très bonne année de récolte ont vendu à la Pologne des quantités de céréales suffisantes pour deux années. Le marché s'est calmé, les prix ont diminué et tout est rentré dans l'ordre.

Lorsqu'en 2006 en Pologne, les prix de la farine ont de nouveau commencé à grimper, c'est la restriction de l'exportation cette fois, et plus l'importation, qui a sauvé la situation. À cette époque la Pologne faisait déjà partie de l'Union Européenne et il a été décidé d'introduire sur le marché intérieur les réserves spéciales, accumulées par la Pologne dans le cadre de la politique économique globale de l'UE. La réserve des céréales, destinée aux interventions conjointes sur les marchés européens, était exclusivement autorisée à l'utilisation sur le marché intérieur. Cela a été fait au tout début de la crise, lorsque la panique n'avait pas encore pris de l'ampleur. Le résultat s'est une fois de plus avéré positif, les prix avaient rejoint la norme. Aujourd'hui en Pologne on parle de nouveau de la nécessité de mesures décisives car le hausse des prix sur les produits à base de cultures des plantations atteint des sommets sans précédent. En Pologne le prix du froment a doublé en un mois, c'est la plus grande hausse des prix pour les produits à base de cultures des plantations depuis 1959 dans ce pays.

Mais que devrait faire la Russie qui n'est pas membre de l'Union Européenne? Au moment où l'Ukraine voisine introduit les restrictions pour l'exportation des céréales? Lorsqu'il y a de grands doutes que la qualité des récoltes de cette année soit suffisante chez nous et chez nos voisins pour la fabrication de pain? Que faire dans une telle situation? Se protéger et penser tout d'abord à l'approvisionnement en pain de sa propre population.

Or, dans le même article du Financial Times, accusant l'égoïsme alimentaire russe, l'auteur nous propose de nous en remettre à la protection internationale "puissante" au lieu de nos propres réserves. Or cette protection n'existe pas encore et il faut la créer de la manière suivante : "Il existe un besoin d'un système international. Ce système pourrait être fondé sous l'égide de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Et donc, ce système doit définir avec précision les règles, selon lesquelles certains pays pourraient cesser les exportations des produits agricoles, propose le journal. Cela permettrait de prévoir et de limiter sur les marchés les risques d'expansion des crises, croissant sur les attentes de crise".

Créer un tel système serait une bonne chose. Mais jusqu'à aujourd'hui la Russie n'était pas très attendue dans un tel système. Rappelons que la Russie avait frappé à la porte de l'OMC en 1993 (à l'époque cette organisation s'appelait GATT, Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce). Mais les nouveaux membres ne peuvent adhérer à cette organisation qu'avec l'accord de tous les anciens membres. Et notre adhésion a été reporté jusqu'en 2004 en raison du refus d'un pays ou un autre, y compris de la part de plusieurs pays de l'UE. Parmi les arguments de l'UE et des États-Unis, le nouveau "procrastinateur" principal, on trouve celui-ci : nous ne pouvons pas faire un tel cadeau à "la Russie de Poutine", cela enverrait un mauvais signal. Les populations en Russie et à l'étranger interprèteront l'adhésion de notre pays à l'OMC comme un signe de confiance de l'Occident en Moscou, et Moscou n'a pas mérité cette confiance.

Et voilà qu'aujourd'hui, lorsque l'Occident a besoin des céréales russes pour stabiliser les prix, on s'est soudainement souvenu et de l'OMC, et du fait qu'il serait adéquat d'obliger la Russie sous l'égide de cette même OMC de vendre son pain, dont elle-même a vraiment besoin. Peut-être est-ce une bonne chose que la Russie n'ait pas adhéré à l'OMC? Les journalistes qui ont couvert depuis des années l'activité de l'Organisation mondiale du commerce disent ouvertement : le G-4, les États-Unis, l'UE, le Japon et le Canada sont les pays qui ont le plus de droits au sein de l'OMC. Pour reprendre la métaphore de George Orwell : Tous les animaux sont égaux, mais il y a des animaux plus égaux que d'autres. Et il en résulte d'une certaine manière que dans le système du commerce mondial seuls ceux qui sont "plus égaux" ont des droits. Et les autres n'ont pratiquement pas de droits, que des obligations. Alors merci les États-Unis et la Géorgie pour la lenteur bureaucratique dont vous avez fait preuve à l'égard de notre adhésion à l'OMC. Grâce à cela nous ne devons aujourd'hui rien à personne, en tout cas en ce qui concerne l'exportation de céréales.

Ce texte n'engage que la responsabilité de l'auteur.

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