Sakharov: père de la bombe H et dissident

© Sputnik . Vladimir Fedorenko / Accéder à la base multimédiaAndreï Sakharov
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Andreï Sakharov, qui fêterait ses 90 ans le 21 mai 2011, était une véritable boule de contradictions.

Par Nikolaï Troïtski

Andreï Sakharov, qui fêterait ses 90 ans le 21 mai 2011, était une véritable boule de contradictions. Il suffit de citer la première ligne de sa biographie que l’on trouve dans n’importe quelle encyclopédie: "physicien soviétique, membre de l’Académie des sciences de l’URSS et homme politique, dissident et défenseur des droit de l’homme, un des concepteurs de la bombe soviétique à hydrogène, lauréat du Prix Nobel de la paix 1975." Difficile de s’imaginer un seul homme doté de toutes ces qualités.

Sa vie fut un perpétuel combat

Certes, Andreï Sakharov a connu une certaine évolution. Ses idées ont considérablement changé entre 1953, année de sa participation à la création de la bombe soviétique à hydrogène, et 1980, date de sa relégation à Gorki (actuelle Nijni Novgorod) due à ses activités de dissident. Son engagement social allant à l’encontre de l’idéologie officielle soviétique remonte d’ailleurs à 1955 lorsqu’il a signé une lettre collective de chercheurs fustigeant le célèbre académicien-charlatan Trofim Lyssenko.

Dès cette époque, Andreï Sakharov, jeune physicien promis à une brillante carrière, lauréat de prix, homme hautement décoré, était prêt à risquer son poste, son métier et sa carrière pour ses convictions. Il est vrai qu’en 1955 le risque n’était pas mortel. Après la mort de Staline, le pouvoir de Trofim Lyssenko s'était effrité et on pouvait se permettre de l’attaquer. Toutefois Andreï Sakharov n’en est pas resté là. Il est devenu, en fait, le dissident numéro un de l’Union Soviétique.

Parfois, on attribue post factum, à tort, ce titre officieux à Alexandre Soljenitsyne. Soljenitsyne a toujours été en premier lieu un écrivain. Andreï Sakharov était lui un défenseur classique des droits de l’Homme et un militant antisoviétique. Il adressait des lettres au gouvernement soviétique et écrivait des articles diffusés ensuite dans le monde entier. Il dénonçait les procès engagés contre d’autres dissidents, se prononçait contre la peine de mort, contre les essais nucléaires et contre la guerre en Afghanistan.

Ce dernier élément a justement été la goutte qui a fait déborder le vase. Le gouvernement soviétique et le KGB ont décidé de bannir Sakharov. Pendant son exil, il a déclaré plusieurs grèves de la faim qui le conduisaient dans des hôpitaux où il était nourri de force. Ces "repas", administrés au moyen d’un tube de caoutchouc profondément enfoncé dans l’oesophage, étaient une véritable torture. Les affirmations des journalistes selon lesquelles Sakharov l’avait échappé belle et que son châtiment pour ses activités antisoviétiques avait été trop doux sont particulièrement indécentes.

Les décorations et les titres de Sakharov

Certes, le membre de l’Académie des sciences de l’URSS ne s'est pas retrouvé dans un camp de concentration, ce n’était plus l’époque stalinienne. Par ailleurs, la notoriété internationale d’Andreï Sakharov était trop grande. Quant à son titre d’académicien, une anecdote circulait à l’époque soviétique selon laquelle un célèbre membre de l’Académie soviétique des sciences, Petr Kapitsa, convoqué à une réunion du Politburo (organisme suprême du Parti communiste de l’Union soviétique), aurait été interrogé sur la possibilité de "déchoir" Sakharov de son titre d’académicien.

Petr Kapitsa, homme qui appelait toujours un chat un chat, aurait répondu qu’il ne connaissait qu’un seul précédent de ce genre: après l’arrivée au pouvoir des nazis en 1933, l’Académie des sciences allemande a retiré leurs titres d’académiciens à tous ses membres d’origine juive. Après quoi la question de Sakharov aurait été retirée de l’ordre du jour. Histoire authentique ou légende, le fait est que les autorités n’ont pas cherché à déchoir Sakharov de sa dignité d’académicien.

Ainsi, les articles consacrés à Andreï Sakharov sont restés dans la Grande encyclopédie soviétique et dans des dictionnaires encyclopédiques. Tout ce que l’on se permettait c’est de rajouter la phrase: "Ces dernières années, il ne poursuit plus sa carrière scientifiques." On attribue cette phrase à Mikhaïl Souslov, secrétaire du Comité central du PCUS chargé des questions idéologiques.

Andreï Sakharov a donc conservé son titre d’académicien. Par contre, un arrêté du Présidium du Soviet suprême (parlement) et un décret du Conseil des ministres de l’URSS lui ont retiré toutes ses autres décorations et titres, notamment celui de triple Héros du travail socialiste, de lauréat de Prix d’Etat (ancien Prix Staline, attribué à Sakharov en 1953) et du Prix Lénine, ainsi que de l’Ordre de Lénine. Cette tentative de méconnaître post factum ses mérites envers la science soviétiques était inepte. D’ailleurs, Andreï Sakharov lui-même était loin d’attacher de l’importance à ces efforts fébriles visant à lui retirer ces décorations et ses titres.

Une boule de contradictions

On n’est pas obligé de s’enthousiasmer face au contenu des articles écrits par Andreï Sakharov, mais une chose est incontestable: Sakharov a en toute connaissance de cause renoncé à l'existence plus qu’aisée de membre de l’Académie soviétique des sciences, de quasi-divinité admise au paradis communiste. Il s’est montré romantique, noble et altruiste. Et il est resté fidèle à ses convictions jusqu’au bout.

Au début des années 1980, il n’a pas été effrayé par la disgrâce et les persécutions. A la fin de cette même décennie, il ne s’est pas laissé séduire par le "flirt" politique de Mikhaïl Gorbatchev. Il disait ce qu’il pensait et ce qu’il croyait juste, aussi bien lors de conférences de presse, que dans des entretiens accordés à des journalistes occidentaux et dans ses discours prononcés à la tribune du Congrès des députés du peuple de l’URSS.

Quant aux convictions d’Andreï Sakharov, elles évoquent à leur tour une boule de contradictions où des illuminations géniales côtoient des fantaisies utopiques. Il a, en fait, prédit l’arrivée d’Internet dès 1974. Dans son article Le monde dans un demi-siècle il a écrit: "Dans le futur, je suppose la création d’un système informationnel mondial (SIM) qui rendra accessible à chacun et à tout moment le contenu de tous les livres jamais publiés et de tous les articles de presse, qui permettra d’obtenir toutes les attestations officielles possibles. Le SIM devra comprendre des émetteurs-récepteurs individuels miniaturisés, des centres de dispatching gérant les flux informationnels, les chaînes de communication avec des milliers de satellites artificiels de communication, ainsi que des câbles et des lignes laser.

La réalisation du SIM, ne serait-ce que partielle, aura un effet énorme sur la vie de chaque individu, ses loisirs et son épanouissement intellectuel et artistique. A la différence de la télévision, principale source d’informations pour beaucoup de nos contemporains, le SIM offrira à chacun un maximum de liberté en matière de choix des informations et nécessitera une prise de décisions individuelle."

Les errements du grand homme

Cependant, le même Andreï Sakharov a composé en 1989 un projet de Constitution de l’Union des républiques soviétiques d’Europe et d’Asie, très original et entièrement déconnecté de la réalité. Il contenait notamment un article cocasse sous le numéro 17: "L’adhésion à l’Union des républiques soviétiques d’Europe et d’Asie s’effectue sur la base du Traité de l’Union en accord avec la volonté de la population de la république et sur décision de son organe législatif suprême.

Les conditions supplémentaires de l’adhésion de la république à l’Union sont énoncées dans un Protocole spécial, en accord avec la volonté de la population de la république. Les républiques constituent les seules entités territoriales ethniques prévues par la Constitution, qui permet cependant de diviser les républiques en régions administratives et économiques."

Selon l’auteur de la Constitution, la sécession des républiques de l’Union devait être tout aussi simple. Selon l’article six, "le droit fondamental et prioritaire de chaque nation et de chaque république est le droit à l’autodétermination." Andreï Sakharov était convaincu que tout comme la Géorgie avait le droit de faire sécession de l’URSS, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud pouvaient à leur tour se séparer de la Géorgie.

Andreï Sakharov avait les intentions les plus nobles et les motifs les plus altruistes. En mesurant les hommes à son aune, il estimait qu'ils pourraient s’élever au-dessus de leurs intérêts mesquins et de leurs conflits interethniques pour former une famille unie.

Il ne se rendait pas compte, par exemple, que les habitants réels de la Géorgie, ainsi que des autres entités ethniques, étaient loin d’avoir assimilé ses idées et ses beaux projets. Mais ces errements stupéfiants témoignent une fois de plus de la personnalité unique et exceptionnelle d’Andreï Sakharov.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction.

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