Chassez l’OTAN, les talibans reviennent au galop

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La traditionnelle offensive d’été des talibans (en fait, elle commence d’habitude en mai) a déjà été marquée par toute une série d’attentats ayant fait de nombreux morts et blessés, notamment parmi les militaires de la coalition occidentale.

La traditionnelle offensive d’été des talibans (en fait, elle commence d’habitude en mai) a déjà été marquée par toute une série d’attentats ayant fait de nombreux morts et blessés, notamment parmi les militaires de la coalition occidentale. Au cours des derniers jours de mai, des explosions ont retenti dans la province de Hérât située à l’ouest de l’Afghanistan et considérée comme relativement pacifiée: elle vient en première position dans le calendrier de retrait des troupes de l’OTAN qui débutera en été prochain par la transmission de contrôle de la province aux forces de sécurité et à l’armée afghanes. Des attentats similaires ont également eu lieu au Nord et à l’Est du pays.

Toutefois, c’est de la routine pour l’Afghanistan. Ce qui est plus grave, c’est qu’à la veille du "grand exode" des forces de l’OTAN des journalistes britanniques ont sillonné la majeure partie du pays et ont relevé des phénomènes désagréables pour la coalition occidentale. Par ailleurs, dans son livre, récemment paru en Grande-Bretagne, l’ancien ambassadeur britannique à Kaboul critique sévèrement les opérations anti-talibans du commandement militaire américain.

Est-ce bien cela, l’avenir de l’Afghanistan?
Fin mai, la province de Nurestân, située à l’est de l’Afghanistan et possédant une frontière commune avec le Pakistan, est devenue, en fait, une "république des talibans": un territoire indépendant de l’OTAN et du gouvernement de Kaboul, avec le drapeau blanc de l’Emirat Islamique (désignation officielle du régime des talibans) hissé au-dessus de nombreux districts de la province.

Les forces de l’OTAN se sont retirées de cette région quelques mois auparavant. Les autorités locales ont pris la fuite, les écoles ont été fermées et la charia réintroduite. La province est déjà administrée par Jamil Rahman, "gouverneur" nommé par le "cabinet fantôme" des talibans. La vie a repris son cours d’avant 2001.

Depuis le Nurestân, le pouvoir des talibans s’étend progressivement à la province voisine du Kounar et menace de déferler sur le Laghmân, situé juste au sud. Le "haut responsable" du Kounar, nommé par les talibans, est Qari Ziaur Rahman, dont l’élimination avait été rendue publique dès 2010, mais qui a ensuite contacté la presse pour annoncer qu’il était bien vivant. Cet homme a affirmé qu’"en Afghanistan, toutes les défaites commencent par le Kounar." Ce n'est peut être qu’une simple bravade d’un chef de guerre, mais il convient de rappeler qu’en effet, en 1978, les émeutes des moudjahiddin contre le gouvernement de Kaboul avaient commencé par la province du Kounar.

Les experts, qui ont une vision suffisamment sceptique de la stratégie de Washington en Afghanistan, déclarent que les événements au Nurestân sont l’avant-propos de ce qui attend l’Afghanistan tout entier après le retrait des troupes de l’OTAN. Or, ce dernier doit se terminer en 2014.

"La regrettable vantardise des militaires"
Il est toujours intéressant de prendre connaissance de l’évaluation donnée par les membres de l’alliance occidentale en Afghanistan de leurs efforts. Une excellente occasion de le faire est offerte par la parution récente en Grande-Bretagne du livre de l’ancien ambassadeur britannique à Kaboul, sir Sherard Cowper-Coles, intitulé Les dépêches de Kaboul: les dessous de la campagne occidentale en Afghanistan.

Les Britanniques n’ont jamais particulièrement admiré leurs cousins d’outre-Atlantique. Toutefois, les propos de sir Sherard concernant la stratégie américaine en général et le commandant en chef des forces de la coalition, le général David Petraeus, en particulier, sont de nature à choquer le public. Surtout compte tenu du fait que le président Obama a déjà nommé David Petraeus au poste de nouveau directeur de la CIA, fonctions dans lesquelles il sera installé et qu'il commencera à assumer dès la fin de l’été prochain. D’habitude, les diplomates, même anciens (l’ambassadeur a quitté le Foreign Office britannique pour le secteur privé), ne se permettent pas de s’exprimer aussi vertement. Manifestement, sir Sherard Cowper-Coles en a gros sur le cœur.

Les évaluations de M. Cowper-Coles sont moins un diagnostic qu'une condamnation. Il écrit sans ambages que la stratégie tout entière de l’OTAN en Afghanistan est "profondément erronée" et que ses résultats sont absolument contraires à la réalité.

David Petraeus a été nommé à la tête des troupes de la coalition occidentale en Afghanistan en été 2010. Sous son commandement, le nombre des opérations de l’OTAN menées contre les talibans a triplé. L’utilisation de drones-chasseurs et le recours aux frappes chirurgicales visant les bases éventuelles des talibans et les bunkers des chefs de guerre de ce mouvement est devenu courant.

Souvent, des civils innocents mourraient au cours de ces raids. On les faisait simplement passer pour des talibans armés. Début 2011, M. Petraeus a présenté son rapport au Congrès américain et a déclaré que tous les trois mois les unités spéciales des forces américaines, britanniques, australiennes et néerlandaises éliminaient ou capturaient jusqu’à 350 chefs des talibans. Il n’a pourtant pas été en mesure d’expliquer où les talibans trouvaient des leaders en telle quantité.

Sir Sherard Cowper-Coles commente ainsi ces propos: le général Petraeus "a intensifié le degré de violence et a triplé le nombre des raids accomplis par les unités spéciales des forces britanniques, américaines, néerlandaises et australiennes, visant à éliminer les commandants des talibans. Par ailleurs, la regrettable vantardise des militaires concernant le décompte du nombre de morts a particulièrement augmenté."

Dans le contexte de ces statistiques truquées concernant les ennemis tués, l’ancien ambassadeur évoque la guerre du Vietnam en écrivant: "Le nettoyage de régions des rebelles qui s'y trouvent assure, certes, un succès tactique. Mais globalement c’est comme si on brassait l’eau d'un étang, et j’estime que chaque général qui se targue du nombre de rebelles pachtounes qu’il a tués devrait avoir honte… Pour chaque Pachtoune tué dix nouveaux rebelles se dressent qui chercheront à venger le précédent."

Sir Sherard Cowper-Coles a exercé les fonctions d’ambassadeur à Kaboul entre 2007 et 2010 étant parallèlement envoyé britannique spécial pour l’Afghanistan et le Pakistan. Autrement dit, il était fort bien informé de toutes les nuances de la politique américaine en Afghanistan. Et voilà qu’il conclut que cette politique est contreproductive et ne contribue nullement au règlement politique, car elle ne fait qu’attiser l’hostilité de la population et augmente, par la même occasion, le soutien dont bénéficient les talibans.

D’un point de vue purement pratique, Sir Sherard dit des choses extrêmement raisonnables. Selon lui, en éliminant des commandants expérimentés des grandes unités armées de talibans, les Américains se mettent dans l’incapacité totale de négocier avec les personnes expérimentées, déjà lasses de la guerre. Ces gens sont remplacés par des jeunes aigris et acharnés pour qui le djihad représente leur raison d’être. Dans ces conditions, les négociations cessent complètement d’être à l’ordre du jour.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction
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