Le litige historique entre la Russie et la Lettonie se poursuit

© RIA Novosti . Vadim RadionovMarche des vétérans de la Légion lettone de la Waffen SS à Riga
Marche des vétérans de la Légion lettone de la Waffen SS à Riga - Sputnik Afrique
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La marche des vétérans de la Légion lettone de la Waffen SS à Riga et le forum russo-letton des historiens et des journalistes à Moscou se sont télescopées dans l’espace informationnel le vendredi 16 mars.

La marche des vétérans de la Légion lettone de la Waffen SS à Riga et le forum russo-letton des historiens et des journalistes à Moscou se sont télescopées dans l’espace informationnel le vendredi 16 mars. Pendant que les légionnaires lettons déposaient des fleurs devant le Monument à la Liberté, les experts discutaient au centre de presse de RIA Novosti de la question de savoir s’il était possible de régler les questions complexes de l’histoire.

Les collègues lettons ont immédiatement déclaré que la date du 16 mars ne figurait pas dans la liste des fêtes nationales officielles, que la majorité de la population était contre le fascisme et condamnait les crimes des bourreaux nazis. Nul n’a l’intention d’atténuer les conséquences de l’occupation allemande de la Lettonie, au moins parce que plus de 80% de juifs locaux ont été exterminés. Les participants russes ont également protesté contre la journée de commémoration des SS lettons, leur glorification, et qui plus est leur légitimation.

La pendule de la politique historique

Les "batailles pour l’histoire" ne cessent pas dans l’espace postsoviétique depuis plus de 20 ans. Elles se transforment parfois en "guerres internationales de la mémoire." Cependant, il faut garder à l’esprit que, par exemple, en Lettonie il n’existe pas d’histoire unifiée, mais trois versions du passé – la version officielle lettonne, la contre-version avancée par les chercheurs russophones, ainsi que celle écrite à l’étranger, y compris en Russie. Qu’est-ce que cela signifie? Toutes les questions sensibles sur le passé (les problèmes d’occupation et d’annexion, la part de responsabilité de l’URSS ou de l’Allemagne devant le peuple letton, les déportations, etc.) sont examinées dans le cadre d’un dialogue trilatéral difficile ou d’une confrontation.

Bien sûr, la politique nationale de la Lettonie est influencée par la volonté de certains milieux de faire endosser toute la responsabilité pour la politique soviétique par la Russie contemporaine. Parfois on met l’accent sur les faits qu’il est avantageux de mentionner, mais on élude ce qui ne l’est pas. Et cela ne passe pas inaperçu en Russie.

Mais la Lettonie suit également de près les mouvements contradictoires de la pendule russe de la politique historique. On y perçoit négativement les tentatives de restalinisation, la rhétorique impériale et la répartition des pays en "bons" et "méchants."

Un thème à discuter

La divergence des points de vue au sujet de "l'occupation soviétique", le collaborationnisme et la mise au même niveau de la responsabilité de la Wehrmacht et l'Armée rouge ne signifie pas que le dialogue entre les historiens doit être interrompu. Au contraire, dans les deux pays on débat activement du projet stalinien de soviétisation des pays baltes. Pourquoi, par exemple, n'y a-t-il eu aucune résistance à l'annexion soviétique, sachant que les services de renseignement étaient informés?

Apparemment, il existe des raisons de croire que le gouvernement au pouvoir en Lettonie au moment de la signature du Pacte germano-soviétique (Molotov-Ribbentrop) en août 1939 était autoritaire et restreignait la liberté de la presse, de rassemblement et de réunion, ce qui préparait l’opinion publique à une "incorporation en douceur" à l'Union soviétique. Inutile de dire que seuls les mouvements qui étaient en faveur de la victoire des forces prosoviétiques ont été autorisés à participer aux élections organisées en vue de la formation d'un nouveau gouvernement.

Reste à savoir pourquoi en 1941 les Lettons ont tiré dans le dos des soldats de l'Armée rouge qui battaient en retraite, tandis que les unités ethniquement homogènes, dont faisaient partie les Lettons, les Lituaniens et les Estoniens, luttaient courageusement au sein de l'armée soviétique, puis, même après avoir été dissoutes, ont contribué à libérer leur patrie.

Aujourd'hui, les historiens des deux pays décrivent la situation après 1939 et après l'année victorieuse de 1945 de manière bien plus détaillée. L'attitude envers la Lettonie n'est plus perçue comme une affaire intérieure de l'URSS, mais comme une composante du processus général d'expansion de l'influence soviétique dans l'Europe de l'avant- et de l'après-guerre.

Les recherches de formes "diplomatiques", sans diktat, d'influence soviétique en Europe de l'Est se sont également reflétées sur la politique de la nouvelle étape de soviétisation de la Lettonie. Cependant, après 1947, on a commencé à miser sur l'unification et les méthodes de force – répression, éradication des élites régionales et déportation de masse.

Le procès de l'intégration des pays baltes à l'espace soviétique a pris du retard et n'a finalement jamais abouti. Les pays baltes, comme l'écrit Elena Zoubkova dans son livre Les pays baltes et le Kremlin. 1940-1953, sont demeurés une "zone problématique" pour Moscou jusqu'à l'effondrement de l'URSS.

Une seule histoire pour les deux peuples

Un dialogue récent entre les experts russes et lettons a confirmé qu'il existait des problèmes communs dans les deux pays, dont l'ethnocentrisme dans l'écriture des histoires nationales, les difficultés dans la réalisation de l'idée du multiculturalisme international, la différence de vitesse pour surmonter le passé impérial et soviétique, et la confrontation et l'intolérance dans les "batailles pour le passé".

Un contexte plus large de contacts et de coopération, avant tout dans l'économie et le domaine humanitaire, l'attention accordée à la dimension humaine de l'histoire et à la mémoire sociale des gens, ainsi que le respect de la condition qu'il ne peut exister une seule version de l’histoire pourraient contribuer à surmonter l'incompréhension et à rapprocher les positions.

Ce n'est pas un hasard si en Russie et en Lettonie les manuels scolaires "s'inclinent" face à l’influence de la famille, des grands-parents et d’internet.

Bien sûr, les enfants des deux pays doivent avoir un manuel d'histoire identique, au moins en ce qui concerne la période 1939-1945, dans lequel sera écrite une histoire pour deux grâce aux efforts conjoints. Une commission de spécialistes russo-lettonne travaille dans ce sens depuis ces dernières années.

Le dialogue des historiens se poursuit

Au cours des sept dernières années l'Agence RIA Novosti offre un plateau pour des tables rondes et des conférences vidéo aux experts russes et lettons. Et en tant que participant, je peux affirmer que les rencontres ou les discussions virtuelles provoquent toujours une réaction positive et permettent de clarifier la position des deux parties et d'échanger des informations sur les dernières recherches.

Mais cette année, une agence de presse connue et une fondation, qu'il est facile de trouver sur internet, ont tenté de désinformer le public et de compromettre le sens du dialogue permanent entre les historiens des deux pays. Même à propos du film Une histoire contradictoire, qui n'a pas pu être diffusé pendant la table ronde, il a été dit qu'il était consacré aux légionnaires lettons et justifiait leur participation à la guerre contre l'Armée rouge. J'ai eu l'occasion de le visionner auparavant, et je peux constater que la vérité sur le camp de concentration de Salaspils et l’Holocauste est narrée pendant leurs deux tiers du film par les Russes et les juifs qui ont été témoins de la tragédie.

Les propagandistes ont inventé leur propre scénario de confrontation, qui n'avait rien à voir avec les événements réels. La transcription de la discussion réfute facilement ces divagations.

Il ne reste plus qu'à regretter que les méthodes du fameux Institut américain pour l'analyse de la propagande soient tenaces en Russie. Mais il est évident que l'époque des "hautes instances dirigeantes", cherchant à déterminer l'ordre du jour des événements et à décider quelle note doit être attribuée et à qui, est définitivement révolue. De la même manière que tombent dans l'oubli les noms de ceux qui voudraient conserver une histoire politisée et conflictuelle.

 

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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