L'Ukraine "multivectorielle" devra prendre en compte le nouveau Poutine

© RIA Novosti . Mikhail Klimentiev / Accéder à la base multimédiaVladimir Poutine et Viktor Ianoukovitch
Vladimir Poutine et Viktor Ianoukovitch - Sputnik Afrique
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Le 12 juillet pourrait marquer un tournant dans les relations russo-ukrainiennes, voire même dans le développement de l'espace postsoviétique en général. Ce jour-là, le président russe Vladimir Poutine rencontre à Yalta son homologue ukrainien Viktor Ianoukovitch.

Le 12 juillet pourrait marquer un tournant dans les relations russo-ukrainiennes, voire même dans le développement de l'espace postsoviétique en général. Ce jour-là, le président russe Vladimir Poutine rencontre à Yalta son homologue ukrainien Viktor Ianoukovitch.

Yalta a de la chance – c'est ici qu'en février 1945, lors d'une rencontre historique, Staline, Roosevelt et Churchill ont "découpé" l'Europe. D'ailleurs, qui sait – Poutine et Ianoukovitch pourraient également avoir un entretien historique à tel point que son résultat, à terme, change quelque chose dans la géographie politique et économique de l'espace postsoviétique.

Pour analyser cette question, il faut essayer de comprendre ce que la Russie et l'Ukraine représentent l'une pour l'autre à l'heure actuelle, et ce que cette union pourrait engendrer.

Les ambassadeurs politiques


L'Ukraine joue un rôle substantiel dans la politique étrangère russe, même s'il est peu probable que les dirigeants le reconnaissent. Avant tout, parce que la Russie cherche à montrer son indépendance stratégique totale à l'égard de l'Ukraine. Mais il y a une différence entre montrer et être.

C'est lors de son premier mandat que le président russe actuel a commencé à mettre en place la tactique actuelle des relations mutuelles avec la puissance voisine. Précisément en mai 2001, quand il avait nommé l'ex-premier ministre russe Viktor Tchernomyrdine au poste d'ambassadeur à Kiev.

Mais Viktor Tchernomyrdine avait également le titre supplémentaire de "représentant spécial du président". En d'autres termes, arrivé à Kiev à l'époque de Leonid Koutchma, Tchernomyrdine y a été envoyé non seulement par le ministère des Affaires étrangères, mais également personnellement par le président, c'est-à-dire Poutine. De cette manière, Poutine soulignait le rôle politique particulier de Tchernomyrdine, qui n'était pas un diplomate de carrière, mais faisait ce qu'il savait faire le mieux – être un "communicateur politique".

Ce principe (de désigner des hommes politiques au lieu de diplomates de carrière en tant qu'ambassadeur en Ukraine) a été conservé par le président suivant, Dmitri Medvedev qui, huit ans plus tard, en août 2009, a nommé Mikhaïl Zourabov en tant qu'ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire.

Mikhaïl Zourabov avait également une carrière "hors spécialité" pour un diplomate. Premièrement, il avait été vice-premier ministre russe. Deuxièmement, il avait été ministre de la Santé et du Développement social pendant la période la plus difficile pour ce domaine – la monétisation des avantages sociaux (la suppression en 2005 des prestations en nature dont bénéficiaient certaines catégories de la population et leur remplacement par des indemnités en espèces - ndlr). D'ailleurs, en répondant aux questions des journalistes ukrainiens concernant son appartenance professionnelle, Zourabov a très sérieusement déclaré: "Je suis politologue."

On note donc quelque chose de commun dans ce principe important pout tout Etat, celui de la nomination des ambassadeurs. Dans les deux cas de l'histoire russo-ukrainienne récente, étaient nommés au poste d'ambassadeur, d'abord des hommes politiques et non pas des diplomates de carrière, et ensuite des personnalités disposant d'une grande expérience administrative dans les situations d'urgence.

Autrement dit, en utilisant le langage moderne, Tchernomyrdine et Zourabov sont des gérants anticrises des actifs politiques russes en Ukraine. Hormis la représentation diplomatique, leur mission était tout à fait concrète – porter à la connaissance des autorités du pays voisin l'opinion personnelle, et pourquoi pas officieuse, du gouvernement russe sur telle ou telle question politique importante. Quoi qu'il en soit, c'est ainsi que les deux ambassadeurs voyaient leur rôle particulier dans les relations russo-ukrainiennes dans les nombreuses discussions privées avec l'auteur de ces lignes.

Mais tout de même, pourquoi est-ce précisément cette logique qui a été choisie par le gouvernement russe au cours des 10-11 dernières années?

Une Ukraine de transit de gaz


De toute évidence, Tchernomyrdine était appelé à régler les questions énergétiques dans les relations entre la Russie et l'Ukraine (avant tout la "facture de gaz"). Il est question de milliards de dollars (difficile de donner un chiffre plus précis, il change chaque année en fonction des variations du prix du gaz qui n'a pas d'équivalent concret, mais est calculé grâce à une formule spécialement élaborée et déterminée par le contrat).

Viktor Tchernomyrdine, qui avait créé Gazprom de ses propres mains et avait une connaissance professionnelle des subtilités du système de transport de gaz, remplissait cette mission avec succès.

L'Ukraine est le plus grand consommateur de gaz parmi tous les pays importateurs de gaz russe. Autrement dit, chaque année, ce pays apporte une contribution significative au budget russe en réglant la facture de gaz. C'est la raison pour laquelle la Russe est en réalité intéressée par des relations de bon voisinage avec l'Ukraine tout autant que Kiev a besoin d'être en bons termes avec Moscou.

La Russie est devenue "accro" aux exportations d'hydrocarbures, en vendant du gaz et en recevant en échange des milliards de dollars. Tandis que l'Ukraine est consommateur de son gaz et dans le même temps une sorte de "dealer énergétique" pour la Russie, une grande partie du gaz transitant par ses systèmes d'acheminement à destination de l'Europe occidentale.

De cette façon, quoi qu'on pense de Kiev, tant qu'il n'y aura pas de moyens alternatifs de fourniture de gaz (par exemple, le gazoduc South Stream par lequel le gaz sera acheminé sous la mer Noire vers la Bulgarie, puis la Serbie, l'Italie et l'Autriche), l'Ukraine continuera à faire partie des calculs économiques et politiques du gouvernement russe en tant que l'un des plus importants outils d'influence et un important fournisseur de ressources financières.

En fait, c'était le second élément politique et anticrise de la nomination de Tchernomyrdine, à savoir assurer la loyauté du gouvernement ukrainien dans les relations gazières et financières entre Moscou et Kiev afin de conserver l'image de la Russie en tant que fournisseur de gaz fiable en Europe.

Et Tchernomyrdine, ami personnel du président ukrainien Leonid Koutchma, accomplissait cette tâche avec succès. Après l'arrivée au pouvoir en Ukraine de Viktor Iouchtchenko, Tchernomyrdine a réussi à conserver son influence sur le gouvernement ukrainien parce qu'il avait des relations personnelles de confiance avec les premiers ministres de l'époque (chose qui n'était jamais vraiment affiché), d'abord avec Ioulia Timochenko, puis avec Viktor Ianoukovitch.

Le communicateur politique qu'était Tchernomyrdine ne commettait jamais d'erreur et, malgré les variations politiques, il parvenait à garder des liens amicaux solides avec les dirigeants clés du pays voisin.

Bien sûr, il y a eu des excès. En règle générale, un nouveau changement de gouvernement en Ukraine était accompagné par une sorte de refrain politique: réduire le coût du gaz acheté en Russie. Et à chaque fois, c'était dans une certaine mesure lié aux agissements de la première ministre Ioulia Timochenko.

Pendant le mandat de Viktor Iouchtchenko, celle-ci s'est retrouvée à la tête du cabinet à deux reprises, et ces deux fois, avec son concours, les relations gazières russo-ukrainiennes se sont retrouvées (sous une forme ou sous une autre) dans l'impasse. La dernière fois, cela s'est produit en janvier 2009. Et cette fois là a été signé à Moscou, selon les experts ukrainiens, le contrat gazier le plus défavorable pour l'Ukraine des vingt années de ses relations avec la Russie.

Le premier ministre ukrainien Nikolaï Azarov affirme que chaque mois, l'Ukraine paye jusqu'à 1 milliard de dollars de trop, ce qui équivaut à son budget annuel de la santé. D'ailleurs, en arrivant au pouvoir, l'équipe du nouveau président Viktor Ianoukovitch a tout d'abord commencé par la même chose – les propositions de diminuer le prix du gaz.

Une Ukraine "insociable"


La nomination de Mikhaïl Zourabov au poste d'ambassadeur russe à Kiev poursuivait des objectifs supplémentaires, tout aussi importants que la nomination précédente de Viktor Tchernomyrdine.

Cette fois, le nouvel ambassadeur avait la tâche complexe et ambitieuse de contribuer à l'adhésion de l'Ukraine à une nouvelle entité supranationale – d'abord l'Union douanière, puis, à terme, à l'Union eurasiatique.

Beaucoup d'experts russes affirment obstinément que l'adhésion de l'Ukraine à l'Union douanière avec la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan n'est pas si importante que cela pour Moscou. Mais ce n'est pas tout à fait vrai.

On pourrait bien sûr fermer les yeux sur le fait que la population de l'Ukraine (44 millions de personnes) représente pratiquement le double de celles de la Biélorussie (9 millions) et du Kazakhstan (16 millions) réunies. Mais le plus important est que la frontière commune de l'Ukraine, deuxième plus grande économie dans l'espace postsoviétique, avec la Russie, représente plus de 2.000 kilomètres qui ne sont pratiquement pas protégés (c'est la raison pour laquelle la mise en place de l'Union douanière avec l'Ukraine est à la fois une solution au problème du trafic et à celui de la protection des frontières qui ne sont actuellement pratiquement pas gardées, autrement dit une économie de plusieurs milliards de dollars).

Mais il existe une autre notion purement stratégique. La création de toute union, toute alliance supranationale dans l'espace postsoviétique sans l'Ukraine paraît déficiente en principe. Il y manquerait quelque chose.

Car toute union et entité supranationale (par exemple, l'Union européenne) n'est pas seulement créée pour réduire les dépenses (ce qui est important, bien sûr), mais également afin de faire front uni dans les questions politiques et internationales (ce qui a bien plus d'importance). On ne saurait se passer de l'Ukraine pour mettre en place un outil international aussi influent, tel que l'Union douanière ou eurasiatique.

L'élite politique ukrainienne semble en être bien consciente et pose une question rhétorique: "Si vous pouvez vous passez de nous, alors pourquoi vous obstinez-vous autant à nous faire adhérer à l'Union douanière?" Et elle propose en échange la formule palliative "3+1", dans laquelle l'Ukraine voudrait prendre sa position préférée – être partout en principe et nulle part concrètement.

Ainsi, en ce qui concerne la participation de l'Ukraine à l'Union douanière, le gouvernement russe a plus de questions que de réponses. Pour l'instant, cet objectif crucial de Poutine en matière de politique étrangère ne semble pas être atteint. Et même un gestionnaire de crise aussi compétent que Mikhaïl Zourabov n'a rien pu y faire. Pour l'instant. Pourquoi?

Une autre Ukraine

Après l'arrivée au pouvoir en février 2010 de Viktor Ianoukovitch, les experts russes estimaient que désormais, après une période de "guerre froide russo-ukrainienne", les relations entre les deux pays se normaliseraient. Que l'époque d'incompréhension et de confrontation personnelle entre les dirigeants était terminée (selon certaines informations, après août 2008, Medvedev et Iouchtchenko auraient pratiquement interrompu tout contact officiel et personnel).

En effet, la "période glaciaire" a cédé la place à un réchauffement intense, à commencer par les accords de Kharkov en avril et jusqu'en automne 2010. Les réunions au plus haut niveau étaient régulières, des dizaines d'accords intergouvernementaux ont été signés et l'activité de diverses commissions russo-ukrainiennes avait repris.

Cependant, comme le soulignait par la suite l'ex-président Leonid Koutchma, les relations se limitaient à des déclarations, et aucun projet n'a finalement jamais été réalisé, que ce soit dans le secteur de construction aéronautique ou navale, l'agriculture ou le domaine spatial.

Le mythe sur les relations amicales de confiance particulières entre les autorités actuelles de l'Ukraine et de la Russie s'est effondré en se confrontant à la réalité politique et économique.

D'autant plus qu'au printemps 2011, la Rada (parlement ukrainien) a une nouvelle fois confirmé l'orientation du pays sur l'Union européenne. Et de manière officieuse, lors de conversations avec des représentants de l'élite ukrainienne commerciale et politique, en 2010 (depuis les premiers jours de l'arrivée au pouvoir de Ianoukovitch), ils ont souligné à maintes reprises à l'auteur de ses lignes que l'équipe du nouveau président ukrainien incluait certes beaucoup d'amis personnels et de partenaires des représentants de l'élite politique russe, leurs camarades de classe, voire compères. Mais que cela ne veut rien dire, parce que depuis vingt ans, la majorité d'entre eux s'est réorientée sur l'Occident et a ses propres intérêts qui, souvent, ne coïncident pas avec les intérêts de leurs anciens copains russes. A l'époque, la Russie n'avait pas prêté attention à ce genre de discussions.

"Poutine v3.0" et l'Ukraine

Mais les relations russo-ukrainiennes ne peuvent pas être perçues comme uniquement négatives, lorsqu'on voit à Kiev une orientation exclusivement pro-occidentale (antirusse, comme l'interprètent souvent les experts).

La position la plus confortable pour l'Ukraine se trouve quelque part au milieu entre l'Occident et l'Orient. Une position dans laquelle le pays conserve un vecteur pro-occidental de développement tout en restant amical avec la Russie.

A l'époque de Koutchma, on appelait une telle politique "multivectorielle". Aujourd'hui, cette notion acquiert quelques nouveaux aspects. L'équipe de Viktor Ianoukovitch propose à la Russie et à l'Occident une sorte de formule des relations: "une union politique avec l'UE, et économique avec la Russie".

Le temps nous dira comment cette formule sera perçue par le nouveau-ancien gouvernement russe. Mais sa première visite symbolique à l'étranger, le président russe l'a effectuée à Minsk, et non pas à Kiev. Et l'élite politique ukrainienne l'interprète comme le premier signal du refroidissement de Poutine pour le "thème ukrainien".

Kiev est également préoccupé par le fait que la dernière visite de Poutine en Ukraine, en octobre 2010, en tant que premier ministre, ait conduit à un refroidissement brusque des relations entre les deux pays. Selon des informations officieuses, lorsqu'il s'est retrouvé en tête à tête avec le premier ministre Nikolaï Azarov, Poutine a proposé à l'Ukraine d'adhérer dans les plus brefs délais à l'Union douanière. Mais son homologue a poliment refusé son offre.

Ainsi, les autorités ukrainiennes et l'élite commerciale devront construire des relations avec le nouveau gouvernement russe à partir d'une base politique initialement défavorable pour elles. Et le président russe, très probablement, reviendra instamment sur le thème initial de l'Union eurasiatique.

 

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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