Le bastion de la morale dans une mer d'incertitude

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Fedor Loukianov - Sputnik Afrique
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A la veille du message présidentiel à l'Assemblée fédérale – le premier depuis le retour de Vladimir Poutine à la tête de l’Etat – des sources du Kremlin indiquaient que beaucoup de place serait accordée aux questions de sécurité nationale.

A la veille du message présidentiel à l'Assemblée fédérale – le premier depuis le retour de Vladimir Poutine à la tête de l’Etat – des sources du Kremlin indiquaient que beaucoup de place serait accordée aux questions de sécurité nationale.

Les amateurs de thèmes stratégiques – la défense et la politique étrangère – ont été déçus car le chef de l'Etat a été très laconique à ce sujet. Cependant, les sources n'avaient pas menti : le discours était effectivement consacré à la sécurité nationale mais cette notion est devenue différente, atypique pour la Russie auparavant.

Depuis la publication de ses articles de campagne en janvier-février 2012, Vladimir Poutine faisait référence à une seule et même idée en variant la forme et les genres : le monde extérieur est extrêmement dangereux, imprévisible, et cette situation ne fera que s'aggraver. D'ailleurs, le niveau d'interdépendance et de perméabilité est particulièrement élevé - et personne ne peut se mettre à l'abri des événements extérieurs. Les faits qui se déroulent à l’intérieur comme au-delà des frontières sont inséparables. L'instabilité extérieure entre en résonance avec les problèmes intérieurs et finalement, le premier renforce le second en créant un "entonnoir" de turbulences.

La politique du Kremlin, aussi bien nationale qu'étrangère, est appelée à minimiser cette turbulence et à réduire les risques. Sur la scène internationale, cela s'exprime par des tentatives pour empêcher les initiatives d'autres puissances qui, selon Moscou, aggravent le chaos et détruisent les derniers piliers du système de règles.

C'est exactement la signification de la position russe dans le conflit syrien – ne pas aggraver les problèmes si on ne peut pas les résoudre. Mais dès le départ ces possibilités sont limitées car la Russie n'est que l'un des acteurs influents, et ils sont nombreux. Pour cette raison, dans le "couple intérieur-extérieur" qui prédétermine la sécurité nationale au sens large du terme, il faut mettre l'accent sur ce qu'on contrôle le mieux, plus exactement ce qu'on peut influencer.

La sécurité de l'Etat dans le monde est déterminée par sa stabilité intérieure, sa capacité à résister aux influences extérieures. Poutine en est persuadé aujourd'hui. Et l'influence extérieure, ce ne sont pas les actions d'ennemis concrets, comme auparavant, mais l'impact général de l'environnement, où tout s'est mélangé dans un ordre aléatoire. Le président identifie les principaux paramètres qui sont pour lui des gages de stabilité.

C’est la première fois que dans ce genre de discours, on a entendu aussi souvent le terme "morale". Suivant le contexte, on comprend que l'état actuel de la société et de la classe dirigeante nécessite de redéfinir cette notion. Poutine a dit beaucoup de bien de la responsabilité civile, de la subordination au gouvernement et a critiqué l'immodestie des représentants publics en disant qu'ils devaient être un exemple moral.

Evidemment, de simples discussions ne changeront rien mais la question a été soulevée, ce qui est déjà important en soi. Pendant les longues années de réformes, le grand problème de la Russie résidait dans le fait que la transformation sociale était perçue avant tout comme un projet économique, où le modèle mathématique avait plus d'importance que le contenu. Même les débats enflammés sur les "valeurs européennes" avaient une dimension plus politique et même géopolitique que substantielle.

Le rappel, à plusieurs reprises, des problèmes de culture et d'enseignement est également appelé à donner une nouvelle direction au développement du pays. Les Russes prennent avec beaucoup de crainte ces idées qui changent en permanence les innovations dans l'enseignement, qui impliquent en général l'optimisation des dépenses et des institutions. Autrement dit, la quantité prime sur la qualité. Et bien que Poutine ait également souligné l'importance de la "restructuration" et qu'il soit impossible d'assurer le développement de la Russie sans rien toucher ni changer, il a aussi mis l'accent sur le besoin d’aspects social et humanitaires dans cette politique.

Le président a évidemment évoqué son thème démographique favori en rappelant une nouvelle fois que "nous devons être plus nombreux et meilleurs" pour réussir dans le monde. A ses yeux, les ressources humaines sont une véritable base de souveraineté, plus importante que les autres. Poutine a également introduit une nouvelle notion : le rôle géopolitique de la Russie. Selon lui, le pays ne doit pas se contenter de conserver son rôle géopolitique, il doit le renforcer :

"La Russie doit être attirante pour ses voisins et partenaires. C'est important pour nous. Je tiens à souligner que cela se rapporte à notre économie, à notre culture, à notre science et à notre éducation, ainsi qu'à notre diplomatie, particulièrement à notre capacité d’organiser une action collective sur la scène internationale. Et bien sûr, cela concerne la puissance militaire du pays, garante de la sécurité et de l'indépendance de la Russie".

"Nous devons aller uniquement de l'avant, vers l'avenir." Cette constatation prolonge certains passages des articles de campagne où Poutine faisait remarquer que l'époque postsoviétique était terminée et que l'ordre du jour, à ce sujet, était épuisé. Ce n'est pas un secret : pendant presque 20 ans, le leitmotiv de la politique russe était la guérison du traumatisme suivant l'effondrement de l'URSS, ce qui avait ses avantages et inconvénients. Cependant aujourd'hui, Poutine souligne que l'histoire de la Russie n'a pas commencé en 1917 ou en 1991 et que la nation doit s'appuyer sur des références de plus de mille ans.

En particulier, il évoque une seconde fois le besoin de rendre hommage aux victimes de la Première guerre mondiale qui ont été pratiquement rayées de l'histoire russe à l'époque soviétique. Les propos de Poutine laissent espérer que la société russe commencera à abandonner les débats infructueux sur le XXème siècle, stériles depuis longtemps, sans aucune "valeur ajoutée" intellectuelle, et cherchera un nouveau matériel historique pour construire son identité.

Poutine a évoqué probablement l'un des plus sérieux problèmes : le rôle de la langue et de la culture russe en tant que facteur fédérateur. On a toujours considéré ce point comme allant de soi mais, à mesure qu'on s'éloignait de la conscience impériale qui, entre autres, sous-entendait la multinationalité sous un même "parapluie", les problèmes d'autodétermination risquent de devenir un autre facteur de turbulences. Comme à l'époque de sa campagne présidentielle, Poutine s'est distancé des concepts de nationalisme et de chauvinisme comme facteur destructeur pour les nations, qu'ils sont, soi-disant, appelés à défendre. Toutefois, c'est dans cette sphère que la Russie risque d'être confrontée aux plus grands défis dans les années à venir- il faudra accorder une attention toute particulière aux différends interethniques et interconfessionnels.

Poutine a une nouvelle fois souligné l'inadmissible imposition de toute forme de démocratie et de participation d’intérêts financiers d'autres pays dans la vie politique russe. Cependant, contrairement aux attentes de ceux qui comptaient sur des déclarations sévères contre les forces extérieures, presque rien n'a été dit à ce sujet. De plus, Vladimir Poutine a indiqué que dans l'état actuel, délabré, de la société, "aucun ennemi extérieur n'était nécessaire car elle s'effondrerait d'elle-même".

On peut également le voir comme l'abandon du discours postsoviétique car il n’était basé que sur la polémique éternelle de savoir qui a fait effondrer l'URSS. Ces dernières années, il semblait que le point de vue dominant était : les "ennemis extérieurs". Le message du président ouvre une nouvelle étape et les questions sont clairement posées. Très rapidement, on saura s'il y aura des réponses.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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