Le Blitzkrieg à la française

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Jean-Dominique Merchet - Sputnik Afrique
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L’intervention française au Mali, baptisée Serval du nom d’un petit félin du désert, restera dans les annales militaires. Et ce, qu’elle qu’en soit l’issue politique dont il est aujourd’hui bien trop tôt pour présager.

L’intervention française au Mali, baptisée Serval du nom d’un petit félin du désert, restera dans les annales militaires. Et ce, qu’elle qu’en soit l’issue politique dont il est aujourd’hui bien trop tôt pour présager.

Pendant longtemps, la rapidité et l’efficacité de cette opération seront étudiées dans les écoles militaires. Il y a en effet de quoi impressionner ! C’est à une véritable guerre éclair (Blitzkrieg en allemand) à laquelle nous avons assisté depuis son déclenchement impromptu le vendredi 11 janvier.
Blitzkrieg ? Entre le moment où le président François Hollande décide d’engager la force pour contrer l’offensive djihadiste, à la demande des autorités maliennes et avec l’approbation quasi unanime de la communauté internationale, et celui où le premier hélicoptère de combat ouvre le feu en plein cœur de l’Afrique, il ne s’est passé que cinq heures…. C’est moins longtemps qu’il n’aurait fallu aux forces américaines pour déclencher une frappe de précision à partir de bombardiers stratégiques. Pour obtenir un tel résultat, il faut réunir plusieurs conditions qui témoignent de la « spécificité » militaire française en ce début de XXIème siècle.

Tout d’abord, une chaîne de décision politico-militaire extrêmement courte. Sous la Vème République, le chef de l’Etat est le véritable chef des Armées. C’est une conséquence de la dissuasion nucléaire : toute la chaine de commandement est centrée autour du président de la République. Pour agir, il a auprès de lui un chef d’état-major particulier, le général Puga, et transmets ses ordres de manière très directe au chef d’état-major des armées, l’amiral Guillaud. Le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, est un proche de François Hollande et il est associé à toutes les décisions de manière extrêmement étroite. Les décisions se prennent donc très vite, dans un bureau de l’Elysée et elles sont immédiatement appliquées. Le contrôle parlementaire n’intervient que plus tard… dans les quatre mois qui suivent le déclenchement de l’opération comme le prévoit une récente (2008) réforme constitutionnelle.

Il faut ensuite disposer de troupes à proximité de la zone où elles sont intervenues. C’est ce que l’on appelle en jargon militaire français, des « forces prépositionnées ». Elles ne sont pas forcément nombreuses (moins de 5000 en Afrique, par exemple) mais elles sont réparties en de nombreux points. Pour le déclenchement de l’opération Serval, des moyens militaires français provenant que quatre pays ont été engagés : le Sénégal, la Cote d’Ivoire, le Tchad et le Burkina.  Alors qu’une autre opération était en cours pour la protection des ressortissants français à Bangui, capitale de la Centrafrique, menacée par une crise politique interne.

Le précédent Livre blanc de la Défense (2008) prévoyait de fermer une partie des bases françaises sur le continent africain, mais la chose s’est avérée impossible à réaliser. Résultat : la France maintient des troupes en Afrique avec toute une gamme de moyens. Une importante base aérienne au Tchad (N’Djaména) avec des avions de combat, des forces spéciales – dotées d’hélicoptères – au Burkina (Ouagadougou), des avions de patrouille maritime – très utiles pour le recueil du renseignement au-dessus des zones désertiques – au Sénégal (Dakar), des blindés légers - VAB et Sagaie armées d’un canon - en Cote d’Ivoire (Abijdjan).

Et un peu partout, des compagnies « tournantes » d’infanterie qui effectuent des séjours de plusieurs mois en Afrique. Ce sont tous ces moyens qui ont été immédiatement mobilisés au départ.  Ainsi, le premier coup d’arrêt a été porté par des hélicoptères Gazelle du Commandement des opérations spéciales (COS) qui étaient stationnées à un peu plus de 300 kilomètres. Ce sont d’ailleurs les seuls pertes du conflit, côté français : un pilote tué par une balle qui a lui sectionné l’artère fémorale et un hélicoptère abattu mais dont l’équipage est sain et sauf.

Troisième facteur : la planification. Une telle opération ne s’improvise pas. Il faut qu’un plan soit près, dans un tiroir de l’état-major des armées. On le sait, les militaires passent leur temps à planifier des opérations selon différents scénarios afin  ne pas être pris au dépourvu lorsqu’une crise se déclenche et que le Président se tourne vers le Chef d’état-major en lui demandant : « Amiral, que peut-on faire ? » La crise malienne n’est pas un coup de tonnerre dans un ciel serein.

Le coup d’Etat de fevrier 2012 a plongé dans un chaos politique dont l’offensive des djihadistes n’est qu’une conséquence. Certes, un autre plan était prévu avec la mise en place progressive d’une force africaine pour assister l’armée malienne – elle aussi remise en condition et conseillée par la France et ses alliés européens. Ce beau plan, validé par les Nations Unies, a volé en éclats sous les coups de butoir de deux colonnes djihadistes passées à l’offensive. Il a alors suffi de sortir le plan B d’une armoire forte de l’état-major et de réactualiser en fonction des informations remontant du terrain. Cinq heures plus tard, les canons crachaient.

Quatrième point : la logistique. Bamako est à 4000 kilomètres de Paris – soit l’équivalent de Moscou à Karachi… Et sur le théâtre malien, les distances se comptent en centaines de kilomètres : 700 km entre Bamako et Tombouctou par exemple. Ce sont des « élongations » considérables. Or, en trois semaines, plus de 3500 hommes ont été « projetés » soit l’équivalent d’une brigade. On le sait, la France souffre d’un déficit de transport aérien militaire du fait du vieillissement de sa flotte.

L’armée de l’air n’a pu assurer qu’un quart du transport stratégique – un autre quart a été fourni par les alliés (Etats-Unis, Grande-Bretagne, etc) et la moitié en louant des gros porteurs à des compagnies privées, notamment russes. Sur place, les blindés légers sont arrivés par la route ! 1100 kilomètres entre Abijdan et Bamako.  C’est plus que Paris-Berlin… Toutes ses forces doivent évidemment être soutenues et ravitaillées dans l’un des pays les plus pauvres du monde. Un flux logistique permanent, considérable, est mis en place, ne serait-ce que pour fournir l’essence des véhicules.

Dernier point : le renseignement et l’action. Ils vont de pair. La France a mis en place d’importants moyens de renseignements, notamment aériens, les seuls capables de couvrir une zone aussi vaste. Américains et Britanniques l’aident. On le sait, la France manque cruellement de drones – elle n’a pu déployer que deux d’entre eux et encore ne sont-ils pas armés et de technologie relativement ancienne. C’est l’une des grandes faiblesses de l’opération en cours.

Sur le terrain, les militaires sont soutenus par une volonté politique très claire : détruire les terroristes. Stoppés manu militari, ceux-ci ont préférés décrochés plutôt que d’affronter une armée française plus forte qu’eux. Mais ils n’avaient sans doute pas prévu que l’armée française les poursuivraient sans relâche : leurs villes sanctuaires du nord (Tombouctou, Gao, Kidal) ont été reprises, y compris en larguant des parachutistes ! Et dès qu’ils sont localisés, l’aviation vient les frapper. Comme le dit un proche du ministre de la défense «  l’idée est de tuer le maximum de ces connards ». Dans le temps le plus bref possible. Vous avez dit Blitzkrieg ?

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction.

* Jean-Dominique Merchet, journaliste spécialisé dans les affaires de Défense. Auteur du blog français le plus lu sur ces questions, créé en 2007. Ancien de l’Institut des hautes études de défense nationale. Auteur de nombreux ouvrages dont : « Mourir pour l’Afghanistan » (2008), « Défense européenne : la grande illusion » (2009), « Une histoire des forces spéciales » (2010), « La mort de Ben Laden » (2012).

 

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