Syrie: deuxième anniversaire d'une guerre fratricide

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Le 17 mars 2011 au soir, assise sur un banc au Central parc de New York j'expliquais à un historien curieux de mieux comprendre l'organisation de la société syrienne, notamment la situation des minorités ethniques et religieuses, comment ça se passait chez nous. Avec une ardeur inimitée, je défendais contre les clichés répandus en Occident le pays qui est devenu le mien après une longue période d'adaptation. J'expliquais que contrairement à ce que l'on croyait souvent, notre société était unie et ne faisait aucune distinction entre les nombreuses ethnies et confessions dont elle était constituée.

Le 17 mars 2011 au soir, assise sur un banc au Central parc de New York j'expliquais à un historien curieux de mieux comprendre l'organisation de la société syrienne, notamment la situation des minorités ethniques et religieuses, comment ça se passait chez nous. Avec une ardeur inimitée, je défendais contre les clichés répandus en Occident le pays qui est devenu le mien après une longue période d'adaptation.

J'expliquais que contrairement à ce que l'on croyait souvent, notre société était unie et ne faisait aucune distinction entre les nombreuses ethnies et confessions dont elle était constituée. Sunnites, orthodoxes, chiites, catholiques, druzes, ismaélites, mais aussi Kurdes, Turkmènes, Arméniens, Tcherkesses et beaucoup d'autres coexistaient tous à l'intérieur d'un même pays malgré leurs différences. Cette tolérance envers autrui était une conséquence naturelle de l'histoire de cette vieille terre souvent appelée "berceau des civilisations". Certes, l'intolérance existait chez certains, mais il s'agissait plutôt d'une exception, expliquais-je. "Votre vision sur nous est souvent erronée", tel fut mon message.

Le lendemain matin je venais de me réveiller lorsque l'amie avec qui j'étais en vacances m'a lancé: "Ça a commencé chez vous: au moins quatre manifestants tués". Les mains tremblantes j'ai ouvert Facebook. A l'intérieur de moi-même je voulais m'assurer que rien ne s'était passé, mais… Des amis français et belges rencontrés en Syrie appelaient à ne pas céder aux provocations et à bloquer les pages incitant à la haine entre les chiites et les sunnites. Quant aux Syriens, les uns dénonçaient le régime dressant une longue liste d'accusations accumulées sur quarante ans de gouvernance, les autres démasquant un complot et qualifiant de traître tout opposant. Si hier encore on était unanimes sur la situation dans les pays touchés par le printemps arabe et condamnait à l'unanimité la répression des civils, tout a changé du moment qu'il s'agissait de notre propre pays. En un seul jour, la société a été divisée en deux camps et la fissure apparue revêtait impitoyablement un caractère confessionnel. C'est là que j'ai appris l'existence des salafistes ainsi que celle des chabbiha (miliciens pro-régime), que j'ai entendu des pamphlets ségrégationnistes. J'ai réalisé, et les deux ans de violences qui ont suivi le prouvent bien, que l'Occident n'était pas le seul à se tromper à notre égard, mais que nous-mêmes nous étions inconscients de l'envergure de la haine qui résidait en nous.

Sur le fond, tout Syrien était conscient de la nécessité de réformes économiques et même politiques. C'est le choix de la voie à emprunter afin de les mettre en œuvre et l’image de l’avenir désiré pour le pays qui variait d'un groupe à l'autre.

Certains considéraient que tirant une leçon du renversement des régimes tunisien et égyptien, les autorités syriennes prendraient, d’elles-mêmes, l’initiative d’adopter une série de mesures visant à atténuer les inégalités sociales et économiques et mettraient le cap sur la démocratisation du pays, ce qui assurerait une période de transition douce, quoique lente.

«Il fallait juste patienter, les autorités étaient prêtes à agir, une série de décrets et d’arrêtés étaient en discussion», indique un comptable syrien. Selon lui, consciente des projets de réformes envisagés par le gouvernement, l’opposition a pris ses devants. «Les anti-régime savaient que personne ne les suivrait une fois les premières réformes sont amorcées», poursuit-il.

Mais pour d’autres, les premières émeutes antigouvernementales étaient un souffle d’air frais après de longues années de silence imposé et il était hors de question de reculer d’un seul pas sur leur position.

« Je m’y attendais depuis que les émeutes ont commencé à secouer la Tunisie, je me demandais si la révolution du jasmin se propagerait à d’autres pays. Lorsque la première manifestation pacifique a été matée dans le sang à Deraa j’ai éprouvé un mélange de chagrin et d’optimisme – c’était le premier pas vers le sauvetage », indique un médecin ayant requis l’anonymat.

Ceux qui il y a encore quelques jours n’arrivaient pas à croire que les présidents arabes pouvaient être renversés par la simple volonté du peuple se sont du coup retrouvés sur la place centrale de leur ville scandant des slogans de soutien à Deraa, berceau du soulèvement syrien. «Ce qui s’est passé à Deraa m’a profondément bouleversé et j’ai compris où on en arrivera. La répression sanglante a ressuscité dans nos âmes la protestation, tout ce qui s’est accumulé au cours des décennies a poussé les habitants de mon agglomération à descendre dans la rue pour soutenir le peuple de Deraa », explique un habitant d’une banlieue de Damas.

Toutefois, les premiers symptômes de la transformation du printemps arabe en hiver islamiste ont dissuadé certains de se ranger du côté de l’opposition.

Fervent militant anti-régime lors de l’éclatement de la crise, cet informaticien occupe aujourd’hui une position neutre : «Je ne suis ni avec le pouvoir, ni avec l’opposition qui veut priver mon pays de ses couleurs pour le rendre semblable à la Libye ou à l’Egypte. Notre pays est fait de différences, et c’est ce que faisait son charme».

La neutralité séduit également ceux qui soutenaient encore hier le régime. « Au début, j’étais de tout mon cœur avec le pouvoir », assure un homme originaire de Sweïda (sud). A l’époque notre pays était réputé pour sa sécurité. Ces atouts ainsi qu'une série d’autres m’ont laissé m’opposer au printemps arabe. (…) Mais un jour j’ai constaté que les deux parties en conflit avaient commis une série d’erreurs et c’est le peuple qui en payait le prix ».

« Peuple »: malheureusement pour la plupart des Syriens ce concept ne renvoie aujourd’hui à aucune réalité, le pays étant partagé en «nous », les justes, et « eux », à qui on impute aveuglement tous les crimes et contre qui on doit se venger à tout prix.

A mon avis, dans une guerre civile il n’y a pas de justes et les parties en conflit sont dans une même mesure responsables du chaos dans lequel le pays est plongé. 70.000 morts, un million de réfugiés, deux millions d’enfants souffrant de la faim, tel se présente à ce jour le bilan du conflit civil qui aurait pu être évité, si le régime et l’opposition avaient opté pour un dialogue.

Pour conclure je citerai une phrase d'un film consacré à la révolution d’octobre 1917, mais qui reste d’actualité près d’un siècle plus tard : « Au début, la révolution amène à l’esprit l’image d’un héros à cheval et tenant un drapeau. Mais tu vis et tu découvres que la révolution est une ordure, une effusion de sang, un fratricide».

 

Par un journaliste de RIA Novosti ayant vécu en Syrie et souhaitant garder l'anonymat.

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