Israël contre l’Iran. Une guerre imminente ? Entretien avec Mohamed-Rédha Mézoui

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Financée par un milliardaire, une exposition consacrée au prix de la liberté aux USA vient d’être inaugurée au Musée National de l’Histoire des Etats-Unis. Le prix de la liberté dans l’Empire Outre-Atlantique, ça serait quoi au juste ?

Des paquets de dollars tapés à la machine bien croustillants, bien alignés ? Des Présidents assassinés pour avoir combattu au nom de la liberté ? Des pays délivrés de la même façon que l’Allemagne du III Reich avait voulu délivrer l’URSS du bolchevisme ? Ce qui aujourd’hui est devenu incontestable, c’est que l’Amérique préfère payer en liquide. Au sens on ne peut plus propre du terme. Elle paie avec le sang des autres. C’est d’autant plus vrai que la part des soldats étasuniens morts pendant la guerre en Irak ne dépasse pas les 0,3 pour cent. Se moquerait-on du sort des autres 99,7 pour cent ? Je vous renvoie, à titre de réponse, à la réaction de Mme. Albright lorsqu’on lui demanda son point de vue sur les enfants irakiens victimes de l’embargo de 1990-2003 : « C’était le prix à payer ». Voici comment les USA achètent leur liberté, voici la façon dont ils procèdent au remodelage du monde selon une théorie devenue infaillible depuis la fin de la II Guerre Mondiale. Grosso modo, il s’agit de créer un monde soumis à un système pyramidal avec des nations élues et le reste, concentré à la périphérie, dont le seul destin consisterait à servir les plus forts de ce monde. Naturellement, noblesse oblige, ceux qui croient avoir déjà endossé le titre de Seigneur des Agneaux se décarcassent encore pour déguiser leurs motifs bellicistes. Une telle noblesse de façade est elle aussi bien provisoire.

Ce bloc conquérant qui s’en donne actuellement à cœur joie à la destruction du Proche-Orient et de l’Afrique ne se limite bien sûr pas à une poignée de pays européens avec, pour chef d’orchestre, Washington. Israel est non seulement de la partie, mais représente en plus, en soi, le parrain de cette philosophie exclusiviste héritée des années les plus sombres du XXème siècle. Nonobstant quelques perturbations dans les relations de Netanyahu et du parti républicain des USA, on a toujours du mal à comprendre qui motive qui en premier lieu, que ce soit au début des « Croisades» occidentales en Irak, que ce soit, un peu plus tard, en Lybie, que ce soit maintenant en Syrie ou ultérieurement, car les cloches sonnent le tocsin, en Iran. L’Iran, cette dernière forteresse à prendre au cœur du Moyen-Orient comme l’Algérie en Afrique. Deux états parfaitement souverains encerclés par les ambitions de ceux qui devant leur échiquier se veulent « forts ». Et après ? Le dénouement ? Obama vient de quitter Tel-Aviv après avoir rendu une visite-éclair à Shimon Peres et Benyamin Netanyahou. Un grand nombre d’experts considère qu’il leur a donné son feu vert pour une attaque contre l’Iran.

Pour mieux cerner les tenants et aboutissants de cette hypothèse, j’ai eu l’honneur de contacter M. Mohamed-Rédha Mézoui, géostratège de renom, professeur émérite à l’Université d’Alger 3.

La VdlR. « M. Mezoui pourriez-vous vous présenter à nos auditeurs, s’il vous plaît ?

M. Mezoui. Je suis d’abord un professeur d’université, professeur à l’Université d’Alger 3. Je suis consultant international. Je suis l’un des fondateurs de l’Institut des stratégies globales en Algérie. J’ai occupé des postes comme conseiller dans les ministères et même au niveau du Président de la République. Je dirige donc une spécialité à l’Université sur les politiques comparées et les politiques publiques. J’ai une revue sur les politiques publiques et comparées.

La VdlR. Dans vos Prolégomènes dont la clarté et l’exactitude ont en effet tout de kantien, vous parlez d’une « guerre éclair » imminente d’Israel contre l’Iran, un peu sur le modèle allemand de la Blitzkrieg. Selon l’Etat hébreu, Téhéran serait sur le point d’atteindre sa capacité nucléaire maximale. Le seul intéressé dans cette attaque serait bel et bien Israël, les USA étant prêts, dans un certain sens, à se désister. Par ailleurs, un autre expert, M. François Belliot, affirme quant à lui que c’est toujours l’Outre-Atlantique qui tir les ficelles, cela, pour deux raisons fondamentales. La première est théorique : l’Iran représente un état-nation parfaitement souverain, or l’idée de nation répugne en principe au système anarchocapitaliste étasunien. Le second est pratique : lorsque les USA auront épuisé leurs réserves de pétrole, ils essayeront de s’accaparer des ressources gazières dont l’Iran regorge. Que pensez-vous de ce dernier point de vue ? Ne croyez-vous pas que les USA tentent de faire faire tout le « sale boulot » à leurs frères israéliens ?

M. Mezoui. Ce n’est pas étonnant du tout tellement c’est imbriqué. La tendance de cette première partie du XXIème siècle saute aux yeux : deux blocs sont en train de se constituer. Le bloc Asie-Pacifique qui est en plein développement, selon la majorité des prospectives décrivant la même réalité. Le bloc atlantiste qui s’affirme de plus en plus et qui fait tout pour parer à cette éventualité qui est la montée en puissance du bloc antagoniste (…). Pour ce qui est d’Israël, bien entendu, on constate l’utilisation de toutes les contradictions entre tous les acteurs au Moyen-Orient, shiites, sunnites, etc., intérêts particuliers, intérêts généraux avec l’application de la doctrine Begin qui veut qu’Israël reste seul maître du nucléaire dans la région.

La VdlR. Imaginons maintenait que la guerre préventive d’Israël contre l’Iran ait lieu. Quelles en seraient à terme les conséquences pour le Proche-Orient, pour Israël lui-même, pour l’Occident d’une façon générale ?

M. Mezoui. Alors pourquoi dis-je qu’une guerre préventive est imminente … D’abord, il y a le croissant shiite. N’importe quel militaire vous dira qu’on ne peut pas ouvrir plusieurs fronts, qu’il faut se limiter à un seul front. Or, vous savez très bien que ce qui s’est passé avec le Hamas au Liban a montré qu’en fait il ne faut pas sous-estimer ses ennemis. Et le Hamas a donc pu faire face aux Israéliens parce qu’il jouissait du soutien de l’Iran et de celui de la Syrie. On sent ainsi qu’il y a un détricotage de la Syrie qu’il convient de casser. Cet acharnement contre Bachar, cette animosité, s’il n’y avait pas eu le veto russe et chinois, auraient conduit à la répétition exacte du scénario libyen. Le cas libyen a pour sa sa part mis à nu les véritables intentions de l’OTAN qui consistent à remodeler le monde. On déstabilise la Syrie pour que le Hezbollah n’ait plus aucun soutien et ensuite, il ne reste plus qu’à s’attaquer à l’Iran, ce qui ne représentera plus une manœuvre difficile sachant que toutes les pétromonarchies jouent contre Téhéran. Pourquoi ? Parce que l’Iran remet non seulement en question la suprématie religieuse de l’Arabie Saoudite en disant que le monopole de la Mecque n’appartient pas uniquement aux Saoudiens mais en plus fait peur aux petites monarchies intimidées par un Iran jugé trop puissant. Ainsi, cet Etat parfaitement autonome est devenu la bête à abattre. Bien plus, il y a l’influence extérieure puisque les néolibéraux ne veulent pas d’état-nation qui bloque l’avancée de leur idéologie. Vous savez que les Américains veulent dominer de petits états fédéraux dont ils peuvent faire ce qu’ils veulent. En 1999, la Commission de l’ONU a bien dit que le nouveau pouvoir est d’emblée représenté par les multinationales et que tous les gouvernements sans exception sont à leur service. Et quand on sait que les plus grandes multinationales appartiennent aux USA, il est clair qu’un remodelage capital est en cours de réalisation. Comme le démontre la théorie de Brzezinski, auteur du Grand échiquier, ce sont les Américains qui jouent et les autres ne sont rien d’autre que des pions.

La VdlR. Ce processus est selon vous irréversible ?

M. Mézoui. Oui, il l’est. Cependant, pour qu’il y ait moins de fractures, il faudrait qu’il soit plus équilibré, plus humain. Or, que voit-on à ce jour ? Le capitalisme qui s’est transformé en capitalisme financier est en rupture total avec la réalité dans la mesure où il a viré à la spéculation la plus basse. On voit bien que les nouveaux maîtres du monde ce sont les agences de notation et derrière elles, les banques. Les agences n’ont hélas pas d’âme ».

Peut-on philosopher après Auschwitz ? Cette question que se posaient beaucoup de penseurs entre les années de l’après-guerre et les années 60 avait suscité des œuvres aussi repoussantes, aussi nauséabondes que Les mains sales, des œuvres aussi naturalistes et bouleversants que le Si c’est un homme de Primo Levy. Le monde croyait avoir tiré quelques leçons des ignominies vécues mais on voit aujourd’hui que les aspirations de l’Allemagne nazie n’étaient qu’une première phase de cette Œuvre au noir entamée il y a déjà près de cent ans. Partant du même principe, peut-on aujourd’hui parler de déontologie, de droit international ou d’état d’âme après le Kosovo, après l’Irak, après la Lybie, après la Syrie et les menaces récurrentes contre l’Iran ? Que penser du sort des Palestiniens ? Cela fait belle lurette que le stade de l’œuvre au Noir est dépassée. La pierre philosophale des USA et d’Israël qui a sa bénédiction est un Proche-Orient soumis, dompté, saigné à blanc. Espérons néanmoins que miracle se produise et que le remodelage du monde se fasse autrement que ne le prédisent les experts les plus calés.

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