Russie: les "agents étrangers" cherchent une échappatoire

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Les organisations non gouvernementales (ONG) ont trouvé un moyen de contourner la loi sur les "agents étrangers", écrit le quotidien Kommersant du 13 juin 2013.

Les organisations non gouvernementales (ONG) ont trouvé un moyen de contourner la loi sur les "agents étrangers", écrit le quotidien Kommersant du 13 juin 2013.

Elles renoncent officiellement à tout financement étranger mais leurs employés travaillent en parallèle dans des structures commerciales spécialement créées pour recevoir de l'argent provenant d’autres pays que la Russie. Les ONG qualifient ce schéma de "mesure forcée", qui pourrait s'avérer inefficace contre l'agression des autorités. "Il devient dangereux de développer une activité indépendante de l'Etat", avertit le Comité des initiatives civiles.

La nouvelle mouture de la loi sur les ONG introduisant la notion d'"ONG remplissant les fonctions d'agent étranger" a été adoptée en été 2012. Le texte qualifie d'agent étranger une organisation financée depuis l’extérieur de la Russie ou par des personnes morales russes bénéficiant d’un financement étranger et participant à "l'activité politique" du pays. Même la "formation de l'opinion publique", qui pourrait influer sur la décision des autorités, est également reconnue comme activité politique.

L'adoption de la loi "restreignant l'activité civile a été suivie d’une application arbitraire", annonce le communiqué du Comité des initiatives civiles signé par son président Alexeï Koudrine et 26 membres du Comité. Au vu du flou entourant la notion d’"activité politique", les forces de l'ordre sont intervenues auprès d’organisations pour la "protection des droits de l'homme" (Memorial), pendant des séminaires (Ecole d'études politiques de Moscou), des tables rondes (Centre de soutien des initiatives civiles de Kostroma), des recherches scientifiques (l'Association des centres indépendants d'analyse économique) et dans des centres de sondage (le centre Levada). La loi a même affecté les organisations qui "aident les malades et protègent les grues sauvages".

Une ONG-agent étranger doit s'enregistrer sur un registre spécifique auprès du ministère de la Justice. Plusieurs ONG œuvrant dans le domaine des droits de l'homme et susceptibles de se retrouver dans le champ d'application de cette loi ont trouvé un moyen de la contourner.

Le dirigeant d'une organisation - qui a souhaité garder l'anonymat – explique la technique : l'ONG dite "principale" renonce complètement à sa coopération avec des partenaires étrangers et travaille uniquement avec un financement russe. Mais une "succursale" commerciale est enregistrée en parallèle pour accepter les commandes depuis l'étranger, sans pour autant être concernée par la loi sur les ONG. "Sachant que les mêmes personnes travaillent et reçoivent un salaire dans les deux organisations", a expliqué le directeur anonyme. Selon lui, une quinzaine d'ONG travaillent déjà de cette manière.

Cette méthode permettra aux ONG de ne pas accompagner chacune de leurs publications de la mention "agent étranger". L'une des organisations visées par le Parquet étudiait une possibilité similaire : enregistrer un fonds-agent étranger recevant des subventions de l'étranger.

Cette organisation a souhaité garder l'anonymat : "La fin s'approche à cause de toute l'attention portée sur nos problèmes – les gens avec qui nous travaillons commencent même à douter du fait qu'on pourra continuer à travailler".

"C'est une mesure forcée pour les ONG mais il ne faut pas sous-estimer le niveau d'agressivité de l'autre côté. Nous pouvons envisager toutes les solutions possibles et imaginables mais si on voulait vraiment faire pression sur nous cela ne serait d'aucune aide", a déclaré Grigori Melkoniants, directeur adjoint de l'association Golos (Voix). Golos a déjà été administrativement poursuivie pour sa réticence à s'inscrire dans le registre des "agents étrangers" mais l'association ne compte pas recourir aux schémas alternatifs. Selon son directeur adjoint, le contournement de cette loi est susceptible de provoquer une pression médiatique et des "accusations plus graves" comme celle de fraude.

Le Comité des initiatives civiles souligne que la loi russe est "inadéquate par rapport à ses analogues en Occident" : la loi américaine sur l'enregistrement des agents étrangers (Foreign Agents Registration Act, FARA) réglemente par exemple l'activité de véritables agents – qui agissent sous la directive des clients étrangers. Or en Russie pratiquement toutes les organisations recevant de l'argent depuis l'étranger ont commencé d’être reconnues comme "agent étranger" sans discernement. "Pour changer la situation il faut exclure la large interprétation de la notion d’"activité politique", faire cesser l'arbitraire envers les ONG et dévoiler les informations sur le montant réel et l'utilisation précise de l'argent extérieur envoyé aux organisations russes". En avril le président Vladimir Poutine avait déclaré que depuis l'entrée en vigueur de la loi 654 "agents étrangers" avaient reçu près d’un milliard de dollars depuis l’étranger.

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