Les Français squattés

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C’est une bien mauvaise surprise qui attendait Odette Lagrenaudie, 84 ans, lorsqu’elle est rentrée chez elle à Bordeaux après plusieurs mois d’absence : les serrures sur les portes de sa maison avait été changées tandis que des familles d'émigrants bulgares occupaient désormais les pièces de son appartement.

« Au début, je n’ai rien compris mais, aujourd’hui, ça me rend malade de me dire qu’ils dorment dans mon lit » explique l’octogénaire, qui après une opération avait séjourné pendant quelques mois chez son fils à Cherbourg. Il faut dire qu’elle n’a été prévenue d’une possible occupation de son appartement que par l’intermédiaire de ses voisins vigilants. N’en croyant pas ses oreilles, Mme Lagrenaudie est revenue chez elle et n’ayant pas eu la possibilité d’entrer dans sa propre maison ou elle vit depuis plus de 55 ans, a été contrainte de louer une chambre à l’hôtel.

Ainsi, Odette Lagrenaudie a été victime de l’activité du DAL (Droit au logement), une association indépendante s’occupant des sans-logis pour leurs procurer un logement indépendamment du fait qu’ils aient ou non leur permis de séjour, la citoyenneté et un travail. Nous avons interviewé Pierre Fribourg l'avocat de la victime, qui a commenté cette situation de la manière suivante :

Pierre Fribourg. « Madame Odette Lagrenaudie a été opérée au mois de février et elle est partie se reposer chez son fils à Cherbourg. Au cours du mois de juin, les voisins lui ont signalé que son appartement qu‘elle a avait laissé libre était occupé. Ce sont les voisins qui ont appris qu‘il était occupé par le DAL (Droit au logement), une association indépendante s’occupant des sans-logis et des personnes expulsées, qui avait estimé que l’immeuble était libre et qui est entrée dans l’immeuble après avoir ou non cassé la porte. En tout cas, ils ont changé les serrures. Et ils ont installé dans l’immeuble plusieurs familles d’origine bulgare et arménienne. Cette dame, la propriétaire de l’immeuble, l’ayant appris, est revenue à Bordeaux et a constaté que son immeuble était occupé. Depuis, elle attend qu’on le libère et elle est très scandalisée par ces gens qui sont entrés chez elle avec le DAL. Et c’est profondément anormal. Seule l’autorité publique, c’est-à-dire l’Etat, peut réquisitionner l’immeuble. On ne peut même pas  imaginer que tu rentres chez soi après un congé par exemple et que tu trouves ta maison occupée. C’est tout à fait inhabituel et illicite. Ma cliente vit à l’hôtel maintenant ».

Le squat, c’est à dire l ‘occupation illégale d'un lieu dans une perspective d’habitat sans l'accord du propriétaire, s’est répandu en Europe dans les années 70 du XXe siècle. Cependant, au début du XXIe siècle, le mouvement a fait son apparition en France. Mais les squatters modernes ne sont pas des marginaux ou des artistes libres. Dans le cas du DAL par exemple, ce sont des militants idéologiques luttant contre l'inégalité sociale. En envahissant les immeubles vacants, ils obligent les autorités à les « réquisitionner » pour accueillir les sans-abri. Selon l’association, l’immeuble de madame Lagrenaudie présentait tous les signes d’un logement abandonné. « Notre but n'est pas de la mettre à la rue » explique Myriam, militante au DAL 33.

Myriam. « En entrant dans cet immeuble qui avait été ouvert, on a vu qui il était vétuste et il n’y avait pas d ‘affaires personnelles : pas de vêtement, pas de photos, pas de vaisselle. Il y avait des ordures à l‘entrée, les toilettes étaient bouchées. Tout ça nous a fait croire que cet immeuble n’était pas occupé. Il n’y avait pas un seul signe visible de l ‘occupation de cet immeuble. Il n’a jamais été question pour le DAL de mettre des gens à la porte, dans la rue. Nous existons pour faire sortir les gens de la rue et non pour les mettre dans la rue. Cette dame, elle a une procédure tout à fait légale : nous, concrètement, ce qu’on nous a dit, c’est qu’il n’est pas de question d’expulser les gens et elle nous a donné son autorisation par téléphone de rester jusqu’en septembre et puis elle a changé d’avis. Et nous, nous n ‘avons pas d ‘autres solutions parce que l’association n’a pas d’immeubles, on n’a pas d’appartement et ça c’est le problème au niveau des pouvoirs publics, préfecture et mairie, qui doit loger ces familles. Et si ces familles sont à la rue, c’est parce que la préfecture qui a l’obligation de les loger les laisse dehors et les familles qui doivent être logées en France selon la loi ne le sont pas ».

La Russie soviétique, elle aussi, dans les années 20, a connu une période de suppression de « logement de surplus » en faveur de « personnes d'origine prolétarienne », ce qui fait apparaître les appartements communaux. Ouverte à une immigration massive plus ou moins contrôlée, la France accueille chaque année environ 200 000 personnes, sans compter les illégaux, dont la plupart reste dans le pays sans permis de séjour et sans logement. Alors, il est possible que les Français doivent bientôt eux aussi faire de la place.   N

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