Tant que je vis, je vois : Erik Boulatov a 80 ans

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De tous temps Paris a attiré les artistes russes. Ils y venaient et viennent pour se ressourcer car « le fondement culturel du passé c’est ce qu’on trouve sous les pieds dans la capitale française ». Ces paroles ne sont pas de moi mais d’Erik Boulatov, qui vit en France depuis plus de 20 ans sans cesser d’être un des meilleurs artistes de son pays.

Le 5 septembre Erik Boulatov fête ses 80 ans. Le moment est propice pour regarder en arrière et voir ce qui a été fait, surtout que la moitié de sa vie a été consacrée au service d’une tâche bien précise : réunir le conceptualisme moderne avec l’art russe classique, coller ensemble, selon Mandelstam, « les vertèbres des deux siècles derniers ». Au premier abord, les peintures de Boulatov sont de grandes images réalistes qui représentent des paysages, des ciels, des milieux urbains. Beaucoup sont partiellement masquées par des mots ou des phrases : Gloire au PCUS, Tant que je vis, je vois, Révolution – Perestroïka. Mais le réalisme est feint et les phrases ironiques. Ces peintures, on les classe dans les œuvres de sots-art, ce mouvement subversif qui parodie l’art officiel soviétique, ses stéréotypes figés et son pathos creux. En 1965, la première exposition de Boulatov en Union soviétique a été fermée au bout de 45 minutes. Comme l’artiste l’explique aujourd’hui, cela a suffi pour que quelques privilégiés, dignitaires aient le temps de regarder ses toiles et de s’en faire une idée.

Quant aux autres, l’art dissident ne leur était pas destiné, c’est le moins que l’on puisse dire. Avec la Perestroïka, celle qui est « révolution », les choses changent. En 1988, l’artiste réalise sa première exposition personnelle à la Kunsthalle de Zürich puis au Centre Pompidou. Cette deuxième manifestation, celle de Beaubourg, fut un événement tant pour Erik que pour l’institution. Pour la première fois ce centre d’art moderne proposait ses salles à un artiste venant d’URSS. Boulatov était ravi, il estimait que les premiers à le saluer seraient ses anciens compatriotes, les immigrés russes. Vains espoirs. La Pensée russe, journal russophone édité à Paris, lui consacra quelques lignes. Il s’en souvient jusqu’aujourd’hui : « L’exposition d’un tel présente les tableaux de diverses périodes. Si d’après ceux de jeunesse il était encore possible de supposer qu’il résulterait quelque chose de valable, les derniers témoignent que tout espoir doit être abandonné. »

Pour l’artiste un tel accueil équivalait à un camouflet. Il signifiait le refus de l’accueillir au sein de la diaspora. Vingt ans plus tard, cette attitude, il la connaît encore mieux. Or ses contacts à Paris dépassent maintenant ce petit monde immigré pour aller se nourrir de cultures diverses. Et Dieu sait combien c’est possible à Paris. Mais c’est en France aussi que Boulatov s’est senti véritablement russe, c'est-à-dire différent – pour être ressentie, l’altérité a besoin de diversité.

Mais au juste, que veulent dire les mots incorporés dans ses tableaux et orthographiés en russe pour la plupart? Portent-ils un sens particulier ou sont-ils de simples éléments graphiques ? Selon l’artiste, sa peinture a son langage propre. Les mots dans ses tableaux fonctionnent comme des personnages. Indépendants, ils ont leur vie à eux, à l’instar de leur créateur. Inutile donc de se fier à leur sens premier… Après l’exposition de 1988 au Centre Pompidou, Boulatov enchaîne des expositions parisiennes : le Musée Maillol en 1999, le Musée d’Art Moderne de la ville de Paris en 2007, mais aussi la Fiac et la galerie Pièce Unique. Il est un des artistes russes les plus sollicités en Occident, ce qui est rare étant donné que la peinture russe, contrairement à la littérature, n’a pas donné ses Dostoïevski ou ses Tolstoï, symboles de prestige. Le public a le droit d’être méfiant. Mais Boulatov n’a pas à s’en soucier. Sa contribution à l’art moderne est maintenant éprouvée par le temps, qui est la meilleure mesure de la qualité. « Et si vous étiez resté non reconnu, oublié par tout le monde, la vie aurait-elle été vaine ? », lui demandent aujourd’hui les journalistes. « Pas du tout, répond l’artiste. Du moment que l’on fait ce qu’on peut et qu’on ne devient pas un misanthrope envieux, rien n’est perdu. Van Gogh et Modigliani avaient une vie difficile, mais était-elle vaine ? »

© © www.rusiskusstvo.ru
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